Femme, Vie, Liberté : Les manifestations canadiennes et le soulèvement en Iran

Steve McCullough

Un ensemble de pancartes et d’affiches, dont certaines sont écrites en kurde et en persan; sur l’une est imprimé un visage monochrome bleu au-dessus du nom « Zhina », et sur une autre, une série de figures stylisées et reliées à l’aide de peinture rouge ressemblant à du sang qui coule.

Le Musée a rassemblé une variété de pancartes de protestation provenant des manifestations « Femme, Vie, Liberté » qui se sont déroulées à travers le Canada. Musée canadien de l’histoire. 2023.61 et 2023. 47

Le 13 septembre 2022, une jeune femme kurde iranienne de 22 ans se rendait à Téhéran avec sa famille. Elle a été interpelée et arrêtée par la soi-disant « police des mœurs » de la République islamique. Cette branche des forces de l’ordre persécute les femmes dont l’habillement n’est pas conforme aux lois strictes sur la pudeur. Quelques heures plus tard, elle était hospitalisée. Trois jours plus tard, elle était morte. Elle s’appelait Mahsa Jina Amini.

Sa mort a déclenché la plus grande révolte menée par des femmes en Iran depuis la révolution de 1979. Cette révolte est devenue le mouvement « Femme, Vie, Liberté », qui s’inspire d’un cri de ralliement kurde populaire. Des manifestations de solidarité avec le soulèvement grandissant ont eu lieu dans le monde entier, y compris dans plusieurs villes du Canada.

Histoires de diaspora

Une très grande foule remplit un parc et une grande rue de la ville.

Plus de 50 000 personnes se sont rassemblées pour protester contre le régime iranien à Richmond Hill, en Ontario, le 1er octobre 2022. Bibliothèque publique de Richmond Hill.

Saeedeh Niktab Etaati est conservatrice, Diasporas et communautés multinationales, au Musée canadien de l’histoire. Voyant ces manifestations éclater, elle s’est mise à recueillir des pancartes, des banderoles et d’autres matériels pour aider le Musée à raconter cette histoire de bouleversements et de solidarité.

Niktab Etaati est née en Iran et y a vécu jusqu’à l’âge de 27 ans. Elle se souvient elle-même de sa rencontre avec la police des mœurs. Elle affirme avoir trouvé les manifestations « très réconfortantes ». Elle ajoute : « Pour être honnête, c’était une expérience unique pour moi en tant que femme iranienne vivant au Canada. Cela s’est transformé en un phénomène transnational et féministe. »

Le tissu hautement multiculturel de la société canadienne signifie que de nombreuses personnes ici ont des liens étroits avec des crises politiques et culturelles lointaines, telles que les soulèvements en Iran. « Vivre en diaspora, comme peuvent en témoigner de nombreuses personnes immigrantes, est une expérience très différente, déclare Niktab Etaati. Votre vie est scindée. Vous êtes ici, mais vous pensez à là-bas, vous devez donc naviguer et répondre à deux mondes différents. »

Luttes intersectionnelles pour la liberté

Une pancarte de protestation sur laquelle on peut lire : « Exigeons la fin du chauvinisme et de l’idéologie forcée et le début de la liberté des courageuses femmes iraniennes et personnes non binaires d’Iran ».

Le mot « femme » figure en bonne place dans le cri de ralliement « Femme Vie Liberté. », mais le mouvement s’intéresse également aux droits des minorités ethniques, des personnes non binaires et des personnes de la communauté 2ELGBTQIA+. Musée canadien de l’histoire, 2023.47

Les manifestations en Iran ont rassemblé divers groupes sociaux. Le fait qu’elles forment un acte massif de résistance des femmes a fait leur renommée, mais elles reposent également sur une solidarité avec les personnes d’identités diverses issues de tous les milieux et victimes de la répression économique, politique et culturelle.

« Oui, le slogan dit “Femme, Vie, Liberté”, convient Saeedeh Niktab Etaati, mais le terme “femme” englobe ici toutes les entités identifiées comme femmes, toutes les entités marginalisées, toutes les entités oppressées. Cela ne concerne donc pas seulement les femmes. Cela concerne toutes les personnes queers et non binaires. Et le slogan “Queer, Vie, Liberté” est un autre slogan très puissant dans ce mouvement. » Elle note que lorsque la manifestation « Femme, Vie, Liberté » a eu lieu à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), celle-ci a fusionné avec la parade de la Fierté pour former une revendication commune de liberté.

Les manifestations de 2022 s’appuyaient également sur de nombreuses années de mécontentement et de résistance à la République islamique. Deux ans auparavant, une vague de résistance avait éclaté autour de la destruction du vol 752 de la compagnie Ukraine International Airlines, abattu par les Gardiens de la révolution islamique d’Iran et entrainant la mort de toutes les personnes à bord. Cet acte d’assassinat de masse a alimenté un sentiment antigouvernemental durable. Au cours des manifestations de 2022, des pancartes sur le vol 752 étaient visibles dans la foule. Celles-ci figurent maintenant parmi les objets collectés par le Musée. En fait, l’Association des familles des victimes du vol PS752, basée au Canada, a été l’une des principales figures organisatrices, mobilisant la diaspora iranienne de partout au Canada et dans le monde entier pour ces manifestations de solidarité.

