Musée virtuel de la Nouvelle France

Colonies et Empires

Du Moyen-Age aux Grandes découvertes

Cabasset, Espagne, première moitié du XVIIe siècle

Cabasset, Espagne, première moitié du XVIIe siècle

1492 : une date déterminante dans l’histoire de l’humanité. Elle représente une formidable découverte pour certains; une catastrophe, pour d’autres. Elle constitue une nette démarcation dans l’histoire, car la découverte de l’Amérique va remettre en question bon nombre des connaissances au sujet de la Terre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les historiens ont choisi cette date pour situer le début d’une nouvelle période historique : l’époque moderne.

Le succès de l’expédition dirigée par Christophe Colomb, qui fut, officiellement du moins, le premier Européen à fouler le sol de l’Amérique, a trop souvent fait oublier les multiples expéditions pendant le Moyen-Âge, effectuées par mer ou par terre, ainsi que les découvertes réalisées. Il y a, notamment, la fabuleuse odyssée de Marco Polo, marchand vénitien qui suivit la route de la soie jusqu’en Chine, le voyage mystique de saint Brendan ou encore l’établissement de Norois, ou Vikings, à Terre-Neuve.

Le voyage de Colomb incitera les Européens à rechercher un passage vers l’Orient afin d’exploiter les richesses attribuées à cette région. Toutefois, à l’aube de la Renaissance, de nombreuses croyances infondées circulent encore. En effet, si l’on sait, depuis l’Antiquité, que la Terre est ronde, l’Église catholique et certains savants continuent d’affirmer que la planète est plate et rectangulaire. Le savoir géographique demeure lacunaire. Certains explorateurs croient encore à l’existence de pays mythiques, tels que le royaume du prêtre Jean, que l’on situe en Éthiopie, ou encore celui du roi Salomon, qui recèle, d’après la légende, d’innombrables richesses.

Au IXe siècle, le pays qui deviendrait la France faisait partie de l’Empire carolingien, une vaste contrée couvrant l’essentiel de l’Europe occidentale et centrale.

Lors de la division de l’empire en 843, trois royaumes furent créés, et c’est à partir de celui de l’ouest, la Francia occidentalis, que la France se développa. À compter de 987, ce royaume fut dirigé par la dynastie des Capétiens.

Bien que portant le nom de royaume, la Francia occidentalis était fragmentée tant politiquement que territorialement. Certaines régions, comme la Flandre, la Bourgogne, la Normandie et l’Aquitaine, possédaient leurs propres princes et agissaient comme des principautés quasi indépendantes. La société française était structurée selon les principes féodaux : sous la foi d’un serment de loyauté, les hommes devenaient des vassaux de seigneurs qui, en échange de certains devoirs, dont l’assistance financière et militaire, leur offraient protection et propriété foncière, ou usage d’une terre. Le roi, en théorie, dominait la pyramide du pouvoir féodal; dans les faits, il était facilement éclipsé par tout seigneur affairé à consolider sa propre « armée » de vassaux qui lui vouaient loyauté plutôt qu’au roi. L’esprit national n’existant pas, la loyauté était régionale plutôt que nationale.

Couronnement de Hugues Capet, 1er quart du 14e siècle, tiré des Grandes Chroniques de France

Couronnement de Hugues Capet, 1er quart du 14e siècle, tiré des Grandes Chroniques de France

Hugues Capet, élu roi en 987, n’était qu’un des nombreux nobles puissants du royaume, et les territoires dont il assumait le contrôle direct n’étaient pas considérables. Ils étaient toutefois cruciaux du point de vue stratégique, englobant des villes aussi importantes que Paris et Orléans, et des terres particulièrement fertiles traversées de cours d’eau et de routes. Un autre élément distinguait Capet : il était le seul à avoir été oint d’huile sainte lors d’une cérémonie de couronnement, symbole des liens entre la royauté et l’Église. L’onction divine fut un événement pris très au sérieux par les Français qui attribuèrent aux rois capétiens subséquents de miraculeux pouvoirs de guérison. Ce sentiment de prestige spirituel associé à la monarchie serait plus tard abondamment exploité par les rois.

