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La réforme de la poste dans l’Amérique du Nord britannique du début du XIXe siècle

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La réforme de la poste dans l’Amérique du Nord britannique du début du XIXe siècle – page 1

LA RÉFORME DE LA POSTE DANS L’AMÉRIQUE DU NORD BRITANNIQUE DU DÉBUT DU XIXE SIÈCLE

John Willis
Musée canadien de la poste
Musée canadien des civilisations

Introduction

Le réseau postal moderne du Canada fut créé à la suite de décennies d’expérience institutionnelle antérieures à la Confédération de 1867. Une tradition encore plus longue d’échange de lettres remonte à l’époque de la Nouvelle-France (début du XVIIIe siècle).

Le début du XIXe siècle fut une période clé dans l’histoire de la poste au Canada. Les colons exigeaient de s’occuper de leurs affaires postales, et on leur en donna la possibilité. Ce changement fut à la fois une cause et une conséquence du processus plus global d’accession du Canada à l’indépendance. Tout cela s’inscrivait dans le processus de croissance et d’affranchissement par rapport à la Grande-Bretagne.

La croissance de la population dans l’Amérique du Nord britannique

La colonisation de l’Amérique du Nord britannique n’a pas commencé au début du XIXe siècle, mais elle a connu une croissance considérable à cette époque. La population des trois colonies maritimes de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard passa de 80 000, en 1800, à plus de 500 000 au milieu du XIXe siècle. Celle du Bas-Canada doubla entre 1825 (480 000) et 1851 (890 000). La population du Haut-Canada augmenta de six fois, passant de 158 000 à 952 000.

Des colons s’établirent dans des régions vierges, dans la vallée supérieure du fleuve Saint-Jean, au nord et dans les terres depuis le lac Ontario et le lac Érié, vers les Cantons de l’Est, au sud et à l’est de Montréal. La population des campagnes se densifia. Des ports devinrent des villes, des petites villes s’agrandirent. Tous les secteurs de l’économie connurent une croissance, par exemple la production de blé, l’extraction du charbon, l’exploitation forestière, la pêche, etc. L’extension des établissements et la croissance des villes furent importantes, mais la complexification de la société constitua un changement encore plus important. On avait de plus en plus besoin de communiquer.

Relier les colonies

Au début du XIXe siècle, la parole était un puissant outil de communication. Les nouvelles circulaient par le « téléphone arabe », dont le centre était généralement le marché ou la taverne. Des rumeurs de conduites scandaleuses se répandaient à la vitesse de l’éclair sur le perron de l’église. Dans la communauté étroitement soudée d’une paroisse rurale, qu’elle fût protestante ou catholique, personne ne pouvait se permettre d’être mis à l’index. Pourtant, le verbe écrit devenait de plus en plus important dans la vie quotidienne et dans la culture des colonies.

Les livres étaient la source de nouvelles idées. De plus en plus, ils étaient accessibles dans les bibliothèques publiques et privées de l’Amérique du Nord britannique. Les journaux étaient un autre véhicule du verbe écrit. Dans certaines régions, la majorité de la population était illettrée, mais des opinions exprimées librement dans des écrits imprimés se répandaient à tous les échelons de la société. Des dynasties d’éditeurs de journaux apparurent.

Annonce en noir et blanc dans un journal

Avant que les journaux ne se répandent, la lettre était le principal moyen de communication dans la société canadienne. L’individu jouait un rôle important dans le processus de rédaction et d’échange des lettres, lequel donna naissance au système postal. Dans ce système, les auteurs des lettres étaient soit les porteurs de messages, les créateurs de messages, ou les deux.

Les porteurs de messages

Peinture montrant un port achalandé avec plusieurs bateaux.

