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Interactions dorsétiennes-nordiques dans l’Arctique de l’Est canadien

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Interactions dorsétiennes-nordiques dans l’Arctique de l’Est canadien – Page 1

ÉLÉMENTS DE CONTACT CULTUREL : INTERACTIONS DORSÉTIENNES-NORDIQUES DANS L’ARCTIQUE DE L’EST CANADIEN

Patricia D. Sutherland
Conservatrice, Commission archéologique du Canada
Musée canadien des civilisations
Prière de ne pas citer sans autorisation écrite préalable de l’auteur.


Publié à l’origine dans Martin Appelt, Joel Berglund et Hans Christian Gulløv (éd.), Identities and Cultural Contacts in the Arctic: Proceedings from a Conference at the Danish National Museum, Copenhagen, November 30 to December 2, 1999, Copenhague, Danish National Museum et Danish Polar Center, 2000, avec des révisions de l’auteur. Reproduit avec permission.

Introduction


Les débats archéologiques sur l’interaction entre les peuples qui ont occupé l’Arctique de l’Est au cours des siècles entourant 1000 apr. J.-C. ont porté sur les contacts entre les Inuits et les Paléoesquimaux du Dorset et ceux entre les Inuits et les Nordiques du Groenland.

Au cours des dernières années, une accumulation croissante de preuves facilite le débat sur les interactions entre les Inuits et les Nordiques. Des découvertes importantes dans l’Arctique canadien, réalisées au cours des deux dernières décennies, suggèrent que les relations entre ces deux peuples ne se limitent pas à des rencontres hostiles et au pillage par les Inuits du Thulé des fermes nordiques abandonnées (figure 1). La plus grande concentration de découvertes – rivets de navire, pièces de baril, morceau de boîte en chêne, rabot de menuisier, cotte de mailles, étoffe de laine et fragments de métal de fonte – vise les objets récupérés dans des villages de la phase dite de « l’île aux Ruines » dans la partie est de l’île d’Ellesmere remontant au milieu du XIIIe siècle (Schledermann, 1980). Ces découvertes sont très semblables à celles faites par Holtved (1944) à des sites de la phase de l’île aux Ruines dans le nord-ouest du Groenland, et pourraient être reliées au même épisode de contact. Des fragments de fer, de cuivre et de bronze fondu découverts dans des sites thuléens partout dans l’Arctique de l’Est, de même qu’un objet de la côte de l’Arctique centrale qui pourrait être d’origine nordique, indiquent un vaste réseau de commerce autochtone et constituent une preuve de la valeur élevée des matériaux nordiques au sein de l’économie inuite. Parmi les autres découvertes, mentionnons un fragment de balance en bronze de commerçant provenant d’un site thuléen de la côte ouest de l’île d’Ellesmere et datant d’environ la même période que les découvertes mises au jour dans la région est de l’île d’Ellesmere (Sutherland et McGhee, 1983; Sutherland, 1993) ainsi qu’une figurine sculptée de tenue vestimentaire européenne, exhumée dans un site thuléen du XIIIe-XIVe siècle dans le sud de l’île de Baffin (Sabo et Sabo, 1978). Les découvertes de ce genre laissent entendre qu’il pourrait y avoir eu des interactions plus complexes entre les Nordiques et les Inuits impliquant un contact direct et qu’ils se seraient probablement livrés à un commerce sporadique le long des côtes est de l’Arctique canadien (McGhee, 1984; Schledermann, 1993; Arneborg, 1996; Gulløv, 1997).

Carte du Canada montrant les sites de trouvailles autochtones.

Figure 1 : Emplacement des matériaux nordiques associés à des sites autochtones de l’Arctique canadien et du nord du Groenland.
Source : Patricia Sutherland, Musée canadien des civilisations

En revanche, très peu de sites dorsétiens ont donné lieu à la découverte d’artefacts d’origine nordique et on s’est donc peu penché sur la nature de l’interaction entre ces deux groupes (Sutherland, 2000). Le débat a également été entravé par la croyance générale voulant que le peuple dorsétien ait abandonné la plupart des régions de l’Arctique de l’Est par le moment de l’établissement des colonies nordiques à la fin du Xe siècle apr. J.-C. Le présent article présente de nouvelles preuves suggérant qu’il pourrait maintenant être utile d’examiner la nature de l’interaction dorsétienne-nordique.

