La Loi sur les langues officielles : une naissance mouvementée (1962-1969)

Xavier Gélinas

« L’anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du Parlement et du gouvernement du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ».

− Extrait de la Loi sur les langues officielles, 1969

À l’établissement de la Confédération canadienne, en 1867, les droits de la langue française sont strictement définis : on permet son usage dans les débats parlementaires à Québec et à Ottawa et on prévoit que les lois fédérales seront publiées dans les deux langues et que les procès pourront se dérouler dans l’une ou l’autre langue dans les tribunaux québécois et fédéraux. C’est bien peu, compte tenu de la forte proportion de Canadiennes et de Canadiens francophones.

Les choses évoluent lentement, très lentement. Par exemple, il faudra attendre 1927 pour que les timbres-poste deviennent bilingues, 1936 pour les billets de banque, et 1959 pour la traduction simultanée à la Chambre des communes.

Au début des années 1960, les esprits s’échauffent. Que ce soit pour l’éducation, pour l’accès aux services publics et à des postes de fonctionnaires ou pour la reconnaissance symbolique, un grand nombre de francophones s’estiment citoyens de seconde zone dans leur propre pays. Au Québec, la Révolution tranquille témoigne du mécontentement de la population canadienne-française (on ne parle pas encore de « Québécois ») à l’égard de sa situation économique, culturelle et politique. « Maîtres chez nous! » − c’est le slogan électoral du Parti libéral du Québec en 1962. De nombreuses personnes sont attirées par l’option indépendantiste. Les anglophones du Québec, de leur côté, s’inquiètent de cette fierté nouvelle : leurs droits acquis seront-ils menacés? À l’extérieur du Québec, les francophones s’affirment aussi, à l’exemple des communautés acadiennes encouragées par l’accession d’un des leurs, Louis Robichaud, à la tête du Nouveau-Brunswick en 1960.

À Ottawa et chez les anglophones du Canada, on perçoit le malaise sans toujours le comprendre. What does Québec want?, entend-on souvent. Le pays traverse une période de redéfinition : si plusieurs maintiennent leur vision d’un pays essentiellement britannique par les traditions, la langue et l’ethnicité, d’autres rêvent d’une conception plus moderne, plus indépendante, plus souple, qui intègre mieux les réalités linguistiques et la diversité des identités.

Rapport de la Commission Laurendeau-Dunton

Rapport de la Commission Laurendeau-Dunton en anglais et en français. Musée canadien de l’histoire, FC 145 B55 C226 et FC 145 B55 C22614

Le 26 janvier 1962, le rédacteur en chef du prestigieux quotidien Le Devoir, André Laurendeau, réclame une vaste commission d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme pour aller au fond des choses. Il sera entendu! Le nouveau gouvernement de Lester B. Pearson annonce la création d’une telle commission en juillet 1963. Il nomme coprésidents André Laurendeau et Davidson Dunton, recteur de l’Université Carleton et ancien président de la Société Radio-Canada. Ils seront assistés de huit commissaires et d’une copieuse équipe de recherche.

Pendant 93 mois, la Commission sillonne le pays, reçoit 400 mémoires, tient des centaines d’audiences, de réunions publiques et même de coquetels, à l’écoute de la population canadienne. Ses membres échangent, se disputent, se réconcilient, et soumettent un rapport en six volumes qui appelle à un meilleur équilibre entre les anglophones et les francophones du pays.

Le gouvernement fédéral avait déjà posé des gestes concrets, notamment avec la Politique sur le bilinguisme dans la fonction publique, déposée par le premier ministre Pearson en avril 1966 et affirmant le principe de l’égalité d’accès des anglophones et des francophones. Mais c’est la Loi sur les langues officielles, entrée en vigueur le 7 septembre 1969, qui concrétise et donne un nouvel élan à ce réaménagement linguistique. Dorénavant, les fonctionnaires pourront travailler dans la langue de leur choix, là où le nombre le justifie, et surtout l’ensemble de la population d’un océan à l’autre aura accès à la plupart des services gouvernementaux dans la langue désirée.

Un nouveau chapitre de l’histoire canadienne vient de s’ouvrir.

Partie 2 : La Loi sur les langues officielles : les premières années (1969-1977)

Xavier Gélinas, Ph. D., est conservateur, Histoire politique, au Musée canadien de l’histoire.