Réflexions sur 1968 : une année électrisante au Canada

Pierre M. Desrosiers

1968 in Canada: A Year and Its Legacies

1968 in Canada: A Year and Its Legacies

En repensant à 1968, j’ai en tête les essais du premier missile nucléaire intercontinental transportant plusieurs ogives et la fin ultime à laquelle on devait s’attendre. Le missile rappelle les mots « heavy metal thunder » (un fracas de métaux lourds) de la chanson Born to Be Wild de Steppenwolf, qui a foudroyé le palmarès simultanément au Canada et aux États-Unis cette année-là. Le groupe comptait des membres canadiens et américains. Je sais que cela sonne comme une distorsion de l’histoire, mais j’ai grandi dans les années 1980, je suis un enfant de la génération heavy métal. Une musique qui a irradié de la fin des années 1960, avec des groupes tels que Rush, Deep Purple et Black Sabbath. Ce que j’ai trouvé dans l’un des derniers livres de la collection Mercure, 1968 in Canada: A Year and Its Legacies, n’est pas moins électrisant.

Bâtir de nouvelles institutions et de nouvelles identités

Presque tout le monde a son mot à dire à propos de cette année singulière. Si vous me dites : « cette année-là n’a rien de spécial », ce livre s’adresse probablement à vous, plus qu’à toute autre personne. Vous ne vous y attendez peut-être pas, mais, quel que soit votre âge, vous trouverez un fragment de votre ADN dans 1968 in Canada. Dirigé par Michael K. Hawes, Andrew C. Holman et Christopher Kirkey, cet ouvrage rassemble les contributions d’universitaires de renom sur les évolutions qui ont défini notre pays, telles que l’introduction de l’assurance maladie et la création du CRTC, l’organisme de réglementation de la radiodiffusion. Le projet est né à la suite d’un symposium de deux jours qui s’est tenu au Musée canadien de l’histoire en septembre 2018. Comme l’a noté Penny Bryden, professeure d’histoire à l’Université de Victoria, lors du lancement virtuel du livre, « la grande beauté de cette collection est que nous avons tous et toutes trouvé des choses surprenantes à propos de 1968 ».

« Si dans une grande partie du monde, 1968 visait à démolir des institutions et à se défaire d’identités anciennes et usées, 1968 au Canada consistait tout autant à en construire de nouvelles : de nouvelles façons de faire des affaires; de nouvelles façons d’administrer le gouvernement à l’échelle nationale et locale; de nouvelles façons de définir les identités (française, anglaise, autochtone et la “troisième force” multiculturelle); de nouvelles façons de communiquer des idées dans la presse écrite et à l’antenne; de nouvelles façons d’interagir avec le monde; et, en particulier, de nouvelles façons de faire face au colosse américain. »

– Hawes et coll., 2021, p. 4

La montée du mouvement de défense des droits des peuples autochtones

Comme vous le lirez dans cet ouvrage, 1968 fut aussi une année décisive dont les conséquences se feront sentir pendant des décennies au Canada, à plusieurs égards. Notamment, la montée du mouvement des droits des peuples autochtones, processus long et soutenu qui mènera à une grande bataille quelques années plus tard, remportée par les peuples autochtones, avec la signature du premier traité moderne d’Amérique du Nord, la Convention de la Baie James et du Nord québécois en 1975.

« En 1968, le statut d’Indien était destiné à prendre fin. Toute la politique relative aux peuples autochtones au Canada aujourd’hui résulte des batailles acharnées qui ont commencé cette année-là. »

– Gemmell, 2021, p. 149

Le Parti québécois et la trudeaumanie

Macaron politique avec le Très Honorable Pierre Elliott Trudeau.

Macaron politique avec le Très Honorable Pierre Elliott Trudeau. MCH 2012.17.261, IMG2016-0266-0163-Dm.jpg

Avec la fondation du Parti québécois et la montée de la trudeaumanie, un autre long et tumultueux processus est « born to be wild » (né pour être libre) dans le paysage politique canadien. 1968 in Canada examine la genèse de la situation actuelle de la politique fédérale et chaque fois que je regarde les nouvelles, j’ai un sentiment de déjà-vu.

