Fort Severn est le village le plus septentrional de l’Ontario, en bordure de la baie d’Hudson, non loin de la frontière manitobaine. Occupée par les Premiers Peuples pendant des milliers d’années, la région a été témoin de nombreux moments déterminants de l’histoire canadienne, dont plusieurs se rapportent au bras de fer auquel se sont livrés les Français et les Anglais pour contrôler les ressources de la baie d’Hudson, une vaste mer intérieure dans la partie supérieure du continent.
À peine 15 ans après sa constitution officielle, en 1670, comme « compagnie des aventuriers d’Angleterre faisant le commerce dans la baie d’Hudson », la HBC bâtissait un poste de traite fortifié près de l’embouchure de la rivière New Severn en 1685. Fort Churchill – nom sous lequel était connu le petit poste de la rivière Severn à l’époque – ne fit pas long feu. Les Français étaient déterminés à expulser les Britanniques des forêts giboyeuses situées aux confins nordiques de ce territoire qui, prétendaient-ils, appartenait à la colonie du Saint-Laurent, en Nouvelle-France. C’est dans ce contexte que, le 25 août 1690, Pierre Le Moyne d’Iberville remonta la rivière Severn. Fort Churchill fut réduit en cendres et d’Iberville ramena dans le giron de Ville-Marie la récolte de précieuses fourrures.
La HBC attendra le milieu du siècle suivant pour se rétablir en bordure de la rivière Severn et ne bâtira son nouveau poste qu’à plusieurs kilomètres de l’ancien, en aval de Fort Churchill, sur la rive opposée. Aujourd’hui, la communauté crie de Fort Severn (Première Nation Washaho) vit autour de la première enceinte de la HBC.
Alors qu’il menait des fouilles à l’ancien fort en 1979 et en 1980, David Christianson, un étudiant à la maîtrise de l’Université McMaster, a découvert de nombreuses briques. Certaines, de couleur rouge, étaient grosses et bien façonnées, à l’anglaise. D’autres, dites « flamandes », de couleur jaune, étaient petites et grossières. Celles-ci, typiques des bâtiments du xviie siècle, étaient surtout utilisées dans la fabrication d’âtres et de cheminées. Ces 30 dernières années, la forêt septentrionale a entièrement envahi le site où se dressait l’ancien fort, aujourd’hui disparu du paysage.
Les vestiges du second poste de la HBC, dans la communauté de Fort Severn, continuent de glisser doucement le long des berges argileuses de la rivière du même nom, s’enlisant sous les eaux chargées de limon, comme elles le font depuis des décennies. En juillet dernier, en face de l’enceinte de la HBC, j’ai pris le temps, comme je le fais toujours, d’examiner les objets dispersés sur la berge d’une largeur de trente pieds pour voir ce que le temps a révélé sur son passage. J’ai vu des bouts de mousquets, y compris un canon et un chien de mousquet complets, des clous et des pointes, des cercles et des douves de tonneaux, quelques perles de verre et plusieurs briques. Les briques étaient rouges, mais l’une d’elles se démarquait. C’était une petite brique jaune, « flamande », à peu près identique à celles trouvées en amont, au vieux fort.
Sur la rive de la Severn, je me suis souvenu des écrits d’Andrew Graham, un agent de la HBC dont les carnets de notes et les journaux ont été conservés. Graham avait été chargé de rétablir la présence de la HBC à Fort Severn au milieu du xviiie siècle. En septembre 1761, il relatait avoir envoyé ses hommes à l’ancien fort pour y ramasser « des briques et des clinkers » en vue de la construction du nouveau poste de traite. Ai-je trouvé une preuve concrète de ce bref commentaire d’un agent de la Compagnie, fait il y a quelque deux siècles et demi? Cette brique a-t-elle entendu quelqu’un donner l’ordre cruel d’incendier le fort anglais, une fois que d’Iberville et ses hommes eurent emporté avec eux toutes les fourrures qui s’y trouvaient? L’histoire canadienne a encore de nombreux secrets à livrer…