Charlotte Nolin, Ainée métisse de Winnipeg, a longtemps eu de la difficulté à exprimer son identité de genre. À sa naissance, en 1950, on lui a attribué une identité masculine, mais, à l’âge de six ans, elle savait déjà qu’elle n’était pas un garçon.
C’est à l’âge de 17 ans que Nolin s’est permis d’exprimer publiquement son identité de genre pour la première fois. Elle est cependant retournée dans le placard à 23 ans, craignant pour sa sécurité. « Il y a 50 ans, je n’avais pas le droit de sortir en public pendant la journée parce que j’aurais été victime de violence, se souvient-elle. Et donc, moi et la plupart de mes sœurs, nous sortions la nuit quand il faisait noir pour tenter d’éviter cette violence, sans pouvoir complètement y échapper. »
Photo : Hayf
Un portrait puissant
Charlotte Nolin a survécu à la violence transphobe, à l’itinérance et à la dépendance aux drogues et à l’alcool. Aujourd’hui, à 73 ans, elle est grand-mère, gardienne de la suerie, gardienne des savoirs traditionnels, participante à la danse du soleil et porteuse du calumet. L’artiste d’origine métisse JD Hawk a peint un portrait saisissant de l’Ainée, lequel a récemment été acquis par le Musée canadien de l’histoire.
« Je l’appelle ma Joconde à cause de ce petit sourire qui dévoile une telle énergie. Ses larges épaules démontrent une personne d’une force remarquable. On devine avec les lumières et les ombres que j’ai utilisées sur son visage une personne facile d’approche. On remarque ses mains formées par le labeur, les mains qu’elle a eues toute sa vie, et la délicatesse de sa personnalité, incarnée dans son éventail de plumes d’aigle », explique Hawk.
Kristine McCorkell, responsable de la conservation de l’art autochtone au Musée canadien de l’histoire, décrit ce portrait comme un défi et une invitation : « Charlotte nous fait entrer dans le tableau et nous demande de réfléchir à certains de ces tabous qui nous ont été transmis ».
Musée canadien de l’histoire
Représentation autochtone queer/bispirituelle
Kristine McCorkell, qui s’identifie comme personne bispirituelle, est Kanien:kehá’ka des Six Nations de la rivière Grand. « C’est encore très difficile de parler de sexualité et d’identité sexuelle dans les espaces muséaux », dit-iel, ajoutant que « les musées ont longtemps invisibilisé la réalité des gens comme moi. Je ne reconnaissais jamais mon expérience dans ces espaces. »
« Si j’avais pu voir un tel portrait dans ma jeunesse, quand j’essayais de comprendre ma propre identité, à l’adolescence, ça aurait répondu à beaucoup de questions. J’aurais reçu le message que les personnes comme moi ont leur place. Que nous avons le droit d’être ici. Une telle représentativité est susceptible d’opérer un changement radical pour une personne qui remet vraiment en question son identité. Entrer au musée et contempler une telle représentation identitaire, ce n’est pas quelque chose de fréquent dans nos vies. »
Charlotte Nolin est un modèle et une leadeuse importante pour les jeunes autochtones qui s’identifient comme des personnes queers et bispirituelles. « Charlotte s’est saisie de ces enseignements et a entrepris de les transmettre à la nouvelle génération queer, comme une invitation soudainement lancée à ces personnes privées d’un espace de cérémonie sûr à prendre place dans celui qu’elle leur a préparé », explique McCorkell.
Une leadeuse bispirituelle
Les adjectifs « deux esprits » ou « bispirituelle » – adoptés par Charlotte Nolin – désignent le large éventail d’identités de genre et sexuelles qui existent dans de nombreuses cultures autochtones. L’expression a été inventée en 1990 au Manitoba, lors du troisième rassemblement annuel nord-américain des personnes gaies et lesbiennes autochtones, mais l’identité bispirituelle existe depuis des temps immémoriaux.
Avant la colonisation de l’Amérique du Nord, de nombreuses Nations reconnaissaient un éventail de genres et de sexualités. Dans de nombreux cas, les personnes bispirituelles étaient vénérées et considérées comme possédant des dons : elles remplissaient le rôle de guérisseuses et de gardiennes, avaient des relations, élevaient des enfants et participaient à la vie collective en tant que membres estimées.
« Quand je dirige la danse du soleil, dit Nolin, je guide mon peuple dans la cérémonie. L’an dernier, nous avons tenu la première danse du soleil bispirituelle sur l’ile de la Tortue, et environ 400 personnes y ont participé. Il est bien trop difficile de décrire cette expérience par des mots – le sentiment d’espoir, le sentiment de respect, le sentiment d’acceptation –, nous avons simplement baigné dans tout ça pendant quatre jours. »
Photo : La Presse canadienne/David Lipnowski
Décoloniser le genre et la sexualité
Kristine McCorkell note que les expériences et les histoires autochtones de sexualité et de genre sont très différentes des normes coloniales européennes : « Pour la plupart, les communautés autochtones abordaient très différemment la diversité sexuelle et de genre. Il n’y avait pas de genre, du moins, pas dans ma langue. C’est quelque chose qui est venu après la colonisation. »
« De nos jours, chaque personne est censée se reconnaitre dans une communauté bien distincte, c’est-à-dire d’Autochtones queers, de personnes bispirituelles, de personnes non binaires, allosexuelles, etc., selon la façon dont elle s’identifie. Or, nombreux sont les individus qui, à l’heure actuelle, ne s’intègrent pas nécessairement à ces communautés et qui continuent de rechercher leurs semblables dans ces espaces contemporains », commente-t-iel.
« Vous savez, ajoute Charlotte Nolin, je songe parfois à ma vie antérieure et à la façon dont je me sentais sans importance en grandissant parce que la société m’a réduite à ce rôle. Mais un jour, j’ai émergé – tout comme un papillon émerge d’un cocon. J’ai déployé mes ailes et j’ai déclaré : “Me voici, telle que je suis”. »
Écoutez l’épisode d’Artéfactualité consacré à Charlotte Nolin pour en savoir plus sur elle et sur son histoire, sur l’importance de reconnaitre les traditions et l’histoire bispirituelles, et sur le rôle que les musées peuvent jouer dans la reconnaissance de la diversité des genres.
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Steve McCullough
Steve McCullough, Ph. D., est le stratège de contenu numérique pour le Musée canadien de l’histoire et le Musée canadien de la guerre. Son travail dans le domaine de la création de récits numériques repose sur la compassion et des actions fondées sur des preuves pour parler de l’histoire, de la notion de sens et de l’identité dans un environnement en ligne fragmenté et polarisé, mais aussi dynamique et étroitement lié.