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Découvertes antérieures connues


Le petit bol sculpté en stéatite, de forme dorsétienne typique et associé aux vestiges nordiques de L’Anse aux Meadows, constitue probablement la preuve du contact le plus ancien entre les Dorsétiens et les Nordiques (Ingstad, 1977). Le peuple dorsétien avait quitté Terre-Neuve et le sud du Labrador plusieurs siècles avant l’arrivée des Nordiques dans cette région et la meilleure explication plausible de la découverte de cette lampe serait que les Nordiques l’auraient obtenue des Dorsétiens ou d’un site dorsétien abandonné de l’Arctique de l’Est avant un voyage à l’établissement terre-neuvien. Comme l’occupation nordique à L’Anse aux Meadows remonte probablement au début du XIe siècle, les relations entre les deux peuples étaient peut-être entamées à ce moment et certains des récits sur les skraelings relatés dans les sagas du Vinland pourraient faire référence au peuple dorsétien.

Par rapport à une période légèrement plus lointaine, la pièce de monnaie nordique découverte dans un site d’un établissement autochtone sur la côte du Maine fut frappée entre 1065-1080, soit plus d’un demi-siècle après les explorations du Vinland relatées dans les sagas islandaises. On a également découvert, à ce site, des artefacts en chert de Ramah du nord du Labrador, ainsi que deux artefacts dorsétiens typiques, ce qui suggère que le sou serait passé des mains des Nordiques aux Dorsétiens avant d’être échangé vers le sud avec des groupes autochtones (Bourque et Cox, 1981; Cox, 1999).

Deux échantillons de cuivre fondu ont été découverts dans des sites dorsétiens de la région de Nunavik dans l’Arctique de l’Est, le premier à un site dorsétien du XIIe ou XIIIe siècle dans le golfe Richmond sur la côte est de la baie d’Hudson, et le deuxième à un site similaire sur la côte de la baie d’Ungava (Harp, 1975; Plumet, 1982). Il est probable que ces objets soient également parvenus à l’endroit de leur découverte au fil d’échanges commerciaux – le contact initial entre les peuples nordiques et dorsétiens ayant eu lieu le long des côtes est de l’île de Baffin ou du Labrador, des côtes que les Nordiques auraient longées lors de voyages au Vinland ou au Markland. Le récit d’un navire qu’une tempête aurait poussé du Markland à l’Islande en 1347 indique que ces voyages se sont poursuivis au moins jusqu’au XIVe siècle (Jones, 1986:136).

Tout au nord, une pièce de fer fondu semble être associée à l’occupation dorsétienne tardive du site du lac Buchanan à l’île Axel Heiberg, à l’extrémité de la périphérie nord-ouest de l’habitation dorsétienne (Laver, 1983; Sutherland, 1983). Combinée au fragment de pot en bronze récemment récupéré d’un site dorsétien tardif dans le nord-ouest du Groenland (Appelt et al, 1998), cette découverte suggère que des contacts auraient eu lieu entre les peuples nordiques et dorsétiens dans l’Extrême-Arctique, et ils ont été associés à des explorations distinctes des voyages nordiques au Markland. En fait, il semble possible que des contacts occasionnels se soient produits sur une période de plusieurs siècles et dans une vaste région des côtes de l’île de Baffin et du détroit de Davis, du Labrador à l’Extrême-Arctique (figure 1).

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Nouvelles preuves de Nunguvik, nord de l’île de Baffin


Récemment, des preuves archéologiques relatives à l’interaction dorsétienne-nordique ont été découvertes dans les collections du Musée canadien des civilisations. Ces preuves viennent du site de Nunguvik (PgHb-1) de l’inlet Navy Board, dans le nord de l’île de Baffin, mises au jour lors de fouilles effectuées par le père Guy-Mary Rousselière dans les années 1970 et 1980 (figure 1).

