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Un avion blanc survolant un fond rouge au Musée canadien de l'histoire à Ottawa.

Estampes inuites... inspiration japonaise

Publié

21 janv. 2018


Découvrez comment les techniques de gravure japonaises sont parvenues jusqu’aux artistes du studio d’estampes de Cape Dorset, dans l’Arctique canadien. Vous pourrez en apprendre davantage sur le rôle de l’artiste canadien James Houston qui a initié les graveurs inuits à cet art traditionnel du Japon et sur les œuvres novatrices qu’ils ont su en tirer, dans cet extrait du catalogue de l’exposition Estampes inuites… inspiration japonaise, rédigé par Norman Vorano, Ph. D., ancien conservateur de l’art inuit contemporain au Musée canadien de l’histoire.

Les silhouettes blanches d’un harfang des neiges, d’un renard et d’un lièvre sur un fond intégrant différents tons de bleu, de noir et de gris.

© Musée canadien de l’histoire, Légende du hibou, du renard et du lièvre, Osuitok Ipeelee, 1959, CD 1959-021 SS, photo Marie-Louise Deruaz, IMG2010-0207-0037-Dm.jpg.

La remarquable histoire de cette rencontre artistique et son exceptionnel résultat constituent le thème central de l’une des expositions itinérantes du Musée canadien de l’histoire, Estampes inuites… inspiration japonaise, actuellement présentée au Musée des beaux-arts de Sherbrooke.

Extrait tiré de « Introduction : Les débuts de la gravure dans l’Arctique canadien»

Par Norman Vorano, Ph.D.

[…]

Les Inuits de l’Arctique de l’Est connurent une période agitée au cours des années 1950 et 1960 et l’atelier permit de satisfaire à une grande variété de besoins. Alors que le marché des peaux de renard chutait brutalement, nombre d’Inuits quittèrent leur vie précaire dans des campements (où ils dépendaient principalement de la chasse pour se nourrir et des fourrures pour commercer) et s’établirent de façon permanente dans des collectivités qui enregistraient une croissance rapide; elles offraient la possibilité d’obtenir des services d’éducation et de soins de santé et de trouver un emploi. Ainsi, parce que son père Joseph, vieillissant, avait besoin de soins médicaux constants, l’artiste Kananginak Pootoogook s’établit à Cape Dorset en 1957. Afin de pourvoir aux nécessités de sa famille de plus en plus nombreuse, il obtint un emploi stable à l’atelier d’artisanat, d’abord comme préposé à l’entretien puis comme graveur. L’atelier constitua, pour plusieurs Inuits comme Kananginak, un cadre de travail officiel, à l’ambiance décontractée, favorisant l’emploi et l’entrepreneuriat à petite échelle grâce à la vente d’oeuvres d’art et de produits d’artisanat. Ils souscrivirent à la démarche artistique parce qu’elle permettait de répondre aux besoins sociaux et économiques changeants des individus et de satisfaire leur désir de se souvenir d’un mode de vie qui semblait disparaître rapidement.
L’automne 1958 marqua un tournant dans l’histoire du programme de gravure de Cape Dorset alors que les artistes assemblèrent une collection d’illustrations constituées essentiellement de leurs propres dessins. Connue par la suite comme la collection « expérimentale » ou « non répertoriée », elle aurait compté jusqu’à vingt gravures différentes sur pierre ou sur linoléum, tirées à trente exemplaires, portant des traces évidentes d’application de painture ou d’encre au rouleau à main[i] (fig. 1, 2, 3, 4 dans la gallérie). Treize de ces nouvelles gravures furent mises en vente le 12 décembre 1958 au grand magasin de la Compagnie de la Baie d’Hudson, à Winnipeg[ii]. La vente remporta un franc succès et suscita des commentaires positifs; un article paru dans le Winnipeg Free Press souligna que les gravures étaient « semblables par leur conception aux sculptures esquimaudes désormais célèbres dans le monde entier [iii] ». Des ventes occasionnelles de ces gravures expérimentales – ventes qui, en grande partie, n’ont pas fait l’objet d’études approfondies – se poursuivirent jusqu’au début de 1959 aux points de vente de la Corporation canadienne de l’artisanat de Montréal et de Toronto[iv].

 

 

Paradoxalement, ce parfum de succès incita les supérieurs de Houston au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à mettre temporairement fin à la distribution des gravures. Prenant conscience des possibilités qu’elles recelaient, le ministère révisa sa stratégie de commercialisation et décida de privilégier la vente au détail en procédant chaque année à un vernissage soigneusement organisé par l’entremise de galeries d’art haut de gamme. Les premières gravures expérimentales furent retirées de la circulation et les artistes de l’atelier retrouvèrent un second souffle en consacrant leurs énergies à la réalisation des oeuvres de leur première collection annuelle qui serait officiellement lancée plus tard au cours de l’année (elle le fut finalement en février 1960). On créa ainsi les conditions requises pour transformer l’atelier d’artisanat de Cape Dorset en atelier de gravure. Mais une composante manquait toujours : l’influence du « Japon, le pays de la gravure [v] ».