Le principal moyen de faire circuler le courrier privé d’un lieu à l’autre consistait à le confier à un voyageur prêt à le porter par faveur, d’où l’expression ancienne de courrier « par faveur ». Le courrier était transporté par les voyageurs de la traite des fourrures qui se rendaient dans le « pays d’en haut ». Il voyageait à bord de navires en partance pour l’Europe, sur la personne d’un fonctionnaire ou d’un colon allant y faire des affaires. Les marchands échangeaient des lettres, des notes de crédit et des ordres d’inventaire avec des fournisseurs d’outre-Atlantique, par l’intermédiaire d’agents de New York. Ceux-ci veillaient à ce que le courrier soit mis à bord de navires à destination de la Grande-Bretagne et s’assuraient aussi que le courrier qui arrivait était acheminé vers le Canada ou les colonies maritimes. À l’intérieur des colonies, les évêques et les prêtres confiaient leurs lettres à des messagers. Parfois, leur correspondance était envoyée à l’adresse d’un intermédiaire qui s’en chargeait plutôt qu’à un bureau de poste.

Le système postal ancien était ainsi un réseau informel constitué des auteurs des lettres et de leurs agents de livraison, tous reliés les uns aux autres d’un port à l’autre, ou le long de voies de commerce et de transport. Cela n’était pas nouveau dans les colonies canadiennes. Le système date probablement du XIVe siècle, quand des marchands italiens conçurent le premier système décentralisé de contrôle commercial et de distribution de l’information. Il fut la base du traitement de l’information d’affaires pour toute l’économie mondiale au cours des cinq siècles qui suivirent.

Les créateurs de messages

Gomme à encre et une agathe sur un ancient morceau de papier.

L’habitude d’envoyer des lettres par une autre personne n’était qu’un aspect d’une tradition plus globale d’envoi et de rédaction de lettres. Les auteurs de lettres façonnaient leurs propres instruments d’écriture avec des plumes d’oie. Il n’y avait pas de touche permettant, comme sur les modernes claviers d’ordinateur, d’effacer les mots indésirés. Il fallait gratter les fautes au moyen d’un instrument affûté.

Une fois la lettre écrite, on la pliait à la main – on ne se servait pas alors d’enveloppes – et on la cachetait. La cire à cacheter, généralement rouge (le noir servait aux faire-part de décès), était fondue à la flamme d’une bougie et déposée sur la ligne du pli. On apposait ensuite une empreinte personnelle sur la cire. L’auteur de la lettre participait manuellement à chaque étape du processus. Quand la lettre arrivait à destination, on se la transmettait les uns aux autres et quelqu’un la lisait parfois à haute voix pour la famille. À l’occasion, on griffonnait des notes à l’extérieur de la couverture en transmettant la lettre à la personne suivante. La lettre était une chose vivante, une chose précieuse. Était-elle trop précieuse pour le courrier de Sa Majesté? Pour répondre en peu de mots : pas tout à fait.

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Le système postal dans l’Amérique du Nord britannique

Dans toute l’Amérique du Nord britannique, il y avait un réseau postal officiel. Les débuts de son histoire furent marqués par l’établissement d’un bureau de poste à Halifax en 1754; la création d’itinéraires postaux et de bureaux de poste dans la vallée du Saint-Laurent après la conquête de la Nouvelle-France en 1763, et la nomination de fonctionnaires responsables du réseau.

Le plus haut responsable de la poste coloniale était le Deputy Postmaster General. Il nommait des maîtres de poste dans les régions rurales ainsi que des commis et des facteurs dans les bureaux de poste de Montréal, Trois-Rivières et Québec. (Son homologue de Halifax faisait à peu près la même chose pour le service postal de Nouvelle-Écosse.) Il recevait un traitement annuel de 500 livres, une allocation fixe de 30 livres et une partie des frais d’affranchissement des journaux. Cela lui donnait la jolie somme de près de 4000 livres par an, faisant de lui un des fonctionnaires coloniaux les mieux payés, et une cible idéale pour ceux qui affichaient des sentiments anti-britanniques. Trois commis étaient adjoints au Deputy Postmaster General, ainsi qu’un gardien, et plus tard un comptable et deux arpenteurs, dont l’un était en poste dans le Haut-Canada. Vers 1840, il y avait jusqu’à 400 maîtres de poste offrant des services aux clients du Haut-Canada et du Bas-Canada.