La découverte la plus importante provenant de ce site est un cordon de trois mètres exhumé en 1984 par Rousselière et ses adjoints inuits à partir d’une des maisons dorsétiennes à Nunguvik (figure 2). Un autre morceau de cordon, provenant probablement du même brin, a été découvert dans une autre section de la maison en question, à plusieurs mètres du premier. Les échantillons ont été identifiés par Penelope Walton Rogers (1999) comme étant des cordons retors filés à partir de fourrure de lièvre arctique (Lepus arcticus). Le cordon contient également ce qui est probablement des poils de chèvre attachés et Walton Rogers signale qu’il est directement comparable au cordon utilisé dans deux textiles de Gården Under Sandet, le site de la ferme nordique de l’Établissement de l’ouest, exhumé de 1991 à 1996 par les musées nationaux du Danemark et du Groenland (Walton Rogers, 1998). Les deux textiles groenlandais, un en cordons filés de fourrure de lièvre arctique exclusivement et l’autre en cordons filés de poil de chèvre et de fourrure de lièvre arctique, ont été récupérés dans des dépôts remontant à la dernière phase de l’occupation de Gården Under Sandet, de la fin du XIIIe siècle jusqu’à environ 1350 apr. J.-C. (Østergård, 1998). L’importance de la découverte de Nunguvik réside dans le fait que ce bout de cordon filé suggère qu’il y aurait eu un contact plus complexe allant au-delà du simple échange d’objets utiles tels que des pièces de fer, de cuivre et de bronze. Le cordon n’aurait probablement pas été autre chose qu’une curiosité pour le peuple dorsétien. De plus, il est plus fragile que les fragments de métal et il est peu probable qu’il aurait survécu aux échanges de longue distance. Il semble donc raisonnable de suggérer que cet artefact puisse indiquer une visite directe d’un navire nordique dans le nord de l’île de Baffin.

Un cordon.

Figure 2 : Cordon filé à partir de fourrure de lièvre arctique, provenant de la structure N73 de Nunguvik.

Photo : Patricia Sutherland,

Musée canadien des civilisations

D’autres preuves corroborantes provenant de la même maison dorsétienne (N73) comprennent trois pièces de bois identifiées comme étant du pin blanc (probablement Pinus strobus ou Pinus cembra, ceux-ci ne pouvant pas être distingués par l’anatomie du bois selon l’analyste), et que l’on ne trouve habituellement pas parmi le bois de grève de l’Arctique (Mott, 1981). Deux des pièces de bois contiennent des trous tachés de fer qui semblent provenir de clous carrés. La datation au radiocarbone de l’un de ces fragments le fait remonter à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe siècle (S-1615: 670+50 BP, calibration écart-type 1, 1286-1387 apr. J.-C., écart-type 2, 1271-1399 apr. J.-C.) (Rousselière 1991), soit la même période ayant produit les textiles de fourrure de lièvre arctique et de poil de chèvre dans le Groenland nordique (figure 3 a).

5 objets faits de bois.

Figure 3 : Artefacts inhabituels en bois de la structure N73 de Nunguvik

a. fragment d’objet en pin contenant deux trous de clou carré, b. objet en bois en forme de manche avec joint biseauté précis, c. objet en bois avec trou à mortaise rectangulaire, d. objet en bois en forme de manche avec rainure rectangulaire, e. objet en bois à joint biseauté précis de trois pièces.