Bien que James Houston ait étudié les arts à l’Ontario College of Art et à l’Académie de la Grande Chaumière à Paris, il possédait, de son propre aveu, une expérience relativement limitée de la gravure à son arrivée à Cape Dorset [vi]. Désireux de faire mieux connaître la gravure en Arctique, il utilisa ses congés accumulés pour se rendre au Japon, à l’automne 1958, afin d’étudier la gravure sur bois auprès d’Un’ichi Hiratsuka, l’un des artistes japonais les plus respectés du XXe siècle [vii]. Lors de son séjour, il rencontra de nombreux artistes japonais auprès desquels il perfectionna ses connaissances. Il côtoya en particulier Shikō Munakata, Shōji Hamada, Keisuke Serizawa, Kichiemon Okamura, Sadao Watanabe et Yoshitoshi Mori, ainsi que la famille Muraoka – trois générations de fabricants de poupées traditionnelles. Il fut le témoin direct du florissant mouvement mingei (artisanat populaire), rencontra son philosophe principal, le célèbre Sōetsu Yanagi, et prononça des conférences publiques et fit des exposés sur l’art inuit – il effectua notamment une présentation devant le prince Mikasa, lors d’une activité protocolaire. Après un fructueux séjour de trois mois, Houston regagna l’Arctique au printemps 1959 et fit part de ses nouvelles connaissances aux graveurs de Cape Dorset. Il rapporta du Japon des outils spécialement conçus pour la gravure, du washi (papier traditionnel japonais fait à la main) et une collection de gravures sur bois ou au pochoir (kappazuri) créées par certains des plus importants artistes japonais contemporains […].

Au printemps et à l’été 1959, l’atelier de Cape Dorset prospéra. Stimulés par les possibilités artistiques et techniques que laissaient entrevoir les estampes japonaises (sans compter que l’arrêt des ventes réalisées à Winnipeg avaient laissé un public fort intéressé sur sa faim), les graveurs inuits commencèrent à produire des estampes de plus grande taille, plus élaborées sur le plan technique et plus soignées sur le plan esthétique. Les graveurs tiraient leur inspiration du sumizuri (que les Japonais employaient pour produire des estampes à l’encre noire sur papier blanc), technique d’une grande puissance expressive employée par Un’ichi Hiratsuka et Shikō Munakata, des couleurs fluides des impressions au pochoir (ou kappazuri) réalisées par Kichiemon Okamura, et de l’usage novateur de de formes négatives (parties de la surface de la feuille qui ont été masquées) des oeuvres de Yoshitoshi Mori. Les graveurs de Cape Dorset n’imitèrent toutefois pas servilement les artistes japonais. Toujours inventifs, ils firent des emprunts sélectifs à leurs lointains mentors; ils adaptèrent et modifièrent les pratiques, les outils, les techniques et les éléments stylistiques qui permettaient de réaffirmer le mieux leurs valeurs esthétiques et culturelles. Mais, surtout, les cinq premiers graveurs inuits – Osuitok Ipeelee, Iyola Kingwatsiak, Eegyvudluk Pootoogook, Kananginak Pootoogook et Lukta Qiatsuk – innovèrent constamment. Leur détermination, leur débrouillardise, leur volonté d’expérimenter et leur faculté de s’imprégner d’influences culturelles exceptionnellement diversifiées témoignent de leur créativité, de leur imagination et de leur assurance – des qualités qui caractérisent l’atelier de Cape Dorset depuis plus de cinquante ans.

[…] Fin de l’extrait.

Dans notre prochain article, Amanda Gould, restauratrice d’œuvres sur papier au Musée, racontera l’histoire de l’un des principaux matériaux utilisés dans de nombreuses estampes de Cape Dorset, le washi, et décrira l’importance de celui-ci dans la conservation de notre collection nationale.

Références

[i] Voir Sandra Barz, Inuit Artists Print Workbook, Vol. III, Book 2, New York, Arts and Culture of the North, 2004, p. 358-361.

[ii]Ce fut d’ailleurs James Houston qui fit les derniers arrangements relatifs à cette vente en octobre 1958, en faisant un arrêt à Winnipeg en route vers le Japon pour étudier auprès d’Un’ichi Hiratsuka.

[iii] Winnipeg Free Press, samedi 13 décembre 1958, p.42

[iv] Les débuts de la distribution sont peu connus. Voir la publicité « Eskimo Carvings and Stone Cut Prints Direct from the Arctic, on February 23 » The Globe and Mail, Toronto, 21 février 1959, p.15

[v]Sur la perception nord-américaine du Japon à titre de « pays de la gravure », voir Alicia Volk, « Japanese Prints Go Global : Sōsaku Hanga in an International Context » dans Alicia Volk (dir.), Made in Japan : The Postwar Creative Print Movement, Milwaukee, Milwaukee Art Museum, 2005, p. 5-21.

[vi] Voir Mary D. Kierstead, «Profiles : James Houston », The New Yorker, 29 août 1988, p. 34. Nota: À partir de la fin des années 1940, le programme d’études de l’Ontario College of Art comprenait des cours de lithographie et d’eau-forte, mais ne comportait aucun cours de gravure sur bois.

[vii] Tous les noms sont indiqués à la manière occidentale : le prénom précède le nom.

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