La quantité de courrier dans le système postal était d’environ 1,8 million de pièces. En outre, 231 000 lettres étaient probablement expédiées gratuitement grâce à l’exemption à laquelle avaient droit les marins, les militaires ainsi que les fonctionnaires de l’administration et de la poste. Une quantité équivalente de courrier (à peu près deux millions d’articles) circulait hors du système. « La correspondance non officielle du pays, d’après une commission d’enquête postale, doit avoir quasiment triplé » entre 1828 et 1840. À la fin de la première moitié du siècle, il y avait de plus en plus de courrier, tant officiel que non officiel.

Assurer la sécurité du courrier

Un sac en cuir servant pour le transport des lettres.

Les procédures de sécurité protégeant le courrier de Sa Majesté n’étaient pas particulièrement rigoureuses. Pour le système non officiel, il n’en existait probablement pas. En chemin, les sacs postaux étaient ouverts régulièrement par les divers maîtres de poste, même s’ils étaient cadenassés. Pour trouver le courrier adressé à cette localité, le maître de poste devait fouiller à travers les paquets de courrier. Puis il jetait ses propres paquets dans le sac.

Ce n’est que le long du long itinéraire postal de Fredericton (Nouveau-Brunswick) à Amherstberg (Haut-Canada) que le courrier effectuant tout le chemin était conservé dans un sac distinct, le « grand sac des malles ». Un autre sac, le « sac de route », transportait le courrier destiné aux divers bureaux de poste en chemin. Le grand sac ne devait pas être emporté dans les bureaux de poste, et on ne devait pas toucher au contenu des paquets, mais des erreurs se produisaient parfois.

Le climat du Canada était le défi le plus redoutable auquel étaient confrontés les responsables de la poste. Le temps ne manquait pas de causer régulièrement des dommages au courrier. Une équipe d’hommes qui, en 1847, transporta le courrier de Halifax à Québec en un temps record fut victime de l’ironie du sort, leur chargement ayant été en grande partie détruit :

[ … ] tant les lettres que les papiers ont beaucoup souffert des pluies constantes dont on n’a pu protéger efficacement les sacs [ … ]  Beaucoup des liasses de lettres étaient tellement saturées d’eau – et moulues par la friction inévitable causée par un voyage de plus de 800 milles [1200 km] – qu’elles n’étaient plus qu’une masse de pulpe en sortant des sacs! Nous avons fait de notre mieux pour sécher les lettres et nous avons réuni les parties détachées, mais beaucoup étaient devenues inutilisables.

Diverses mesures furent prises pour protéger le courrier au cours des longs déplacements par voie terrestre. Les dommages dus à la friction étaient réduits si l’on enveloppait les liasses dans du papier brun épais bien attaché et qu’on les plaçait serrées dans les sacs postaux. On mettait les sacs sur des lits de paille pour les empêcher de frotter contre le plancher de bois du chariot ou du traîneau.

Les sacs postaux étaient censés être imperméables. Les lourdes valises de cuir étaient plus efficaces, ainsi que les boîtes en fer et en fer-blanc. Dans certains cas, les sacs postaux étaient recouverts de toile goudronnée pour les protéger des intempéries. On se servait de matières imperméables telles que la toile cirée, le caoutchouc et la peau de mouton peinte. Un inconvénient de la peau de mouton était qu’elle prenait facilement feu. On commença à estimer particulièrement la toile cirée quand on apprit qu’une lettre expédiée dans cette matière était restée intacte après qu’un envoi de courrier eut accidentellement passé à travers la glace du fleuve Saint-Jean en 1842.

Transporter le courrier d’outre-mer d’est en ouest

Le courrier circulait dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique grâce à la poste et à un réseau de messagers et d’agents non officiels. L’une et l’autre utilisaient les transports normaux. Le courrier était échangé avec l’Europe à travers l’Atlantique via Halifax et New York. En raison de la concentration massive de navires dans le port de New York, le courrier entre l’Europe et l’Amérique du Nord britannique passait par là. Le courrier de Toronto, Montréal et même Saint John (Nouveau-Brunswick) était expédié via New York. Les navires qui transportaient le courrier entre la Nouvelle-Écosse et la Grande-Bretagne circulaient aussi entre New York et l’Angleterre. Halifax n’était qu’une escale supplémentaire.