Entre le XIe et le début du XIVe siècle, les rois capétiens s’employèrent activement à consolider le pouvoir royal par des stratégies administratives, financières, juridiques et militaires. Un système de gouvernement bureaucratique et centralisé remplaça graduellement l’ordre féodal. Philippe Auguste (1180-1223), par exemple, créa les baillis, une nouvelle classe d’officiers royaux envoyés dans les provinces pour administrer la justice, représenter le roi et transmettre ses ordres. Louis IX (saint Louis, 1226-1270) établit un Parlement, qui devint la cour d’appel des tribunaux seigneuriaux et ecclésiastiques, institua une Cour des comptes (ancêtre du Trésor) et introduisit une monnaie royale. De ses batailles contre les Anglais et de sa participation aux croisades, la monarchie acquit territoires, revenus fiscaux et prestige. Au cours de cette période, la France, comme l’essentiel de l’Europe, connut aussi des progrès dans d’autres domaines : social, démographique, technologique et économique. De nouvelles terres furent cultivées et la production agricole augmenta. Les récoltes furent aussi facilitées par des innovations comme les fers à cheval en fer, le moulin à eau et la charrue à versoir. La hausse des revenus chez les propriétaires fonciers stimula le commerce et l’industrie. Au début du XIVe siècle, la supériorité de l’autorité royale sur la noblesse était établie, et la France était en voie de devenir une puissance européenne de premier rang.

La famine, les guerres et la peste noire

Mappemonde de l'Atlas catalan, 1375, par l’enlumineur Abraham Cresques

Mappemonde de l'Atlas catalan, 1375, par l’enlumineur Abraham Cresques

Les réalisations des années 1000 à 1300 furent menacées par les fléaux des XIVe et XVe siècles. La France connut alors diverses calamités : la famine des années 1309-1311 et 1315-1317 (à la suite de températures particulièrement froides et de mauvaises récoltes), la peste noire de 1347 et 1348 (qui revint à quelques reprises par la suite), l’agitation politique, la rébellion et la guerre. Un différent concernant l’héritier du trône de France évolua en un conflit avec l’Angleterre qui dura, par intermittence, pendant plus de cent ans (1337-1453). Les hostilités avec l’Angleterre n’avaient rien de nouveau; les rois capétiens avaient consacré l’essentiel des XIIe et XIIIe siècles à tenter de reprendre des territoires alors aux mains de l’Angleterre. Après le décès successif des trois fils de Philippe IV le Bel, le roi anglais Édouard III soutint que, en tant que fils de la fille de Philippe, il était le légitime héritier du trône. Le trône échut toutefois à un neveu de Philippe qui appartenait à la maison de Valois (celui-ci devint Philippe VI). Bien qu’elle ait donné lieu à peu de batailles sanglantes, la guerre de Cent Ans fut néanmoins extrêmement perturbatrice. L’indiscipline des soldats (il s’agissait souvent de mercenaires) atteignit des sommets dans l’ensemble du pays : les paysans furent terrorisés, les récoltes et les animaux détruits (et donc les moyens de subsistance). À une époque aussi rude, le peuple se rebella contre la hausse des impôts décrétée par le roi. Aussi, manifesta-t-il sa fureur en 1358 par de nombreux soulèvements connus sous le nom de Jacquerie.

Assez tôt après la déliverance du roi de Navarre, advint une grand’merveilleuse tribulation…Car aucunes gens des villes champêtres, sans chef, s’assemblèrent en Beauvoisin ; […] et dirent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, honnissaient et trahissaient le royaume, et que ce serait grand bien qui tous les détruiroit. Et chacun d’eux dit : « Il dit voir ! il dit voir ! honni soit celui par qui il demeurera que tous les gentils hommes ne soient détruits ! »

Les Chroniques de Sire Jean Froissart, vers 1380.

