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Un groupe de personnes portant des masques et des vêtements d’hiver s’est rassemblé à l’extérieur, bloquant le passage d’une camionnette. Sur des pancartes visibles dans la foule, on peut lire, en anglais, « Quittez notre ville, squatteurs » et « Rentrez chez vous ».

Documenter l’histoire de la COVID-19 : manifestations, résistance et célébration

Auteurs

  • Steve McCullough

Publié

18 sept. 2024


À quel moment une histoire devient-elle historique?

« C’est la question à un million de dollars », déclare James Trepanier. Celui-ci est conservateur spécialisé en histoire de l’enfance et des mouvements sociaux au Musée canadien de l’histoire. Il est aussi l’une des personnes chargées de rassembler des objets qui témoignent de l’expérience canadienne de la pandémie de COVID-19.

« C’était un évènement comme nous n’en avions jamais vu de notre vivant, poursuit-il. Lorsque la pandémie de COVID-19 a commencé, nous avons commencé à discuter de l’idée de collecter ce qui pourrait être considéré comme historique dans 10, 15 ou 50 ans. »

Protestation et contreprotestation

En janvier 2022, les tensions liées aux restrictions dues à la COVID-19 ont atteint un point d’ébullition. Un imposant convoi de camions et d’autres véhicules de protestation s’est rendu au centre-ville d’Ottawa. Le « Convoi de la liberté » s’est transformé en campement, provoquant des embouteillages dans le centre-ville. Il a finalement été démantelé par l’exercice controversé de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement fédéral.

Les personnes qui manifestaient s’opposaient à ce qu’elles appelaient la « tyrannie du gouvernement ». De nombreux camions ont bloqué la rue devant le Parlement, tandis que d’autres ont parcouru le centre-ville, faisant sonner leurs klaxons et arborant des drapeaux. Les transports en commun ont dû être détournés. Des commerces ont été contraints de fermer leurs portes parce que de nombreuses personnes refusaient de porter des masques. On a fait état de comportements intimidants et agressifs, ainsi que de messages racistes et antiscientifiques de la part des gens du convoi.

Au bout de deux semaines et demie, les gens d’Ottawa en avaient eu assez.

La bataille du pont Billings

À la mi-février, un groupe de personnes résidant à Ottawa s’est rassemblé à l’angle de la rue Bank et de la promenade Riverside, là où le pont Billings traverse la rivière Rideau. Il s’agit de l’un des rares itinéraires menant au centre-ville d’Ottawa par le nord.

Elles y étaient pour bloquer le pont Billings afin d’empêcher d’autres personnes du Convoi de la liberté de rejoindre le campement principal. Ce qui était un groupe de contremanifestation formé de quelques dizaines d’individus au matin s’est transformé en une foule nombreuse, forte de plusieurs centaines de personnes, dans la soirée.

Patrick McCurdy était présent. « Les individus du groupe se décrivent eux-mêmes comme des mamans, des papas et des promeneurs et promeneuses de chiens, et ils se sont simplement placés devant des voitures et les ont bloquées », explique-t-il.

Ce jour-là, le groupe a empêché 35 camions d’accéder à la manifestation dans le centre-ville d’Ottawa.

Un groupe de personnes portant des masques et des vêtements d’hiver s’est rassemblé à l’extérieur, bloquant le passage d’une camionnette. Sur des pancartes visibles dans la foule, on peut lire, en anglais, « Quittez notre ville, squatteurs » et « Rentrez chez vous ».

Des personnes se sont rassemblées sur le pont Billings pour empêcher que d’autres camions ne rejoignent le blocus.

Ashley Fraser / Postmedia

Satire et commémoration

Patrick McCurdy est professeur à l’Université d’Ottawa et étudie les mouvements sociaux, les protestations et les médias grand public. À l’occasion du premier anniversaire de la « bataille du pont Billings », il a créé une fausse plaque de laiton commémorant l’évènement. Elle a été conçue pour imiter les plaques officielles du patrimoine de la ville d’Ottawa.

La plaque porte le texte suivant :

À cet endroit, le 13 février 2022, des citoyens ordinaires et des membres de la résistance de Ram Ranch ont pacifiquement fait obstacle à ceux qui avaient bafoué le droit des citoyens à la paix, à la libre circulation et à la liberté d’expression.

Cette plaque commémore les gens ordinaires qui ont fait quelque chose d’extraordinaire alors que leurs dirigeants ne faisaient rien.

Février 2023

Il l’a installée pendant la nuit. À peine quelques heures plus tard, elle avait été volée. Mais pendant sa courte durée de vie, elle a attiré l’attention des gens de la région et a galvanisé les discussions en ligne sur l’identité des personnes qui l’avaient créée et de celles qui l’avaient retirée.

« Reddit a réagi très rapidement, se souvient McCurdy. Les médias n’ont pas tardé à relever la nouvelle. Je pense que le premier reportage a été diffusé sur CTV, mais d’autres ont rapidement suivi, comme l’Ottawa Citizen et la CBC. »

Il avait apposé la plaque de manière anonyme, ce qui a contribué à attiser la curiosité. Il explique : « De mon point de vue, le fait de l’afficher de manière anonyme a permis de maintenir l’attention sur la contremanifestation le jour de son anniversaire. Et je n’avais pas envie de devenir le sujet de beaucoup de haine, de vitriol ou de menaces en ligne. »

Une plaque en laiton ressemblant à une plaque officielle du patrimoine, intitulée « La bataille du pont Billings ».

