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Un avion blanc survolant un fond rouge au Musée canadien de l'histoire à Ottawa.

Documenter l’histoire de la COVID-19 : manifestations, résistance et célébration

Artéfactualité, saison 2, episode 2.

[00:00:03] Kim Thúy : Dans cet épisode, nous dévoilerons le mystère d’une œuvre de guerrilla artistique qui a fait sensation à Ottawa. Nous révélerons qui l’a créée et pourquoi elle est restée anonyme jusqu’à aujourd’hui. Vous écoutez Artefactualité, une série de balados du Musée canadien de l’histoire. Je m’appelle Kim Thúy. Ensemble, nous allons explorer ce que les objets et les récits du passé peuvent nous apprendre sur qui nous sommes aujourd’hui. Qu’est ce qui trouvera encore écho demain? Comment conservera-t-on le souvenir des événements qui se déroulent autour de nous?

[00:00:48] SON [klaxons]

[00:00:53] Kim Thúy : Ottawa, janvier 2022. Le centre-ville est paralysé. Des poids lourds, des semi-remorques et d’autres véhicules encombrent les rues. Des transports en commun doivent être détournés. Le centre Rideau et certains commerces locaux sont contraints de fermer leurs portes en raison du grand nombre de personnes qui ne portent pas de masque. Les gens qui en portent sont tournés en ridicule. Des milliers de personnes sont venues de tout le pays pour manifester ici et elles en ont assez. Elles affirment que les règles du gouvernement fédéral en lien avec la COVID-19 sont allés trop loin et elles ne partiront pas tant que ces règles ne seront pas levées. Le groupe se fait appeler le Convoi de la Liberté.

[00:01:41] MANIFESTANT Freedom! Freedom! [klaxons]

[00:01:45] Kim Thúy : Cependant, une part importante de la population d’Ottawa commence à être exaspérée par les klaxons, par l’odeur des gaz d’échappement de véhicules qui tournent au ralenti et par la vue des camions qui bloquent les rues. Deux semaines après l’arrivée du Convoi de la Liberté, un groupe local se réunit pour organiser une contre-manifestation.

[00:02:09] CONTRE-MANIFESTANTS Our streets… Our streets… Our streets.

[00:02:14] Kim Thúy : Ces personnes se retrouvent à l’angle de la rue Bank et de la promenade Riverside. Elles sont là pour bloquer le pont Billings, un itinéraire emprunté par de nombreuses personnes participant au Convoi de la Liberté pour se rendre au-centre ville. Ce qui commence le matin avec une contre-manifestation regroupant quelques dizaines d’individus se transforme en un rassemblement d’une centaine de personnes dans la soirée. Ce jour-là, le groupe empêche 35 camions de se rendre à la manifestation au centre-ville d’Ottawa.

[00:02:57] Kim Thúy : Patrick McCurdy était sur place. Il est professeur à l’Université d’Ottawa et étudie les mouvements sociaux, les mouvements de protestation et les médias grand public. Alors, à l’approche du premier anniversaire de la manifestation du Convoi de la Liberté, Patrick a eu l’idée d’influencer la manière dont les journalistes marqueraient l’événement. Il a conçu une petite plaque en laiton à peine plus grande qu’une feuille de papier. Patrick y a copié le logo de la Ville d’Ottawa pour lui donner un air officiel et y a inscrit un message insolent. Puis il l’a installé discrètement, en pleine nuit sur le pont où s’est déroulée la contre-manifestation.

[00:03:55] Patrick McCurdy: Avec le recul, je me dis que j’aurais dû poser la plaque en plein jour avec un gilet bien visible, l’installer tout simplement et repartir. Elle serait alors passée inaperçue, mais j’ai décidé de faire ça de nuit, sous le couvert de l’obscurité, bien qu’il y ait une caméra de vidéosurveillance braquée sur cet endroit. Il m’a fallu trois tentatives pour y parvenir. La première fois, je me suis dégonflé. Lors de la deuxième tentative, j’ai mis de la colle sur la plaque dans ma voiture, puis j’ai marché jusqu’à l’endroit. Mais la plaque n’a pas collé. Elle est tombée dans la neige et j’ai dû rentrer chez moi. Et puis à la troisième tentative, j’ai réussi à poser la plaque avec une attache.