Une carte montrant le grand itinéraire postal en 1839

Une fois le courrier à destination du Nouveau-Brunswick et du Haut et du Bas-Canada parvenu à Halifax, on le réexpédiait par vapeur l’été et par voie de terre l’hiver. Des retards se produisaient. À Halifax, par exemple, les lettres destinées au Haut et au Bas-Canada étaient mises dans un ensemble de sacs. Les lettres pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse étaient placées dans un autre sac. Les gens du Nouveau-Brunswick devaient attendre que le maître de poste de Halifax et son personnel aient eu le temps de séparer le courrier de Nouvelle-Écosse du leur avant qu’on le leur livre. Le courrier gagnait le Nouveau-Brunswick par voie terrestre via Truro (Nouvelle-Écosse), et, de plus en plus, à travers la baie de Fundy à bord du traversier Saint John-Digby. En 1821, une goélette fut construite, « un vaisseau supérieur conçu expressément pour le confort des passagers et la sécurité du courrier ». Sept ans plus tard, un vapeur fut introduit sur cet itinéraire. En 1830, on projetait de construire un nouveau bateau équipé d’un moteur à vapeur plus puissant de 40 hp.

Carte montrant la région de Montréal du grand itinéraire postal.

Le voyage par voie de terre entre Fredericton (Nouveau-Brunswick) et Amherstberg (Haut-Canada), les deux extrémités de la grande voie postale, était difficile. La route était longue de 1900 km (ou 1200 milles). Il y avait 10 arrêts principaux et nombre d’arrêts moins importants. Il fallait 55 heures simplement pour transporter le courrier de Fredericton au lac Témiscouata, soit une distance de 343 km (230 milles). Quarante heures plus tard, les sacs postaux se trouvaient à Québec (240 km/160 milles), où ils étaient mis à bord d’un vapeur à destination de Montréal, ou d’une diligence spécialement conçue qui effectuait le trajet sept jours par semaine.

Un réceptacle en bois utilisé pour y déposer du courrier.

La navigation à vapeur et les spectaculaires progrès de la navigation fluviale améliorèrent considérablement le transport du courrier le long des voies navigables du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Un service postal spécialisé en navire à vapeur fut introduit et une boîte aux lettres clairement identifiée devint un élément familier à bord des bateaux. À partir de 1847, six conducteurs, chacun avec son propre tampon d’oblitération en acier, accompagnèrent le courrier à bord des vapeurs entre Montréal et Toronto. Aux escales, le courrier était transporté des quais au bureau de poste le plus proche dans un chariot ou une charrette couverts portant l’inscription « Post Office Mail ». À l’été 1852, le British Daily Whig de Kingston écrivait que le courrier se rendait du Haut-Canada à Québec en à peine 23 heures. À cette époque, Belleville recevait quotidiennement du courrier par vapeur. En 1853, la ville de Hamilton recevait aussi son courrier par bateau à vapeur.

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Deux cordes à l’arc du conducteur de diligence : le courrier et les passagers

Sur terre, les propriétaires et exploitants de diligences comptaient à la fois sur les passagers et sur le courrier pour survivre. Dès les années 1780 et le début du XIXe siècle, il est question de diligences transportant courrier et passagers entre Fredericton et Saint John.

Photo en sepia de l'entrée d'un village québécois.

Le transport du courrier et des passagers dans l’île de Montréal, et hors de celle-ci, fit aussi coïncider les intérêts des exploitants de diligences, des maîtres de poste et des aubergistes. Dans la région de Montréal, on trouvait également des systèmes privés de transport du courrier. L’un d’eux fut établi en 1808 entre le village de Terrebonne, sur la rive nord, et Montréal. L’entrepreneur était autorisé à transporter des passagers, des marchandises et du courrier à bord de ses diligences, ou « bonnes voitures ». Toutefois, il avait pour consigne expresse de ne pas porter de « messages de vive voix » pouvant nuire aux intérêts de ses clients. Cela donne à penser que nombre de messages oraux circulaient ainsi dans les chariots avec les marchandises, les passagers et le courrier.

