Bill Davis (1929-2021)

Xavier Gélinas

William Grenville Davis (1929-2021), premier ministre de l’Ontario de 1971 à 1985, vient de s’éteindre dans sa ville natale de Brampton. Son décès est une occasion de commémorer cette figure marquante du paysage politique ontarien, mais aussi canadien, comme artisan clé de la réforme constitutionnelle de 1982.

William – toujours dit « Bill », sauf dans les documents officiels – Davis était un produit de l’Ontario semi-urbain du début du xxe siècle. Avocat de formation, il appartenait à l’Église-Unie et a été le père de cinq enfants. Il a embrassé une carrière politique au sein du Parti progressiste-conservateur dès 1959, alors qu’il a été élu député de Peel à l’Assemblée législative – siège qu’il a conservé jusqu’à sa retraite, au fil de sept élections.

Pancarte : « I’m For Bill » (« J’appuie Bill »). Campagne à la chefferie du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario

Pancarte : « I’m For Bill » (« J’appuie Bill »). Campagne à la chefferie du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario, 1971. MCH, Archives, 2011-H0010.1.001; photo 2011-H0010_1_001.jpg.

Pancarte : « We’ll Win Again With Bill » (« Nous gagnerons encore avec Bill »). Campagne à la chefferie du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario

Pancarte : « We’ll Win Again With Bill » (« Nous gagnerons encore avec Bill »). Campagne à la chefferie du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario, 1971. MCH, Archives, 2011-H0010.2.001; photo 2011-H0010_2_001.jpg.


Il est devenu ministre de l’Éducation à 33 ans, en 1962. Ces années ont été fastes. Le budget en éducation a presque quintuplé pendant ses neuf ans à la barre. Sous son égide, la prospérité économique, l’effet du babyboom et de l’immigration, ainsi que le désir d’une éducation plus accessible ont entrainé la construction de centaines d’écoles, la création du système de collèges communautaires et l’inauguration d’universités comme Trent (Peterborough) et Brock (St. Catharines).

En février 1971, Bill Davis a remporté la chefferie de son parti et le poste de premier ministre. Il a régné à Queen’s Park pendant 14 ans, gagnant quatre élections consécutives. Sous son mandat, l’Ontario a continué à se moderniser, créant par exemple le réseau de trains régionaux, GO Transit, et élargissant graduellement l’État-providence. Les adeptes de sports sauront aussi reconnaitre qu’il a lancé les travaux du Centre Rogers – l’ancien SkyDome.

En 1985, trônant au sommet des sondages et jouissant d’une majorité parlementaire confortable, il a pris sa retraite. On dit qu’en politique, deux moments sont cruciaux : l’entrée et la sortie. Rares sont les parlementaires qui réussissent leur départ. Bill Davis fut une exception, ce qui aide à expliquer la popularité et le respect qu’il a conservés longtemps après son départ de la vie publique.

Bill Davis s’insérait dans une continuité, la « Big Blue Machine », surnom donné à la dynastie progressiste-conservatrice qui a gouverné l’Ontario sans interruption de 1943 à 1985. Quels sont les ingrédients de ce succès qui ferait rêver le monde politique actuel? Quelques bases simples, que Davis maniait à la perfection. D’abord, savoir mettre à profit une base loyale et indéfectible, celle de l’électorat plutôt traditionnel, surtout concentré dans les petites villes et les campagnes. Puis, évoluer par petits pas, en harmonie avec les temps nouveaux, en ajoutant juste assez de progressisme économique et d’avancées sociales pour ne pas s’aliéner sa base et gagner assez d’appui dans l’électorat centriste. Cette formule gagnante consistait aussi à choisir des chefs à l’effet rassembleur, en phase avec leur temps, demeurant au pouvoir assez longtemps pour laisser leur trace, mais pas au point de lasser la population. Leslie Frost a ainsi cristallisé l’Ontario des années 1950, John Robarts, celle des années 1960, et Bill Davis, celle des années 1970 et du début des années 1980.

La journaliste Angela Ferrante comparait Davis au chat du Cheshire, ce personnage d’Alice au pays des merveilles. L’image est restée. Avec sa proverbiale pipe ou son cigare, son regard bienveillant – juste un peu ironique – et son assurance discrète, Bill Davis fut le reflet d’une province et d’une époque.

Si la place de Bill Davis en politique ontarienne est incontournable, son rôle a aussi été marquant à l’échelle canadienne. Lors des négociations constitutionnelles des années 1980, il a été un allié de Pierre Elliott Trudeau, qui était pourtant un adversaire partisan : autre indice de sa souplesse lorsque les circonstances le demandaient. Persuadé que la réforme constitutionnelle, dont la Charte canadienne des droits et libertés, était dans l’intérêt du Canada, Davis a amené le premier ministre fédéral à mettre de l’eau dans son vin et à intégrer la clause dérogatoire. Trudeau en a témoigné dans ses Mémoires politiques : Davis, qui l’a soutenu « contre vents et marées », « allait jouer un rôle d’une importance particulière en [l]e persuadant d’accepter le compromis final de novembre 1981. »

Davis a eu gain de cause et la Constitution a été adoptée, mais il s’est gardé de tout triomphalisme. Il s’est confié ainsi sur René Lévesque, alors premier ministre du Québec et ennemi de la réforme : « Nous avons appris à nous connaître et à nous respecter. […] L’approche de René était sincère et déterminée. Personne n’aurait pu douter de son grand sens de la démocratie. » Même ses adversaires reconnaissaient à Davis une conception sereine du combat politique.

Le Musée canadien de l’histoire conserve quelques témoignages matériels de l’empreinte laissée par Bill Davis dans l’évolution politique du pays.

Bill Davis: Nation Builder, and Not So Bland After All (Bill Davis : un bâtisseur de nation pas si fade, après tout), une biographie réalisée par Steve Paikin

Bill Davis: Nation Builder, and Not So Bland After All (Bill Davis : un bâtisseur de nation pas si fade, après tout), une biographie réalisée par Steve Paikin, journaliste vedette de TVOntario – un télédiffuseur créé par Davis lorsqu’il était ministre de l’Éducation en 1970. MCH, Bibliothèque, FC 3076.1 D38 P35 2016. Photo : Steven Darby, IMG2021-0129-0001-Dm

Plaque de la Place de l’Ontario, remise par le premier ministre Davis au pianiste Neil Chotem en 1972

Plaque de la Place de l’Ontario, remise par le premier ministre Davis au pianiste Neil Chotem en 1972. Située en bordure du centre-ville de Toronto, la Place de l’Ontario est un complexe récréotouristique inauguré par Bill Davis en 1971. MCH, 2008.68.1; photo 9360-122-31677-IMG2010-0083-0028-Dm.tif.


Pour en savoir plus :

The Art of the Possible (L’art du possible), un documentaire de Peter Raymont sur William Davis (en anglais seulement). Office national du film du Canada, 1978, 58 minutes.

« La “Big Blue Machine” racontée par Xavier Gélinas », capsule radiophonique pour l’émission Aujourd’hui l’histoire (en français seulement). Radio-Canada Première, 2019, 23 minutes.