[00:04:33] Kim Thúy : Pourriez-vous nous lire le texte? Votre texte?

[00:04:39] Patrick McCurdy: « À cet endroit, le 13 février 2022, des gens ordinaires et des membres du Ram Ranch Resistance ont fait opposition pacifiquement aux personnes qui avaient bafoué le droit à la paix, à la libre circulation et à la libre expression de la population. Cette plaque commémore des gens ordinaires qui ont fait quelque chose d’extraordinaire alors que la classe dirigeante ne le faisait pas. Février 2023. »

[00:04:59] Kim Thúy : “Ram Ranch Resistance est le nom qui a été adopté pour la contre-manifestation.

Qu’est-il arrivé à la plaque?”

[00:05:12] Patrick McCurdy: Le truc, c’est que l’art de rue et les performances ne durent jamais très longtemps. Un peu plus tard, peut être dix ou douze heures après que l’existence de la plaque a été rendue publique, elle a été enlevée. Je ne sais pas par qui. Si vous regardez en ligne, il y a cette photo, une photo d’un outil sur le sol avec une sorte d’espace vide à l’endroit où se trouvait la plaque. On peut voir quelques taches de colle de construction. C’est tout ce qui reste de la plaque.

[00:05:37] Kim Thúy : Comment est elle devenue publique quand vous l’avez mise sur le pont? Avez-vous pris une photo et l’avez vous envoyée à tout le monde? Comment cela a-t-il fonctionné?

[00:05:51] Patrick McCurdy: J’ai pris des photos. Je les ai envoyées à un ami qui les a mises en ligne sur le site Reddit. A partir de là, l’existence de la plaque a commencé à susciter de nombreuses discussions. Une partie de la discussion portait sur l’existence même de cette plaque, à savoir si elle était bien réelle. Les internautes ont réagi assez rapidement, ne sachant pas s’il était question d’un montage Photoshop, mais certaines personnes ont rapidement cherché à savoir s’il s’agissait d’une plaque physique, ce qui était le cas.

[00:06:17] Kim Thúy : Et donc elle a disparu et personne ne l’a cherchée. Était-ce la ville? Parce qu’il est interdit de mettre quoi que ce soit sur un pont, n’est ce pas?

[00:06:27] Patrick McCurdy: La ville affirme qu’elle ne l’a pas enlevée. Je ne sais pas exactement où se trouve la plaque. Elle pourrait être au fond de la rivière Rideau. Elle pourrait être sur le manteau de cheminée d’un individu en guise de souvenir. Peut-être finira-t-elle un jour dans l’émission Antiques Road Show. Mais le fait qu’une personne se soit empressée de l’enlever signifie qu’il y a eu une réaction. Beaucoup de gens ont apprécié. Certaines personnes ont vraiment apprécié, comprenant le message qu’elle contenait, et d’autres se sont sentis offensés au point de vouloir la détruire.

[00:06:57] Kim Thúy : Mais l’art, c’est aussi ça, non? L’art, c’est ça, ça provoque des réactions, des émotions. Donc ça a fonctionné.

[00:07:07] Patrick McCurdy: Ça a fonctionné et heureusement, j’avais fait faire deux copies de la plaque. Quand j’ai cherché à savoir combien ça coûterait de faire la plaque, j’ai vu que le prix serait de 118 $ américains, soit environ 160 $ canadiens. Mais les frais d’expédition d’une seule plaque s’élevaient à 142 $ américains, soit environ 190 $ canadiens. Je n’avais donc pas envie de payer autant pour l’expédition d’une seule plaque. J’en ai donc commandé deux et c’était une bonne idée, en fait. Je me suis donc retrouvé avec la deuxième et j’ai fini par me demander ce que j’allais en faire. J’ai fait faire deux plaques et je savais qu’en ayant deux plaques, puisque la première avait disparu si rapidement, je n’allais pas me précipiter pour poser la seconde sur le mur parce qu’elle aurait été arrachée aussi. Et vu que je le dis publiquement maintenant, je ne le ferai pas. Mais j’ai toujours pensé qu’il serait amusant, à l’approche du deuxième anniversaire du convoi et du premier anniversaire de la plaque, de faire une plaque qui modifierait le texte et commémorerait la plaque qui avait été posée. Mais la plaisanterie est terminée. C’était bien sur le moment. Elle a permis de mettre en lumière le rôle important de la contre-protestation et de remettre en question certains des récits qui circulent. C’est donc un point positif pour moi.