Un événement en apparence banal survenu en 1853, le vol de la diligence Halifax-Pictou, montre comment on utilisait les diligences. À cette occasion, les voleurs dérobèrent les bagages d’une voyageuse. Dans sa malle se trouvaient plusieurs centaines de livres en pièces de monnaie et un certain nombre de lettres. Une bonne partie du courrier volé était constitué de journaux, lesquels étaient de toute évidence dignes de l’intérêt des voleurs, ce qui montre que les éditeurs de journaux se servaient couramment de la poste.

Dans les années 1830 et 1840, les éditeurs de journaux ne pouvaient se permettre de ne compter que sur le réseau non officiel de transport du courrier pour atteindre leurs clients. L’éditeur pouvait demander à des passagers disposés à ce faire de transporter gratuitement des exemplaires de journaux. Toutefois, il ne pouvait jamais être tout à fait sûr que ces journaux seraient livrés à ses abonnés. Pourtant, c’est exactement ce qui arriva à Edmund Ward, l’éditeur de journaux du Nouveau-Brunswick et de Nouvelle-Écosse, à l’hiver de 1843. Ne pouvant disposer de passagers pour transporter ses journaux, il fut incapable de distribuer l’édition de février de son journal à ses lecteurs du comté de Charlotte, au Nouveau-Brunswick. Il ne lui restait plus qu’à les envoyer par la poste.

Les journaux

En 1849, les édifices du Parlement de la province du Canada, à Montréal, furent détruits par une foule en colère. La populace réunie pendant la nuit du 25 avril 1849 pour brûler le bâtiment législatif répondait à un appel d’inspiration tory paru dans la Gazette de Montréal. Le journal avait suscité du ressentiment chez certains Montréalais qui se sentaient trahis par des fonctionnaires britanniques. La presse était devenue un facteur important orientant l’opinion publique. Comment la presse transmettait-elle ses messages? Par la poste.

Portion du The Montreal Gazette

La Gazette de Montréal, par exemple, était livrée aux citadins par des petits livreurs. Pour les lecteurs des régions rurales, par exemple dans les Cantons de l’Est, la poste livrait le journal. En Nouvelle-Écosse comme dans le Bas-Canada, le courrier était important pour les journaux. Des pétitions de lecteurs furent présentées au corps législatif colonial pour exprimer leur frustration en raison de l’absence de service postal. Les habitants de Parrsboro (Nouvelle-Écosse) sollicitaient un meilleur service postal « à cause des lettres et de leurs journaux américains et du Nouveau-Brunswick ». Les citoyens de Five-Mile Village (Nouvelle-Écosse) réclamaient un nouvel itinéraire postal pour qu’ils puissent recevoir et envoyer leurs lettres et leurs journaux en toute sécurité. Certains habitants du comté de Cumberland se voyaient « pratiquement nier le privilège de lire des journaux » à cause de l’absence de service postal régulier neuf mois sur douze.

Page couverture du journal La Minerve

Le service postal était une nécessité pour les éditeurs de journaux de toute l’Amérique du Nord britannique, et pas seulement à cause de l’accès qu’il leur donnait à leurs lecteurs. Pour les éditeurs canadiens, l’échange postal des journaux était un moyen vital de partage de l’information avec d’autres éditeurs. De cette manière, les éditeurs de journaux pouvaient recevoir des exemplaires de tous les journaux coloniaux franco de port. Vers 1840, il y avait peut-être jusqu’à 156 000 exemplaires de tels journaux circulant par la poste dans l’Amérique du Nord britannique. Les nouvelles se trouvaient ainsi transmises partout, à la façon d’une réaction en chaîne, d’une ville à l’autre. Si, par exemple, un incendie se produisait dans une ville, les articles du journal de cette ville ne tardaient pas à paraître dans le journal d’une autre ville, et ainsi de suite, de sorte que le même article se trouvait copié et recopié, parfois avec quelques enjolivements.