Photo : Patricia Sutherland,

Musée canadien des civilisations

D’autres artefacts de la collection Nunguvik sont moins catégoriques, mais pourraient également être liés à un contact nordique. La collection de Nunguvik a toujours été considérée comme étant inhabituelle sur le plan de la quantité et de la variété d’artefacts en bois et de fragments d’artefacts bien préservés. On a généralement interprété le caractère distinctif du travail du bois comme étant simplement dû aux excellentes conditions de préservation du site ou comme étant peut-être attribuable à l’accès exceptionnel du peuple dorsétien local à des réserves de bois de grève. Un examen plus approfondi de ce matériel suggère que d’autres facteurs auraient pu entrer en ligne de compte étant donné qu’une bonne partie du bois travaillé provenant de la maison Nunguvik N73 dépasse le champ des techniques et des styles connus de la plupart des autres collections de culture dorsétienne. Ces techniques comprennent le sciage, le décriquage précis, l’utilisation de clous et de joints à mortaise et tenon, toutes des techniques qui ne sont pas caractéristiques du travail du bois paléoesquimau décrit (cf. Grønnow 1994), mais qui ressemblent de toute évidence aux techniques médiévales européennes (figure 3 b, c, d et e). Compte tenu de cette similarité, il semble possible de suggérer que l’importante quantité de bois travaillé à ce site n’est peut-être pas due à l’accès exceptionnel au bois de grève, mais au bois qui est parvenu à la région par d’autres moyens de transport.

Vue panoramique d'un champ avec une formation rocheuse dans un coin et un cours d'eau dans l'arrière plan.

Figure 4 : Le site de Nunguvik, avec vue sur le nord vers la côte.
Photo : Susan Rowley

L’importance éventuelle du cordon, du pin daté et des autres objets inhabituels en bois travaillé de Nunguvik dépend du contexte archéologique de leur découverte (figure 4). Nunguvik est situé sur la côte ouest de l’inlet Navy Board, environ 100 km à l’ouest de la communauté de Pond Inlet. Le site comprend environ 80 maisons appartenant à des occupations dorsétiennes anciennes, moyennes ou récentes ainsi qu’à des occupations thuléennes anciennes et récentes (Rousselière, 1976, 1991). Seules quelques-unes des maisons ont fait l’objet de fouilles archéologiques. La maison dorsétienne N73 est située sur un côté du site, près du rivage et un ou deux mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. Bien que les artefacts thuléens soient éparpillés à la surface du site de Nunguvik, il n’y a aucune preuve de la réutilisation de N73 par les Thuléens. Le père Rousselière a souligné l’aspect discret des éléments dorsétiens et thuléens du site. L’occupation thuléenne la plus près de N73 repose sur une terrasse supérieure environ 100 mètres plus loin. Un examen du reste de la collection Nunguvik, tiré d’autres éléments dorsétiens et thuléens, révèle que la plupart des matériaux inhabituels récupérés du site viennent de la maison N73. Il s’agit d’une importante maison stratifiée composée de ce qui semble être une occupation du Dorset récent empiétant sur des dépôts du Dorset moyen (figure 5). L’interprétation de cette maison est compliquée à cause de l’état incomplet des notes et des cartes de terrain du père Rousselière – la majeure partie de cette documentation ayant été détruite dans l’incendie qui a coûté la vie au père Rousselière et mis fin à la mission catholique à Pond Inlet en 1994. Le cordon et les autres matériaux inhabituels semblent être associés à un élément de mi-passage et se présentent à l’intérieur d’unités stratigraphiques profondément enfouies contenant du matériel dorsétien moyen de même que des têtes de harpon dorsétiennes récentes et un nombre important de sculptures typiques du Dorset récent bien que de style clairement local.

Une fouille archéologique à grande échelle avec plusieurs outils éparpillés sur le terrain.

Figure 5 : Maison N73 de Nunguvik lors de la fouille. Le cordon et le bois travaillé inhabituel provient d’une couche enfouie associée au bloc près du centre de la fouille.
Photo : Susan Rowley