« Entre Lévesque et Trudeau, les Québécois choisiront Bourassa et le “bourassisme” qui reste, quoi qu’on dise, quoi qu’on pense, mes chers amis, depuis fort longtemps, mais sans me risquer pour toujours, le sel de la politique franco-québécoise, qui est de vouloir être avec et contre l’autre dans le cadre d’une relation de proximité distante en résistant simultanément aux forces de la fusion complète et à celles de la séparation entière… »

– Jocelyn Létourneau, professeur d’histoire québécoise, Université Laval

L’exceptionnalisme canadien

En lisant ce livre, à mesure que je réfléchissais aux transformations qui ont défini la population canadienne en tant que nation, j’ai eu l’impression de me pencher sur les racines de notre identité. C’était comme trouver un gène qui avait muté dans l’ADN de ma génération, que je ne pouvais pas entièrement comprendre ou percevoir, car il me concernait de trop près.

« L’exceptionnalisme canadien s’exprime à l’époque à travers deux très grosses questions. L’une est le Vietnam […], et l’autre les antinucléaires, le Canada était très fier de son statut non nucléaire irréprochable. […] Il y a aussi ce sentiment d’avoir une grande chance d’être de citoyenneté canadienne et d’échapper à tout cela. C’est pourquoi, quelques années plus tard, la crise d’Octobre a été une réelle onde de choc pour le système politique, onde qui a aussi touché la façon dont les Canadiens et les Canadiennes se voyaient. »

– Paul Litt, professeur, Université Carleton

J’espère que 1968 in Canada vous aidera à mieux comprendre cette année. Les changements qui ont été entrepris par la génération de mes parents ont affecté chaque étape de ma vie et affecteront à leur tour la façon dont j’influencerai la génération suivante.

« […] pour moi, 1968 a toujours été une source d’intérêt, d’inspiration et parfois de confusion. Comprendre 1968 au Canada et à l’étranger peut très bien nous aider à comprendre […] notre identité et comment elle s’est façonnée. »

– Michael Hawes, président-directeur général de Fulbright Canada

Critiques du livre

« Au Canada comme dans d’autres pays, 1968 a été une année unique en son genre. Rassemblant des auteurs et des autrices d’excellence et couvrant des questions essentielles, ce volume retrace ce qui s’est passé en 1968, tout en explorant les conséquences de cette année charnière. C’est une lecture incontournable pour quiconque s’intéresse à cette période et à son impact durable. »

– Daniel Béland, directeur, Institut d’études canadiennes de McGill

« Un très riche recueil d’essais sur l’expérience canadienne de 1968 qui permet de mieux comprendre cette année mouvementée. Dans cet ouvrage, un groupe d’universitaires de talent explore les forces internes et externes qui ont façonné le Canada en 1968 et ont légué un héritage qui continue d’influencer le pays. »

– Tony McCulloch, chercheur principal en études nord-américaines, Institut des Amériques, University College de Londres, Royaume-Uni

Entretien avec Chris Kirkey (Mountain Lake PBS) disponible en anglais seulement youtu.be/k-sLt3Oehwo

Autres articles de blogue sur le sujet :

Pierre Desrosiers est le rédacteur en chef de la collection Mercure et conservateur au Musée canadien de l’histoire, Archéologie centrale.

Série Mercure, Mémoire de notre histoire, depuis 1972

La collection Mercure

La collection Mercure célèbre son 50e anniversaire en 2022. À sa création, la collection se caractérisait par un style minimaliste et un travail éditorial sommaire en vue d’une diffusion rapide, mais elle a depuis évolué en une vaste production haut de gamme d’ouvrages évalués par un comité de lecture. La collection Mercure compte aujourd’hui près de 500 volumes, dont des ouvrages novateurs sur l’histoire, l’archéologie, la culture et l’ethnologie canadiennes.

Elle est copubliée par le Musée canadien de l’histoire et les Presses de l’Université d’Ottawa.