Les éditeurs de journaux et la réforme postale

La poste était doublement importante pour l’industrie des journaux, mais les éditeurs hésitaient à payer le coût du service postal. Ils croyaient que c’étaient les abonnés, et non les éditeurs des journaux, qui devaient payer les quatre à cinq shillings qu’il en coûtait pour poster chaque journal. Ils affirmèrent dans une pétition déposée en 1829 devant un corps législatif colonial que ce coût était « un grand obstacle à la diffusion de la connaissance ». Ils étaient irrités du fait que les recettes servaient à augmenter le traitement du Deputy Postmaster General au lieu d’être utilisées pour améliorer le service postal.

Il n’est donc pas étonnant que les éditeurs aient été au premier rang du mouvement réclamant une réforme des postes et que le Deputy Postmaster General du temps, Thomas Allen Stayner, ait été la cible de leur colère. Les partisans de la réforme exigeaient une réduction des tarifs d’affranchissement dans les colonies, et pas seulement pour les journaux. On faisait souvent observer dans les journaux qu’il en coûtait moins d’envoyer une lettre de Grande-Bretagne à Halifax que de Halifax à Toronto. Les tarifs uniformes inférieurs introduits en Grande-Bretagne avec l’apparition du timbre-poste en 1840 n’étaient pas passés inaperçus dans l’Amérique du Nord britannique.

Les coloniaux exigeaient aussi une autorité qui soit responsable des postes devant chacun des corps législatifs des colonies. Leur souhait de maîtriser leurs propres affaires postales s’inscrivait dans un mouvement général de revendication d’un gouvernement responsable. Les coloniaux partisans d’une réforme cherchaient à arracher la maîtrise de leurs affaires politiques aux fonctionnaires britanniques qui agissaient souvent sans les consulter. Les pressions exercées sur les Britanniques pour qu’ils abandonnent leur autorité sur les colonies s’accrurent notablement pendant cette décennie.

Des demandes et des pétitions en faveur d’une réforme des postes parurent dans les journaux coloniaux à côté de demandes plus spectaculaires en faveur d’un gouvernement responsable. L’agitation postale se répandit jusque dans les corps législatifs des colonies, s’intensifiant en particulier pendant les années 1840. Des chambres de commerce et des groupes d’affaires locaux y participèrent. En fait, une grande partie de l’élite instruite de l’Amérique du Nord britannique était consciente de la nécessité d’une réforme des relations avec la Grande-Bretagne. Concrètement, il n’était tout simplement pas commode que les postes soient dirigées par des fonctionnaires impériaux de l’extérieur qui ne tenaient pas compte des besoins des colonies. Là réside l’importance particulière de la réforme postale dans le contexte global de la réforme politique. La notion de gouvernement responsable était bien entendu plus radicale et plus spectaculaire, et la question de la réforme des postes pouvait au départ sembler n’être qu’un détail. Mais c’était un détail omniprésent qui entraînait les colonies vers l’autonomie.

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Conclusion

En 1846, l’accession au pouvoir en Angleterre d’un nouveau gouvernement whig ouvrit la porte à une réforme postale et à un gouvernement responsable dans l’Amérique du Nord britannique. En 1847, des représentants de chacun des gouvernements coloniaux se réunirent à Montréal pour élaborer une plate-forme commune de réforme des postes et d’autonomie postale. Le rapport qui en résulta fut approuvé par la suite par les divers corps législatifs. Chaque province devait avoir la maîtrise de son propre service des postes. L’accord prévoyait aussi des tarifs d’affranchissement uniformes entre les provinces.

L’approbation impériale définitive vint en juillet 1849. Il fallut environ deux ans pour effectuer le transfert. Dès 1851, le ministre des Postes, qui était un membre de haut rang du cabinet, devint le responsable de la gestion des affaires postales dans chacune des trois provinces. Les provinces du Canada, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse introduisirent chacune leurs propres timbres-poste. Après plusieurs dizaines d’années d’agitation et de réforme, ces petits bouts de papier constituèrent une importante avancée sur le plan politique.