La datation au C14 est une caractéristique de N73 qui laisse perplexe. Sept des dates obtenues par le père Rousselière à partir de l’amas complexe sont du VIe au VIIIe siècle apr. J.-C., soit plusieurs siècles plus tôt que l’on pourrait s’attendre pour une occupation du Dorset récent, particulièrement une occupation ayant du matériel nordique associé. Un essai de datation par le carbone 14 utilisant la méthode de spectrométrie de masse par accélérateur (SMA) a été effectué sur les deux morceaux de cordon et sur une pièce d’andouiller de caribou ouvré découverte tout près du cordon de trois mètres. Les trois échantillons ont donné des dates au VIIe et au VIIIe siècles apr. J.-C. (Beta-135000: 1320 ±40 BP sur l’andouiller, calibration écart type 1, 663-762 apr. J.-C.; écart type 2, 654-774 apr. J.-C.); (Beta 134999: 1400 ±40 BP sur le cordon associé à l’andouiller, calibration écart type 1, 616-665 apr. J.-C., écart type 2, 567-689 apr. J.-C.); et (Beta-139756: 1290 ±40 BP sur le plus petit brin de cordon, calibration écart type 1, 682-770 apr. J.-C.; écart type 2, 656-858 apr. J.-C.). Les résultats des trois échantillons les situent à l’intérieur de l’intervalle de l’ensemble des sept dates antérieurement recueillies pour cette maison. La date de la pièce ouvrée de pin blanc est une preuve qui appuie la présence d’une composante médiévale au sein de la maison et qui est en accord avec la similitude entre le cordon et ceux des textiles nordiques de la fin du XIIIe siècle et du début du XIVe siècle. L’écart qui existe entre cette preuve et la première datation radiométrique du cordon est un problème important qu’il conviendra d’étudier davantage lors de recherches futures.

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Baguettes dorsétiennes et autres images faciales de type européen


D’autres échantillons archéologiques qu’il convient d’examiner de plus près compte tenu des résultats de Nunguvik sont les sculptures dorsétiennes récentes ayant des représentations occasionnelles de visages de ressemblance européenne. Il y a longtemps qu’on tient compte de ces images, mais leur interprétation comme preuve de contact a généralement été rejetée comme étant un jugement purement subjectif. Des baguettes ou bâtons représentant des images variées ont été retrouvés dans les sites dorsétiens récents partout dans l’Arctique de l’Est. Sur un certain nombre de ces échantillons, on voit un visage long et étroit distinctif au nez droit proéminent et une trace occasionnelle de barbe (figure 6 a et b). Il est intéressant de noter que plusieurs de ces images ont été retrouvées dans N73, à Nunguvik (figure 6 c et d). Le moment est peut-être venu de réévaluer l’importance des bâtons et d’autres échantillons du Dorset récent où ce type d’image apparaît.

4 sculptures de bois.

Figure 6 : Représentations dorsétiennes de visages d’aspect européen :

a. baguette en andouiller de TaJa-1, site Battery, île Axel Heiberg, révélant un visage étroit avec peut-être une barbe (image droite) opposé à une représentation plus typiquement dorsétienne d’un visage humain, b. baguette en andouiller de QiLd-1, site Brooman Point, île Bathurst, montrant un visage au long nez de profil droit, c. sculpture en bois de N73 Nunguvik, nord de l’île de Baffin, représentant un visage au long nez doté de sourcils proéminents de profil gauche, d. sculpture en bois de N73 Nunguvik, nord de l’île de Baffin, représentant un visage au long nez; les « cornes » apparentes sont des brindilles faisant partie du morceau de bois original.

Photo : Patricia Sutherland,

Musée canadien des civilisations

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Le Dorset récent dans l’Extrême-Arctique de l’Est


Quelle est la probabilité qu’un contact plus étendu que ne l’indiquent les preuves actuellement disponibles ait eu lieu entre les peuples nordiques et dorsétiens? Si l’on accepte l’argument de Park (1993) relatif à la disparition de l’occupation dorsétienne au Xe siècle apr. J.-C., il n’y aurait eu aucune possibilité de contact entre les Dorsétiens et les Nordiques groenlandais. Cependant, un nombre croissant de dates obtenues par le radiocarbone et associées aux sites du Dorset récent dans l’Extrême-Arctique (figure 7 a) suggère la continuation de l’occupation dorsétienne pendant la période médiévale. Si l’on accepte même une seule de ces dates comme étant correcte, cela constitue une preuve d’une occasion temporelle importante de contact avec les Nordiques groenlandais. Il est également intéressant de comparer cet intervalle de dates avec les dates de la culture thuléenne dans la même région (figure 7 b). Ces distributions montrent essentiellement le même chevauchement d’intervalles de dates et suggèrent que les deux populations ont eu à peu près le même degré d’occasion de rencontrer les premiers occupants européens du Groenland.

