Des artefacts évoquent le souvenir d’un prêtre aussi louangé qu’injurié

Le 13 juin 2016 Médaillon en or

Des artefacts du XIXe siècle récemment acquis par le Musée rappellent l’histoire mélodramatique de Charles Chiniquy, un prêtre catholique charismatique au caractère bouillant, un apôtre de la tempérance au Québec et un génie de la « réorientation de carrière ».

La « descente aux enfers » de Charles Chiniquy a été tout aussi spectaculaire que celle de certains télévangélistes ou politiciens moralisateurs qui, de nos jours, cacheraient un sombre secret.

Chiniquy était un prêtre catholique au sommet de sa popularité dans le Québec du milieu du XIXe siècle qui, grâce à ses prêches enflammés, a fait de la tempérance une cause célèbre, à l’origine, dit-on, de 200 000 conversions en 18 mois.

Cependant, sa fibre charismatique, voire théâtrale, le desservait. En 1847, quatorze ans après avoir été ordonné, Chiniquy a été écarté de la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée.

La voie de l’excommunication

Portrait de Charles Paschal Télesphore Chiniquy

Portrait de Charles Paschal Télesphore Chiniquy, William Notman & Son, 1899
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 52327/1956289

« Le supérieur local de la congrégation a déclaré qu’il n’était pas apte à la vie en communauté, explique le conservateur Timothy Foran. Il était instable, vaniteux et enclin aux envolées théâtrales. Et s’il pouvait faire manger toute une foule dans le creux de sa main, il semble qu’il lui était quasiment impossible de prêcher par l’exemple au quotidien. »

Miné par des allégations de comportements inconvenants de nature sexuelle, Chiniquy a été transféré en Illinois en 1851. Il fut peu de temps après excommunié parce qu’il refusait de se soumettre à l’autorité de son évêque, un rapport hiérarchique donnant lieu à de constants affrontements.

La vocation de Chiniquy prit alors une nouvelle direction. Se convertissant au presbytérianisme, l’ancien prêtre devint un zélé anti-catholique, séduisant un nouvel auditoire par ses témoignages de personne bien informée des « péchés » de l’Église catholique romaine. Ses dénonciations ont inspiré un important mouvement diabolisant le catholicisme, auquel étaient réceptifs des anglophones.

« La tendance à se méfier du catholicisme a toujours été vive aux États-Unis et dans le Canada anglais, précise Timothy Foran. Mais, au milieu du XIXe siècle, l’afflux de nouveaux arrivants catholiques d’Europe atteint un seuil critique et provoque beaucoup de friction. Les catholiques sont alors perçus comme de véritables étrangers. On croyait à un sombre complot ourdi par des catholiques romains pour prendre le contrôle du monde. Chiniquy est devenu un porte-parole de cette théorie du complot. »

Le plus célèbre des Canadiens

Ce nouveau rôle a fait de Chiniquy « un personnage très important à l’extérieur du Canada », observe Timothy Foran. Cependant, au Québec, le prédicateur « a été abreuvé d’injures autant qu’il avait été couvert de louanges. Son nom est devenu synonyme d’hypocrisie et de dépravation sexuelle. Il a sans doute été le plus célèbre – le plus tristement célèbre – Canadien du XIXe siècle ».

Les artefacts et les documents acquis par le Musée canadien de l’histoire parlent d’un parcours turbulent. Les premiers tirages des manuels de Chiniquy sur la modération rappellent sa popularité initiale au Québec, où le mouvement de tempérance ne visait pas une interdiction de l’alcool, mais la modération. Ses livres à succès Cinquante ans dans l’Église de Rome et Quarante ans dans l’Église du Christ traitent de sa vie après son départ du Québec et son excommunication.

Un élément de stabilité durant les deux époques de sa vie : son médaillon de tempérance, qu’il a toujours conservé.

« Charles Chiniquy a porté toute sa vie son médaillon de tempérance, qu’il avait reçu de l’évêque de Montréal, souligne Timothy Foran. En dépit de toute l’agitation, son attachement à la cause de la tempérance était inébranlable. »

Image : Médaillon en or, mai 1849, IMG2016-0168-0001-Dm
Charles Chiniquy a porté toute sa vie son médaillon de tempérance, qu’il avait reçu de l’évêque de Montréal.

Note de la rédaction :

Le Musée a reçu plusieurs critiques au sujet d’un récent article portant sur Charles Chiniquy. Voici quelques uns de ces commentaires :

  • L’article fait l’éloge du travail de Charles Chiniquy au sein de l’Église catholique romaine, mais dénigre ce que celui-ci a accompli à titre de catholique chrétien et de protestant, en le présentant comme malavisé et instable, description injuste d’un homme que nombreux, aujourd’hui, apprécient en tant que réformateur respecté.
  • L’article s’appuie trop lourdement sur le point de vue propagandiste de Marcel Trudel. Il aurait dû inclure d’autres points de vue, comme ceux qu’ont exprimés les auteurs Serge Thériault, dans Msgr. Rene Vilatte: Community Organizer of Religion 1854 1929 (Berkeley, Apocryphile Press, 2012, 305 pages), et Richard Lougheed, dans Au centre des controverses : Charles Chiniquy (Toronto, Clements Academic, 2015, 430 pages).
  • De nombreux protestants francophones célèbrent les réalisations de Charles Chiniquy, un homme imparfait, certes, mais qui a néanmoins marqué son temps.

Le Musée est fier de son engagement à présenter l’histoire du Canada selon divers points de vue, et il apprécie l’intérêt et les commentaires sérieux qu’a suscités l’article.