Gauche: Une foule portant des pancartes et des drapeaux iraniens.Droite: Une foule manifestant et défilant dans la rue. Au premier plan, plusieurs personnes tiennent une banderole d’une main et tendent l’autre vers l’appareil photo, couverte de peinture rouge. Elles portent des chemises sur lesquelles on peut lire « Femme Vie Liberté ».

Gauche: Les manifestations ne se sont pas limitées aux grands centres métropolitains. Par exemple, des centaines de personnes ont manifesté à Saskatoon. Paivand Society
Droite: Des manifestations ont eu lieu dans tout le Canada, y compris à Montréal. Nous avons flouté leurs visages, car la République islamique a l’habitude de menacer et de mener des représailles à l’encontre des personnes qui manifestent et leur famille. Pedram Khoshbakht/@pedram

Trois affiches : l’une, reprenant le style d’une impression à la planche, montre des figures stylisées reliées à l’aide de peinture rouge ressemblant à du sang qui coule; une autre comporte une impression monochrome d’un visage au-dessus de l’inscription « Zhina : assassinée par l’apartheid sexiste du régime islamique iranien »; et une affiche manuscrite plus petite porte l’inscription « Femme, Vie, Liberté ».

Certains panneaux de protestation nomment et commémorent directement Mahsa Jina Amini. Le texte kurde provient de sa pierre tombale et dit : « Chère Jina, tu ne mourras jamais, ton nom est devenu un symbole. » D’autres ont utilisé l’art pour exprimer la violence sexiste perpétrée par la République islamique. Musée canadien de l’histoire 2023.61.

Preuves et résistance

Safaneh Mohaghegh Neyshabouri a aidé Saeedeh Niktab Etaati à rassembler du matériel de protestation. Elle est professeure canadienne d’origine iranienne et enseigne à l’Université de Calgary. Elle raconte que lorsqu’elle a demandé aux gens d’apporter leurs pancartes et autres matériels, « ils étaient fascinés et voulaient vraiment participer à ce projet. Ils voulaient vraiment que cela soit consigné. »

Ce désir de préserver l’histoire, les preuves et les noms des personnes opprimées peut être une forme de résistance contre l’injustice : « L’un des moments les plus forts, pour moi, lorsque je participais à ces rassemblements et manifestations, raconte Niktab Etaati, c’est lorsque la foule scandait : “Dites son nom! Mahsa Jina Amini!” C’était très, très puissant, parce que le principe de l’oppression est que lorsqu’une personne subit une injustice, celle qui commet l’oppression n’en subit aucune conséquence. Mais cette fois-ci, c’est toute la nation qui s’est levée et qui s’est unie malgré ses différences. »

Histoires multiculturelles multiples et interconnexions

Safaneh Mohaghegh Neyshabouri fait remarquer que la conservation de ces documents par le Musée canadien de l’histoire aide sa communauté : « Pour nous, la communauté canadienne d’origine iranienne, la préservation de l’histoire de ce que nous avons fait et de ce qui s’est passé au sein de notre communauté est une reconnaissance de notre inclusion dans l’histoire du Canada. »

Affiche représentant un dessin en noir et blanc d’une femme aux cheveux longs levant un poing lumineux et tenant un morceau de tissu dans l’autre main, sur un fond rouge foncé. À côté de son poing, on peut lire des lettres en farsi. Le texte « Woman Life Freedom » est écrit en blanc sur le fond rouge, et dans une bande blanche en bas, un texte noir indique « Femme Vie Liberté. En soutien au peuple iranien ».

Les personnes venues manifester ont été encouragées et soutenues par des œuvres d’art puissantes. Vahid Fazel. Musée canadien de l’histoire, 2023.47

Saeedeh Niktab Etaati souligne ce point : « Il n’existe pas de notion unique de l’histoire canadienne. Il n’y a pas qu’un seul récit. C’est un amalgame de multiples histoires. Les gens comme moi, ceux qui ont des identités hybrides, des identités multiples, en font partie. »

Mohaghegh Neyshabouri, quant à elle, ajoute : « Ces choses ne se produisent pas de façon isolée. Elles nous touchent au Canada. Cela nous amène à réfléchir à notre rôle en tant que membres d’une démocratie dans la préservation de notre propre démocratie. En tant que personnes ayant le choix, comment nos choix et nos actes affectent-ils d’autres pays dans leurs efforts vers l’atteinte de la démocratie? »

Écoutez Niktab Etaati et Mohaghegh Neyshabouri dans un épisode d’Artéfactualité pour en apprendre plus sur le soulèvement iranien, les manifestations de solidarité et l’importance de conserver les histoires multiculturelles et intersectionnelles du Canada. Téléchargez et abonnez-vous à Artéfactualité sur la plateforme de baladodiffusion de votre choix – Apple, ou Spotify – ou écoutez la série sur YouTube.


Steve McCullough

Steve McCullough

Steve McCullough, Ph. D., est le stratège de contenu numérique pour le Musée canadien de l’histoire et le Musée canadien de la guerre. Son travail dans le domaine de la création de récits numériques repose sur la compassion et des actions fondées sur des preuves pour parler de l’histoire, de la notion de sens et de l’identité dans un environnement en ligne fragmenté et polarisé, mais aussi dynamique et étroitement lié.