Graphique démontrant le niveau de radiocarbone selon le siècle.

Figure 7a : Dates obtenues par datation au radiocarbone sur des sites du Dorset récent de l’Extrême-Arctique : écart type 1, intervalles de dates calibrées.
Source : Patricia Sutherland, Musée canadien des civilisations

Graphique montrant les niveaux de radiocarbone des objets trouvés  dans l'Extrême-Arctique selon leur âge.

Figure 7b : Dates obtenues par datation au radiocarbone sur des sites thuléens et dorsétiens récents de l’Extrême-Arctique : écart type 1, intervalles de dates calibrées.
Source : Patricia Sutherland, Musée canadien des civilisations

Dans le but d’évaluer l’étendue de nos connaissances sur la culture dorsétienne récente dans l’Extrême-Arctique, nous nous sommes penchés sur les résultats d’une recherche de 800 km effectuée, il y a plusieurs années, le long de la côte sud de l’île Devon (Sutherland, 1991). À partir d’une extrapolation du nombre de sites et de maisons découverts lors de cette fouille, on peut estimer qu’il pourrait y avoir quelque 2 000 maisons d’occupation dorsétienne récente dans l’Extrême-Arctique canadien. Moins de 20 de ces maisons ont pour l’instant fait l’objet d’une fouille, ce qui signifie que notre échantillon mis au jour est probablement inférieur à 1 % du total des maisons occupées durant les siècles où les peuples dorsétiens et nordiques auraient pu avoir des contacts. D’après un échantillon de cette taille, le fait que nous ayons récupéré du matériel nordique de trois structures de l’Extrême-Arctique suggère que le contact aurait pu être plus fréquent que ce que l’on soupçonnait auparavant.

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Conclusions


Les brins de cordon et le bois reconnus dans les collections de Nunguvik, de même que le métal fondu récemment récupéré dans des sites dorsétiens récents d’autres régions, ont mené à la considération de nouvelles possibilités quant à la nature des relations entre les peuples dorsétiens et nordiques. Le cordon fournit également une preuve appuyant la croyance voulant que le peuple dorsétien ait survécu dans l’Extrême-Arctique pendant un certain temps après l’arrivé des Nordiques au Groenland alors que la similitude entre le cordon de Nunguvik et celui utilisé à Gården Under Sandet, à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, suggère que les Dorsétiens auraient survécu jusqu’au XIVe siècle.
Que nous apprennent les nouvelles découvertes sur la nature du contact entre les Dorsétiens et les Nordiques? Pour les raisons déjà expliquées, il est suggéré que le bout de cordon filé de Nunguvik pourrait être plus indicateur d’un contact direct à l’île de Baffin que du commerce de longue distance lié à un épisode de contact plus géographiquement éloigné. Si ce contact a eu lieu dans cette région locale, aurait-il pu avoir plus d’influence sur la culture dorsétienne locale que ce que nous en avons déduit à partir des cas de contact dorsétiens-nordiques mieux documentés? La réponse à cette question pourrait se trouver dans l’assemblage inhabituel d’artefacts en bois provenant de la maison N73. Si ce matériel s’avère ressembler autant, voire plus, à la fabrication nordique qu’à la fabrication dorsétienne, nous pourrions être appelés à envisager d’un œil très différent la nature du contact et de l’influence nordique sur les occupants autochtones de l’Extrême-Arctique.