[00:08:21] Kim Thúy : Et pour le premier anniversaire, les médias ont-ils souhaité parler de la plaque?

[00:08:27] Patrick McCurdy: Oui. Internet réagit toujours très vite. Reddit a réagi très rapidement et les médias n’ont pas tardé à en parler non plus. Je crois que le premier article a été publié par CTV, mais d’autres ont rapidement suivi de l’Ottawa Citizen et de CBC. Bien entendu, au fur et à mesure que les médias publiaient des articles, le fil de discussion Reddit prenait de plus en plus d’ampleur. Sur Twitter, le terme « Battle of Billings Bridge », la bataille du pont de Billings, s’est répandu. Alors oui, ça a généré un certain intérêt. La plaque a été posée volontairement, de façon anonyme. La raison principale, c’est qu’il ne s’agissait pas d’une performance. Il ne s’agissait pas de moi en quelque sorte. Je ne voulais pas que l’histoire porte sur la personne du coin qui avait posé la plaque. Je voulais que la plaque soit posée comme une performance pour parler du rôle de la contre-manifestation et aussi pour mettre en lumière l’échec abject à de multiples niveaux qui a conduit au campement du convoi. De mon point de vue, le fait de l’afficher anonymement a permis de maintenir l’attention sur la contre-manifestation à l’occasion de son anniversaire en tant qu’intervention sur le convoi. Bien sûr, je comprends aussi comment fonctionnent les médias. L’idée de l’anonymat a également apporté un peu de mystère, ce qui est toujours une bonne chose pour faire les manchettes. J’en parle maintenant en mon nom. Ma voix est associée au projet. J’étais un peu inquiet. Je sais que certaines personnes ont été victimes de harcèlement, voire de menaces à la suite de certaines actions de contre-manifestation. Et je n’avais pas envie de devenir le sujet de trop de haine, de harcèlement ou de menaces en ligne à cause de ce type d’intervention.

[00:10:01] Kim Thúy : Alors, que pensez-vous de voir la plaque au Musée? La seconde plaque?

[00:10:07] Patrick McCurdy: C’est drôle, quand j’ai eu cette idée de plaque, j’avais toujours cette question en tête : que faire de la deuxième plaque? C’est vrai, après tout, je l’ai déjà fait faire. Est-ce que je vais la mettre dans mon bureau? Va-t-elle rester dans une boîte au sous-sol? Lorsque j’ai entendu parler de Jamie au Musée, nous avons commencé à discuter de la possibilité d’acquérir la plaque. Et c’est ce que j’ai trouvé extraordinaire. Ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai fait ce projet, mais j’ai pensé que c’était un endroit intéressant pour placer cet objet, parce que je pense que la plaque est un objet intéressant qui permet d’encadrer l’histoire du convoi et de ne pas seulement la présenter comme une manifestation qui a campé dans notre ville pendant un mois, jusqu’à ce qu’elle soit retirée par la force.

[00:10:48] Patrick McCurdy: La plaque permet également de parler de la façon dont le convoi a été exploité politiquement par des individus pour leur propre profit, aux dépens de la communauté d’Ottawa. Elle permet de raconter l’histoire de l’incapacité d’une partie de la classe politique locale à agir, ainsi que de parler de l’importance de la contre-protestation, de l’action directe.

[00:11:11] James Trepanier : Au Musée canadien de l’histoire, nous avons toute un processus d’acquisition et d’identification d’artefacts ou de thèmes ou sujets prioritaires qui se reforme chaque cinq ou six ans. Donc, nous avons des directions stratégiques en tenant compte des faiblesses de la collection actuelle.