Avis dans la Montreal Gazette

La demande d’un réseau postal efficace géré par les colonies avait suivi des dizaines d’années d’évolution culturelle, de croissance économique et de développement des transports. Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les colonies de l’Amérique du Nord britannique se rapprochaient graduellement. On lisait dans chacune les journaux des autres. On commerçait et on se visitait souvent. Le réseau de transport contribua à l’intégration et servit à transporter le courrier. Dans une certaine mesure, leurs attentes face au système postal ébranlèrent leur loyauté sans faille à l’égard de la reine et de l’Angleterre.

Les habitants de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick ainsi que du Haut et du Bas-Canada, ou en tout cas leurs élites, cherchaient à arracher du pouvoir aux fonctionnaires britanniques. Le résultat n’était ni écrit d’avance ni inévitable. Certaines de ces pierres purent être facilement mises en place. D’autres moins. Aujourd’hui, nous subissons toujours les conséquences de ce processus imparfait. D’autre part, la confrontation avec le pouvoir impérial – qui eut lieu tant au niveau postal qu’au niveau politique – était à la fois irréversible et peut-être inévitable. La poste joua un rôle important dans cet exercice d’éveil colonial, dans cette tentative de devenir autre chose qu’un simple satellite de la Grande-Bretagne.

La réforme de la poste dans l’Amérique du Nord britannique du début du XIXe siècle – Lectures suggérées

Références

  1. BERCUSON, David J., et al. Colonies: Canada to 1867, Toronto, McGraw-Hill Ryerson Canada, 1992.
  2. DAUPHIN, Cécile, et al. Ces bonnes lettres : Une correspondance familiale au XIXe siècle, (Histoire), Paris, Albin Michel, 1995.
  3. GADOURY, Lorraine. La famille dans son intimité : échange épistolaires au sein de l’élite canadienne du XVIIIe siècle, Montréal, Hurtubise HMH, 1998.
  4. GOHEEN, Peter. « Canadian Communications circa 1845 », dans Geographical Review, vol. 77, no 1 (janvier 1987), p. 35-51.
  5. GOHEEN, Peter. « Communications and Newsmaking before the Telegraph: The Story of the 1845 Quebec City Fires », dans The Canadian Geographer, vol. 37, no 3 (automne 1993), p. 230-242.
  6. HARRISON, Jane. Adieu pour cette année : La correspondance au Canada, 1640-1830, Hull, Musée canadien des civilisations et XYZ éditeur, 1997.
  7. McINTYRE, Sheila. « My Affections Must Take my Pen: Female Correspondence in Early New England », manuscrit inédit présenté à la réunion annuelle de la Société historique du Canada, 1998.
  8. NOËL, Françoise. « Note de recherche : My Dear Eliza: The Letters of Robert Hoyle, 1831-1844 », dans Histoire sociale/Social History, vol. 26, no 51 (mai/May 1993), p. 115-130.
  9. RUTHERFORD, Paul. The Making of the Canadian Media, Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1978.
  10. SMITH, William. The History of the Post Office in British North America, Cambridge (Angleterre), Cambridge University Press, 1920.
  11. « L’Univers fascinant du livre », dans Cap-aux-Diamants 63 (automne 2000)
  12. WILLIS, John. « The Canadian Colonial Posts: Epistolary Continuity, Postal Transformation », manuscrit inédit, publication à venir.

Autres références

  1. Correspondance de Thomas Allen Stayner aux Archives nationales du Canada, Archives du ministère des Postes et de Postes Canada, Groupe d’archives 3.
  2. Assemblée législative de la province du Canada. Annexes et documents parlementaires, 2e session, 2e Parlement, 1846, annexe F : « Report of the Commissioners appointed to enquire into the affairs of the Post Office Department in of British North America, 26 March 1846. »
  3. Divers journaux coloniaux de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe à Montréal, Toronto, Kingston, Bytown (Ottawa), Saint John et Halifax contiennent beaucoup de choses, critiques ou non, sur les affaires postales.