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Addenda



Lors de la préparation de la version finale du présent article, d’autres preuves ont été découvertes dans les collections du Musée canadien des civilisations provenant de deux sites au sud de l’île de Baffin, plus de 1 000 kilomètres de Nunguvik (figure 1). Du cordon filé ou de la ficelle, apparemment tordue à l’aide de laine de bœuf musqué, a été exhumé du site Nanook (KdDq-9) et, tout près, du site Tanfield (KdDq-7) situé à proximité de Kimmirut (anciennement Lake Harbour) sur la côte sud de l’île de Baffin (Maxwell, 1973). Récemment, des échantillons du cordon filé de Nanook ont été identifiés comme ayant été filés à partir de fourrure de lièvre arctique et retordus de la même manière que le cordon provenant de Nunguvik (Walton Rogers, 2000) (figure 8 c). Les collections de Nanook et Tanfield comprennent aussi des artefacts en bois inhabituels (figure 8 a) et une quantité importante de débris de bois que Maxwell décrit, chose intéressante, comme étant de bonne qualité et suggère que « le bois aurait pu être importé du sud plutôt que recueilli au bon gré mal gré du vent et des courants » (1973: 228) [traduction libre]. L’examen de l’assemblage de bois révèle qu’il est très semblable à celui de Nunguvik. Un des fragments de bois récemment réexaminé dans la collection de Nanook (figure 8 b) présente sur une surface un motif géométrique gravé qui n’est pas caractéristique du Dorset, mais qui ressemble à la décoration retrouvée sur les artefacts nordiques [voir Norlund et Stenberger, 1934: figure 101 (c) et Roussell, 1936: figure 103 (1)]. Bien que le site de Nanook ait été associé à une période dorsétienne moyenne en se fondant sur les comparaisons stylistiques et les nombreuses datations au radiocarbone (Maxwell, 1973, 1976), une date unique obtenue par datation au radiocarbone sur des brindilles de saule le situe à 580 ±80 BP (GAK-1288: calibration écart type 1, 1306-1414 apr. J.-C., écart type 2, 1279-1451 apr. J.-C.). Le matériel ayant livré cette date semble provenir d’une localité et d’une profondeur qui l’associent d’assez près au cordon. De plus, l’âge du matériel est semblable à la date de l’échantillon de pin travaillé de Nunguvik N73.

Un cordon et quelques morceaux de bois.

Figure 8 : Cordon et artefacts en bois du site Nanook (KdDq-9), sud de l’île de Baffin :
a. planche plate avec trous à mortaise rectangulaires, b. fragment d’artefact en bois avec motif géométrique gravé sur la face supérieure, c. cordon filé de fourrure de lièvre arctique, d. masque miniature représentant un visage étroit à long nez doté de sourcils proéminents et de ce qui pourrait être une coiffure; le nez et la bouche sont endommagés.
Photo : Patricia Sutherland,
Musée canadien des civilisations

En plus du cordon filé et du bois travaillé inhabituel, le site Nanook a livré un petit masque miniature en bois (figure 8 d) dont la plus grande partie du nez est absente en raison des dommages subis par l’objet. Bien que l’objet soit de style dorsétien, il représente un visage long, peut-être barbu, se distinguant par des sourcils droits très épais et par ce qui pourrait être une coiffure similaire à celles d’autres représentations de personnes vraisemblablement nordiques (Gulløv, 1983).

Du cordon filé a également été retrouvé dans une strate non datée au site de l’île Willows 4 (KeDe-14) à Frobisher Bay, dans le sud-est de l’île de Baffin (figure 1), exhumé par Daniel Odess en 1992 et 1993 (Odess, 1996, 1998). Cet échantillon a récemment été identifié comme étant du cordon filé et retors faite de fourrure de lièvre arctique (Walton Rogers, 2000). Le site de l’île Willows 4 contenait aussi un important échantillon de bois travaillé se situant à l’extérieur de l’étendue générale du style et des techniques des autres assemblages dorsétiens, mais semblable à ceux de Nunguvik et Nanook. On a assigné une période dorsétienne ancienne/moyenne à ce site en se fiant aux styles d’artefact et aux dates obtenues à la datation au radiocarbone (Odess, 1998).

Un cordon apparemment en laine de bœuf musqué aurait été découvert dans un quatrième assemblage du site de l’île Avayalik 1 (JaDb-10) dans le nord du Labrador et qui a été mis au jour par Richard Jordan en 1978 (Jordan, 1980). Le site de l’île Avayalik 1 comprend à la fois des composantes du Dorset moyen et récent, ces dernières datées par une mesure au radiocarbone de 670 ±60 BP (SI-3864: calibration écart type 1, 1284-1390 apr. J.-C., écart type 2, 1255-1408 apr. J.-C.) sur un conifère. Le cordon est associé à la composante du Dorset moyen tout comme un assemblage important et inhabituel de bois travaillé. Des projets en vue de l’examen de ce matériel sont en cours.