[00:11:29] Kim Thúy : Après avoir parlé à Patrick, je me suis rendu au Musée canadien de l’histoire où j’ai rencontré James Trepanier. C’est un conservateur du Musée, chargé de rassembler des objets et artefacts reflétant toutes les façons dont la population canadienne a vécu la pandémie de COVID-19. Nous nous retrouvons devant une table sur laquelle sont disposés des objets, dont la fameuse plaque de Patrick et un t-shirt marron portant l’inscription « Battle of Billings Bridge », la bataille du pont Billings.

[00:12:06] James Trepanier : Nous tenons compte des grands thèmes historiques sur lesquels on veut se pencher, et même maintenant aujourd’hui, au Musée canadien de l’histoire, on pense au futur aussi. Donc, nous essayons de collectionner des objets du présent ou du récent histoire dans les dernières dix-quinze années, pour représenter dans les années futures ce que nous vivons aujourd’hui.

[00:12:26] Kim Thúy : James et ses collègues savaient qu’il était nécessaire de faire preuve de rapidité et de créativité lorsqu’il a été question de collecter des objets concernant la COVID-19. Selon lui, le Musée n’a que peu de choses à présenter concernant la pandémie de 1919.

[00:12:45] James Trepanier : Souvent, comme historien, on se lamente parce qu’il y a un manque d’objets ou un manque de sources pour vraiment illustrer un événement et les expériences vécues par les gens ordinaires dans un gros événement, comme par exemple les guerres mondiales – ou même la pandémie de 1919, un autre parallèle peut-être. Donc on s’est penché là-dessus au début de 2021 pour commencer un projet de collectionner les objets et les histoires liées à la pandémie.

[00:13:13] Kim Thúy : Mais quand une histoire entre-elle dans l’histoire?

[00:13:17] James Trepanier : C’est un virus invisible. Mais c’est un virus qui a complètement transformé nos vies. Et c’est vraiment cet aspect-là qui intéresse notre musée, le Musée canadien de l’histoire. On se penche surtout sur l’expérience vécue des Canadiens à travers le pays. Et donc très rapidement, au début 2020 disons, on s’est rendu compte que même si nous, comme muséologues, on était comme le reste du monde, on s’adaptait, on travaillait à la maison, on avait des enfants chez nous lorsqu’on travaillait, il fallait peut-être arrêter et réfléchir un petit peu, parce que c’était un événement important pour le Canada et le monde. Et il ne faudrait pas le rater, parce que plusieurs des objets ou des expériences que nous voyons dans le Canada étaient très éphémères. Si on n’agissait pas immédiatement, ces objets-là et ces expériences pourraient disparaître.

[00:14:06] Kim Thúy : Lorsque vous avez entendu parler de la plaque fabriquée par Patrick McCarthy, avez-vous tout de suite su qu’il s’agissait d’un objet que vous vouliez avoir dans votre collection?

[00:14:17] James Trepanier : La plaque est un excellent exemple à la fois d’une réaction individuelle d’un individu qui a assisté à la manifestation, à la résistance connue comme la bataille « the Battle of Billings Bridge ». Mais aussi, ça s’insère dans une plus longue thématique des diverses façons de commémorer des événements. Dans la collection, nous avons plusieurs exemples de bustes ou de statuettes ou d’autres plaques créées par soit des églises ou des comités historiques ou même des gouvernements, pour commémorer des moments ou des thèmes historiques. C’est rare d’avoir un exemple de contrefait, d’un exemple de résistance contre cette forme de commémoration; d’une certaine manière une parodie, même, de cette commémoration. Donc c’était très efficace comme manière de communiquer son message et ça s’insère dans notre thématique ou intérêts, dans la commémoration en général. C’est une histoire fascinante et peut-être un bel exemple de l’adaptation et même une nouvelle manière de collectionner des objets sur le vif, on pourrait dire; dans le moment. Souvent, pendant la pandémie, parce qu’il y avait des restrictions, des limites sur le droit de voyage, nous, comme conservateurs, ont était vraiment à la maison et on surveillait les réseaux sociaux, les nouvelles. Et lorsqu’il a sorti cette histoire de cette plaque qui a été affichée le soir même dans une manière clandestine à Ottawa, et ça a soulevé assez de discussions ici à Ottawa, je me suis dit : c’est vraiment un excellent exemple à la fois de l’importance de ce moment d’activisme citoyen qui s’opposait à la manifestation du convoi de 2022, mais aussi d’une stratégie assez intéressante de subvertir un peu la manière de commémorer les événements. Normalement, des plaques sont posées par les gouvernements ou des comités historiques, souvent avec beaucoup de recul historiquement. Donc le fait d’avoir affiché une plaque par un citoyen anonyme, c’était vraiment, vraiment intrigant.

