Une simple planche, la clé d’un mystère?

Le 4 juillet 2013

En 1954, Paul Cooper cherchait des traces de l’expédition perdue de Sir John Franklin. Un Inuit lui raconte alors avoir trouvé une vieille planche près du site où, selon la mémoire vivante des Inuits de la région, l’un des navires de Franklin avait été broyé par les glaces un siècle auparavant. La planche patinée par les intempéries aurait-elle pu appartenir à l’infortuné Erebus ou Terror?

L’Inuit donna la planche à Cooper, auteur et historien amateur de l’Arctique, qui l’envoya aux Archives nationales, à Ottawa, accompagnée d’une note expliquant qu’il pourrait s’agir d’une relique de Franklin. La planche trouva ensuite son chemin jusqu’à la collection historique du Musée canadien des civilisations. Et elle y demeura, cataloguée, mais oubliée, jusqu’à ce que l’archéologue de l’Arctique Karen Ryan la redécouvre en octobre dernier, alors qu’elle organisait une petite exposition sur le passage du Nord-Ouest.

« J’étais retournée à la salle des collections, à la recherche de quelque chose d’autre, raconte-t-elle, quand j’ai vu la planche sur une tablette juste au-dessus de ma tête, avec une étiquette qui pendait et sur laquelle était inscrit un numéro d’artefact. Je pouvais à peine la voir, même hissée sur le bout de mes orteils, mais j’ai pensé : il me la faut! »

Intriguée par la note manuscrite de Cooper, Karen Ryan a dès lors commencé à étudier les autres indices qui pourraient établir un lien entre cet artefact et les navires de Franklin, lesquels ont disparu en 1848 et n’ont jamais être retrouvés.

Bien soupeser les preuves

Niché dans la planche d’une épaisseur de 7,6 cm se trouvait un clou de 21 cm fabriqué à la main. Ce clou présentait toutes les caractéristiques des clous utilisés par les charpentiers de navire britanniques du XIXe siècle pour fixer les planches de pont. Il était donc possible que cette planche date de l’époque où avaient été construits l’Erebus et le Terror. Karen Ryan a alors commandé les plans de ces navires auprès du National Maritime Museum de Greenwich, en Angleterre, pour découvrir que les ponts des deux navires avaient de fait été fabriqués à l’aide de planches de bois d’une épaisseur de 3 pouces, en bois de sapin pour être plus précis. Elle s’est précipitée au laboratoire de conservation de Parcs Canada pour déterminer si la planche qu’elle avait entre les mains était bien faite de sapin. Mais selon les experts, il s’agissait plutôt de pin.

« Que voulez-vous dire, du pin?, leur ai-je demandé », se rappelle Karen Ryan. Elle s’est de nouveau plongée dans les ouvrages de référence sur la construction navale au XIXe siècle et le mystère s’est éclairci : les termes « pin » et « sapin » étaient à cette époque utilisés de manière interchangeable.

Bien qu’il demeure possible que l’artefact ait appartenu à un autre navire britannique, un élément de preuve additionnel fait pencher la balance en faveur de Franklin. La planche a été trouvée à Franklin Point, sur l’île King William, à peine 30 kilomètres au sud du dernier endroit connu par lequel sont passés les navires de Franklin, ainsi que tout près de l’endroit où des Inuits, interrogés par des équipes de recherche à la fin du XIXe siècle, avaient aperçu un navire européen écrasé par la banquise.

Bien que la preuve ne soit pas entièrement concluante, Karen Ryan indique que la planche pourrait toutefois nous indiquer où chercher pour retrouver les vestiges d’au moins un des navires perdus de Franklin.

« En supposant que cette planche provienne bel et bien de l’un des deux navires, nous pouvons de nouveau nous pencher sur l’histoire orale des Inuits, laquelle raconte que le navire a été brisé par les glaces au nord-ouest de l’île King William, dit-elle. Pris conjointement, ces deux éléments pourraient s’authentifier l’un l’autre. »