Redonner vie aux navires de l’expédition Franklin

Kerry McMaster Wassenaar

Périr dans les glaces – Le mystère de l’expédition Franklin raconte l’histoire de l’ultime et tragique voyage qu’a amorcé sir John Franklin en quittant l’Angleterre en 1845. Kerry McMaster Wassenaar, scénographe au Musée, et son équipe ont eu la responsabilité de concevoir la mise en espace de cette exposition, élément essentiel de la présentation du récit. Dans ce billet, Kerry décrit par quel procédé l’équipe est parvenue à représenter ce que pouvait être la vie à bord des navires de l’expédition sur lesquels Franklin et ses hommes ont dû passer de longs mois, prisonniers des glaces. Elle relate également les défis qu’a posés la représentation d’un navire dans une aire de l’exposition.

Pour amorcer le travail, nous avons collé du ruban adhésif sur le plancher d’un bureau. La conservatrice de l’exposition, Karen Ryan, a tracé une partie des espaces exigus des HMS Erebus et Terror. Elle cherchait une façon de montrer aux visiteurs à quel point l’espace pouvait être restreint pour la soixantaine d’hommes qui ont vécu pendant trois ans sur chacun des navires.

Nous étions en train de planifier la zone de l’exposition sur « la vie à bord des navires », et nous savions qu’il nous serait impossible de reproduire fidèlement l’intérieur des bateaux puisque l’espace n’aurait pas été accessible en fauteuil roulant et que le budget ne le permettait pas. Il nous fallait donc trouver un moyen de faire un résumé de l’environnement, tout en nous assurant de communiquer ses détails. Il nous fallait un « cadre » nous permettant d’inscrire l’histoire humaine que nous voulions présenter ainsi que tous nos messages concernant les activités auxquelles les marins consacraient leur temps alors qu’ils se trouvaient prisonniers des glaces pour une période indéterminée.

Nous possédions de remarquables versions numériques des plans d’étage originaux des navires ainsi que plusieurs illustrations de l’intérieur. Pour certains d’entre nous, cela aurait pu être suffisant. Au début de l’adolescence, j’affectionnais particulièrement un livre consacré aux plans de maisons victoriennes. Je parcourais les pages et tentais de m’imaginer en train de vivre dans l’une d’elles. Mais comment faire pour amener le visiteur moyen – quelqu’un de moins entiché des vieux plans que moi – à faire le saut qui sépare la feuille de papier et un univers tridimensionnel imaginé? L’idée de créer un plan immersif, tridimensionnel et grandeur nature de l’un des étages s’est progressivement imposée comme solution. Cela devait nous permettre de choisir les éléments et les parois qui seraient uniquement représentés sur le plan d’étage, de même que les éléments qui occuperaient l’espace tridimensionnel.

Heureusement, il existe des personnes encore plus éprises des vieux plans que moi. Le créateur d’un modèle réduit du HMS Terror avait tracé des plans verticaux de plusieurs aires intérieures des navires. Cela nous a permis d’ajouter les parois verticales manquantes et d’épargner à notre équipe des semaines de recherche.

Plans et maquette du navire

Plans et maquette du navire à l’étape préliminaire de la conception. © Musée canadien de l’histoire

La salle d’exposition du Musée étant de superficie limitée, il aurait été impossible d’y insérer le plan complet du navire tout en conservant de l’espace pour les autres éléments présentés. Dans une exposition axée sur le cadre de vie, cependant, je tenais tout de même à donner aux visiteurs l’impression qu’il s’agissait d’un navire présenté dans son ensemble.

Il nous fallait un pont supérieur, grâce auquel les visiteurs pourraient regarder par-dessus bord afin de mieux concevoir l’étendue du désert de glace, éclairé parfois d’une intense lumière, qui s’offrait à des hommes qui étaient quant à eux confinés à espace intérieur sombre et exigu. De façon ironique, c’était l’immensité même de cet espace maritime qui leur imposait, en fin de compte, des conditions de vie aussi contraignantes.

Nous avons constaté, étonnamment, que les colonnes de la salle d’exposition avaient un diamètre similaire à celui des mâts des HMS Erebus et Terror. Nous avons ainsi pu installer la proue du navire à la bonne distance du premier « mât », agençant par la suite le reste des éléments exposés à partir de ce point.

Nous avons ensuite dû décider quelle proportion du plan d’étage nous allions montrer et comment faire la transition entre l’espace intérieur du pont inférieur et le paysage extérieur vu du pont supérieur. Karen Ryan, Claire Champ (spécialiste du développement créatif pour le projet) et moi-même avons consacré beaucoup de temps à annoter les plans d’étage originaux, à évaluer quels espaces il nous fallait exposer et à choisir les messages qui pourraient convenir aux différentes parties du navire. Ce sont généralement le texte et le contenu qui dictent la conception graphique. Dans notre cas, c’est plutôt la conception qui a en partie déterminé quel contenu serait présenté et à quel endroit.

Avec le temps, tout a fini par se mettre en place. Nous avons ajouté des citations, des artefacts et des éléments audiovisuels – et même un singe – afin de compléter le récit présenté. Nous nous sommes assurés de présenter le plan d’étage dans une forme bilingue et d’utiliser des polices de caractères bien lisibles, tout en cherchant à préserver l’atmosphère historique rappelant les plans initiaux.

Vues de l'espace navire dans l’exposition Périr des les glaces

Vues de la proue (gauche) et de la poupe (droite) du navire dans l’exposition. © Musée canadien de l’histoire

Les passionnés qui ont passé du temps à étudier les plans originaux des navires et ceux qui ont maintenant eu la chance d’entrevoir les épaves pourront certainement repérer rapidement les procédés que nous avons dû utiliser pour présenter un ensemble cohérent, recourant parfois au hasard ou en trafiquant légèrement la réalité. En fait, la forme finale tient à la fois du Terror et de l’Erebus. Les membres de notre équipe ont d’ailleurs pris l’habitude de parler du Terrebus. Nous espérons que vous pourrez venir le visiter dans le cadre de l’exposition.