[00:16:19] Kim Thúy : À ce moment-là, saviez-vous déjà que Patrick était à l’origine de la plaque ou était-il encore anonyme?

[00:16:26] James Trepanier : Donc, en parlant avec notre équipe ici au Musée, j’ai décidé de créer un compte sur les réseaux sociaux de Reddit, où le créateur de la plaque, d’une manière anonyme, a annoncé que oui, c’est bien bien quelque chose qui a été créé, même si la plaque originale a été volée ou enlevée sous peu après son installation, il y avait une deuxième. Et qu’est ce qu’on devait faire avec la deuxième plaque? Et là, il a commencé une discussion. Je lui ai envoyé un message privé pour lui dire que je travaillais à un musée national, puis ça nous intéressait. Bien sûr, s’il voulait rester anonyme, on pourrait protéger son anonymat, mais qu’on pensait que la plaque valait vraiment la peine de faire partie de notre collection pour raconter à la fois l’histoire du convoi et la manifestation, mais aussi la réaction des gens d’Ottawa. On voulait vraiment essayer de trouver des exemples à la fois des manifestants mêmes, leurs opinions et même leurs sources qui les inspirait. Donc, on a collectionné quelques dépliants, des groupes qui appuyaient le convoi à Ottawa, la manifestation, mais aussi la réaction et l’expérience des citoyens d’Ottawa. Parce que cette manifestation a été d’une telle longue durée, elle a eu un impact profond sur la population d’Ottawa, qu’on pensait que ça vaudrait aussi la peine d’avoir l’expérience de ceux qui ont été affectés par la manifestation. Je pense que c’était vraiment une décision personnelle pour Patrick. C’est sûr qu’au fur et à mesure, lorsqu’on discutait l’acquisition de la plaque pour le Musée, on lui a suggéré que s’il voulait rester anonyme, c’était bien correct. On avait beaucoup de précédents dans nos collections, d’autres objets qui ont été donnés dans l’anonymat. Mais avec le recul, je pense qu’il s’est rendu compte que ses craintes vis-à-vis peut-être des campagnes de vitriol sur l’Internet ou des réseaux sociaux, avec le recul peut-être, il y avait moins de risque. Et je pense que c’est ça qui a vraiment influencé Patrick à décidé de devenir plus public dans son rôle.

[00:18:25] Kim Thúy : Quels sont les exemples d’objets que vous avez conservés alors que certains d’entre nous auraient pu les jeter à la poubelle? Comme des tests de COVID-19 par exemple?

[00:18:35] James Trepanier : Ça, c’est un aspect qui m’a vraiment fasciné, c’est la réaction des gens lorsqu’on les contactait pour leur demander si donner leurs objets les intéressait. Premièrement, parce que la réaction était souvent : Ah, vous voulez ça? C’est tellement ordinaire. Comment ça se peut qu’un musée national s’intéresse là-dedans? Donc la réaction des gens lorsqu’on sollicitait des dons était un autre exemple de ce genre de pensée-là. Mais oui, nous avons plusieurs exemples. Par exemple, il y a des trousses de test rapide à la maison, des « rapides antigen test », des tests à la maison, qui à la fois était assez innovatrices comme technologie de santé, mais à travers la pandémie est devenu vraiment quelque chose de pas mal ordinaire. Et beaucoup de gens aimeraient vraiment se débarrasser ça de leur vie quotidienne, au niveau de : « Oh, bien, est-ce que c’est un rhume? Est-ce que c’est la COVID? » Et donc, j’imagine, que pour plusieurs gens, c’est un objet qu’ils n’aimeraient plus voir.