La plaque de Patrick McCurdy commémorant la bataille du pont Billings.

Musée canadien de l’histoire, 2023.54.1

Récupérer la plaque

Point crucial : Patrick McCurdy avait créé deux plaques identiques. Lorsque la première plaque a disparu, il a créé un compte Reddit au nom de la plaque, a révélé l’existence de la deuxième copie et a demandé des idées sur ce qu’il fallait faire.

James Trepanier y a vu une grande occasion pour le Musée. Il déclare : « La plaque est un exemple intéressant d’utilisation subversive de la commémoration, mais aussi d’un moment particulièrement important de la pandémie. Cette réponse citoyenne a été un moment clé. »

Il a communiqué avec McCurdy et a obtenu la plaque pour l’intégrer à la collection du Musée canadien de l’histoire.

L’histoire éphémère de la pandémie

La plaque est un objet intentionnel et durable qui raconte une histoire de pandémie complexe sur la politique et les protestations. Mais une grande partie de la culture matérielle qui raconte l’histoire de la pandémie était plus quotidienne, voire jetable. « Des choses comme les masques jetables, explique James Trepanier, des choses auxquelles nous ne pensons plus aujourd’hui, mais qui, au début de la pandémie, étaient tout à fait nouvelles pour beaucoup d’entre nous. »

L’équipe du Musée s’est penchée sur les changements sociaux soudains et profonds provoqués par la pandémie et a cherché des occasions de recueillir des documents pertinents. La pandémie a entrainé des changements spectaculaires, mais elle a également mis en évidence des inégalités systémiques persistantes. « Tout le monde a dû vivre avec la réalité du virus, mais cette réalité était différente selon la région, la classe sociale et le statut racial, ce qui a souvent exacerbé les inégalités et les tensions existantes », affirme Trepanier.

Il raconte que l’équipe s’est demandé : « Quels types d’objets pourraient témoigner de l’expérience de l’isolement de la première année, lors des premières séries de fermetures, ou des diverses mesures de maintien à domicile qui étaient en place? Et de quelle manière les gens au Canada ont-ils essayé de recréer leurs communautés et un sentiment de solidarité les uns envers les autres? »

Il s’agit notamment des nombreuses affiches que les gens ont placées sur les pelouses ou dans les vitrines pour exprimer leur gratitude envers le personnel essentiel et leur foi en leur communauté. « Bien sûr, elles sont éphémères, déclare Trepanier. Peu de gens les ont gardées. » Le Musée a rassemblé une variété d’affiches de la pandémie, à la fois des affiches de solidarité et de protestation. « Certaines, plus controversées, incluent des voix et des points de vue de personnes opposées aux mesures de santé publique », explique Trepanier.

Un panneau en bois peint à la main sur lequel on peut lire, en anglais : « Merci au personnel essentiel ».

Les affiches informelles, faites à la main, exprimant le soutien et la gratitude, ont été une caractéristique importante des premiers mois et des premières années de la pandémie de COVID-19.

Musée canadien de l’histoire, 2021. 93

L’histoire pour l’avenir

Cette collection de documents aidera le Musée à raconter l’histoire de la pandémie de COVID-19 aux futures générations. Cette histoire sera racontée différemment au fur et à mesure que la mémoire vécue s’éloignera.

Dans les 10 ou 20 prochaines années, une exposition sur la pandémie pourrait compter sur le fait que les membres du public s’en souviennent et puissent raconter leur histoire. Selon James Trepanier, « une telle conversation serait une façon très intime de renouer avec le passé ».

Mais une fois que les souvenirs s’estomperont et que les générations se succèderont, une telle exposition prendrait une tout autre allure. « Qui sait où en sera la technologie médicale?, s’interroge Trepanier. Il pourrait sembler très étrange de se mettre un écouvillon dans le nez pour tester la présence d’un virus. »

« Plus on avance dans le temps, plus le passé devient étranger, explique-t-il. La responsabilité de contextualiser et de replacer les gens dans cette période est donc un peu plus grande. »

alt="Un masque en tissu noir portant le texte suivant, en anglais : « La sécurité d’abord. 1 888 GoUnion. GoUnion.ca. UFCW Local 401. »"

Exemple de masque en tissu distribué par l’UFCW Local 401 dans l’usine de transformation de viande de Cargill, à High River, en Alberta.

Musée canadien de l’histoire, 2021.53.1

Écoutez cet épisode d’Artéfactualité pour en apprendre plus au sujet de la bataille du pont Billings et le défi que représente la collection d’histoires contemporaines dans une époque caractérisée par la polarisation.

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Steve McCullough

Steve McCullough, Ph. D., est le stratège de contenu numérique pour le Musée canadien de l’histoire et le Musée canadien de la guerre. Son travail dans le domaine de la création de récits numériques repose sur la compassion et des actions fondées sur des preuves pour parler de l’histoire, de la notion de sens et de l’identité dans un environnement en ligne fragmenté et polarisé, mais aussi dynamique et étroitement lié.

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