L’interprétation voulant que le cordon et les assemblages de bois inhabituel de ces sites soient reliés à un contact avec les Nordiques groenlandais est en désaccord évident avec l’âge évalué des assemblages associés de culture dorsétienne. Le matériel de Nanook et Tanfield, de l’île Willows 4, et peut-être celui de l’île Avayalik 1, de même que de Nunguvik, sont tous associés à des assemblages de culture dorsétienne ayant été établis, par les archéologues qui les ont exhumés, comme appartenant aux périodes dorsétiennes anciennes ou moyennes. Si l’on accepte le milieu du premier millénaire apr. J.-C. comme l’âge assigné au cordon de Nunguvik et l’âge assigné aux composantes pertinentes des autres sites de l’île de Baffin, et si l’on croit que la filature n’était pas une technique indigène utilisée dans l’Arctique nord-américain, force est d’entretenir la possibilité, aussi éloignée puisse-t-elle être, que ces découvertes pourraient représenter une preuve de contact avec des Européens avant l’arrivée des Nordiques au Groenland. Pour l’instant, l’interprétation la plus raisonnable serait de présumer l’existence de problèmes avec la datation au radiocarbone et la provenance des artefacts et que l’association européenne de ce matériel est liée aux Nordiques médiévaux du Groenland. Nous espérons que de nouvelles recherches archéologiques et qu’un examen plus approfondi des problèmes liés aux dates obtenues par datation au radiocarbone et à leurs usages (cf. Park, 1993, McGhee, 2000) permettront d’élucider les écarts actuels d’interprétation.

Compte tenu des récentes découvertes, les conclusions présentées dans le présent article devraient être modifiées de façon à suggérer qu’un contact entre le peuple dorsétien et les Nordiques (ou peut-être des visiteurs antérieurs) aurait pu se produire sur une vaste région des côtes de l’Arctique de l’Est et que ce contact a peut-être été plus complexe et intensif que ce qu’on pensait auparavant.

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Remerciements


Je désire remercier Martin Appelt, Jette Arneborg et Hans Christian Gulløv du Musée national du Danemark de m’avoir invitée à participer à cette conférence et de m’avoir donné l’accès à leurs collections archéologiques pendant mon séjour là-bas. Je voudrais aussi exprimer ma reconnaissance à Else Østergård et Paul Grinder Hanson au Musée national du Danemark pour avoir pris le temps de me montrer les collections de bois et de textiles nordiques du Groenland pendant mon passage à Copenhague. En outre, je veux remercier Penelope Walton Rogers de « Textile Research in Archaeology » à York, en Angleterre, qui a identifié les cordons filés et a répondu à plusieurs de mes questions. Je souhaite reconnaître Daniel Odess du Smithsonian Institution qui a suggéré que j’examine le cordon filé de la collection de l’île Willows 4 qu’il a mis au jour dans le cadre de sa recherche de doctorat. Le Musée canadien des civilisations a assuré un soutien pour une partie de la recherche effectuée en vue du présent article et je voudrais souligner l’aide reçue d’un certain nombre de personnes travaillant au Musée. Stacey Girling-Christie et Tim Panas des Services de gestion des collections ont fourni des heures innombrables tout comme Lindsay Paterson, mon étudiante bénévole. Je veux aussi remercier Julie Hughes et Carolyn Marchand des Services techniques et de conservation, Sarah Prower et Ann Rae des Services de gestion des collections et Sylvie Ledoux de la Commission archéologique du Canada. La Banque des Datations par le Radiocarbone en Archéologie canadienne, compilée par Richard Morlan de la Commission archéologique du Canada, s’est avérée un outil précieux lors de la préparation de mon article et je désire remercier M. Morlan de ses efforts. Enfin, pour l’intérêt qu’ils ont manifesté et les connaissances qu’ils ont partagées, je remercie Jacques Cinq-Mars, Robert McGhee et David Morrison de la Commission archéologique du Canada.

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