[00:19:29] Kim Thúy : Au Québec, je me souviens que beaucoup dessinaient des arcs-en-ciel dans leur fenêtre. Était-ce la même chose à Ottawa?

[00:19:36] James Trepanier : Un autre exemple d’objets ordinaires ou vraiment populaires au début de la pandémie, ce sont les affiches ou les signes, les pancartes que les gens faisaient à la maison, soit pour les afficher dans leurs fenêtres de foyer ou même sur leur pelouse, leur gazon d’avant-cour. J’ai collectionné un exemple d’une telle affiche. C’était en anglais, mais fabriqué à la main par une famille, donc les parents et leurs enfants. Lors de la première vague de fermetures d’écoles et du travail, je crois, au printemps de 2020. L’affiche disait simplement « Merci, travailleurs essentiels, » « thank you essential workers ». Donc pour eux, c’était une manière d’à la fois remercier les gens qui travaillaient encore sur place, qui leur permettaient de rester chez eux. Et c’est aussi symbolique des méthodes ou stratégies que les gens utilisaient pour essayer de garder le lien social. Il y avait beaucoup d’isolation à travers la pandémie, surtout la première année en 2020. Et donc il y avait eu plusieurs manières créatives d’essayer de retisser les liens sociaux dans les communautés. C’est un virus qui a encore un impact sur nos vies quotidiennes. Et il y a plusieurs, on pourrait dire qu’on a encore de la pain sur la planche, parce que plusieurs des acquisitions prennent du temps. Donc moi par exemple, j’ai encore plusieurs discussions qui sont en cours, soit avec des communautés ou des institutions, et c’est une question de vraiment établir une meilleure relation et de la confiance. Il y a certaines communautés, par exemple des communautés autochtones ou d’autres communautés racialisées ou marginalisées, comme les communautés noires qui ont moins de confiance ou une moins bonne expérience avec les musées historiquement. Et donc ça prend un peu plus de travail de diplomatie et d’établir une relation et un mode de travail basé sur la confiance et qu’on a leur intérêts en tête aussi. Donc des fois, ça prend du temps.

[00:21:28] Kim Thúy : Quels sont les objets les plus controversés que vous avez recueillis?

[00:21:32] James Trepanier : Donc une grande question pour nous comme équipe de conservateurs et équipes de recherche au Musée, c’était vraiment la question d’inclusion. Non seulement d’inclure une diversité de perspectives et de communautés dans nos collections et nos projets, d’aller rejoindre les gens et leur expérience dans la pandémie, mais aussi de collectionner peut-être des objets assez controversés et même racistes ou basés sur la désinformation ou des objets conspiratoires. Donc par exemple, un des grandes aspects de la pandémie, c’était la réaction et la résistance de plusieurs groupes et d’individus contre les règlements, par exemple le port du masque obligatoire ou la vaccination obligatoire aussi. Et donc on a collectionné quelques exemples, soit des dépliants ou d’autres affiches, des choses de même de ces groupes, même si ces affiches et ces dépliants étaient basés souvent sur des préposés ou des suppositions racistes de temps en temps, ou sur une méthode scientifique questionnable. On voulait vraiment montrer que pendant la pandémie, il y avait des controverses. Ce n’était pas uni. Le monde n’était pas uni tout le temps sur les mesures politiques ou les mesures de santé publique à prendre. Et donc, pour nous, c’était vraiment important d’inclure cette perspective-là. Même si personnellement, on n’était pas d’accord avec et on hésitait à la glorifier, il fallait quand même l’inclure.

[00:23:00] Kim Thúy : La pandémie est encore très fraîche dans nos esprits. Elle est toujours présente. Pouvez-vous déjà imaginer la façon dont elle sera présentée au public canadien lors d’une future exposition dans plusieurs décennies? Quel regard porterons-nous sur la COVID-19 dans vingt, trente ou quarante ans?