Le sentiment de bâtir un pays

La France se remit lentement de ces épreuves et poursuivit sa progression vers l’unité et la centralisation. Le pays parvint même à tirer certains avantages des cataclysmes du passé. La baisse démographique importante fit de la main-d’œuvre une ressource primordiale et les paysans profitèrent de revenus plus élevés, d’un meilleur niveau de vie et d’une nouvelle liberté. Celle-ci donna lieu à une plus grande mobilité sociale qui stimula la croissance des centres urbains, du commerce et de l’industrie. La monarchie profita, elle aussi, des difficultés récentes. L’interminable guerre avait conduit à la création d’une armée professionnelle permanente et d’un système régulier de taxation, en plus d’engendrer un sentiment d’unité nationale. Des années de dévastation et d’instabilité avaient rendu la population avide d’ordre et de bon gouvernement, choses que le roi affirmait être en mesure d’offrir. Le besoin de reconstruire donna à la monarchie l’occasion d’ériger un appareil gouvernemental davantage autocratique. Les rois de cette époque consolidèrent le pouvoir et créèrent un État royal libre des contraintes du féodalisme.

Bataille de Crécy, vers 1475, par l’enlumineur Loyset Liédet

Bataille de Crécy, vers 1475, par l’enlumineur Loyset Liédet

Ce sentiment de construction nationale se poursuivit aux XVe et XVIe siècles. Le royaume s’agrandit avec l’annexion des États princiers de la Bourgogne et de la Bretagne. Le gouvernement devint de plus en plus centré sur la forte personnalité du monarque et sur un conseil restreint veillant à ce que la volonté du roi devienne loi. Doté d’une réelle inclination pour les arts et enclin à la dépense, François Ier (1494-1547) fit construire une bibliothèque et des châteaux, et créa une collection d’art digne d’un roi. Il signa aussi l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), imposant le français (en remplacement du latin) dans les documents officiels et garantissant ainsi l’unification du pays autour d’une langue. Se considérant dorénavant en sécurité au pays, les rois français s’intéressèrent dès lors aux ennemis de l’extérieur et se lancèrent dans des conquêtes. Au début du XVIe siècle, la France tenta de conquérir certains États italiens et, par la suite, de combattre l’empereur des Habsbourg, Charles Quint. Ces conflits eurent pour effet d’unifier la France contre l’ennemi extérieur tout en canalisant les énergies belliqueuses des seigneurs et des princes loin des disputes et des ambitions internes.

L’influence de l’humanisme et de l’imprimerie

Si l’Italie était considérée, aussi bien politiquement que militairement, comme un ennemi à conquérir, sa culture marquait l’Europe d’une profonde influence. L’Italie était le berceau de l’humanisme, un mouvement intellectuel promouvant un nouvel idéal du savoir ainsi qu’une nouvelle vision de la citoyenneté et de l’identité en s’appuyant sur des textes anciens grecs et latins, dont plusieurs avaient été découverts récemment. Grâce à l’éducation et l’imprimerie, la pensée humaniste se répandit et une nouvelle façon de voir l’homme et le monde se propagea. On soutint la dignité de l’homme, sa capacité de raisonner et de se perfectionner; on encouragea la curiosité à l’égard du monde, des choses et des peuples le composant, et même de l’au-delà, et on vit apparaître une attitude de questionnement à l’égard de la religion. En France comme ailleurs, les humanistes étaient aussi bien des intellectuels que des courtisans servant le roi à divers titres ou bénéficiant de son patronage. Sur la liste des humanistes français les plus célèbres figurent Guillaume Budé (1467-1540), grand érudit de la littérature grecque en charge de la bibliothèque royale, et l’écrivain François Rabelais. Léonard de Vinci – dont le nom évoque tant l’humanisme que l’esprit de la Renaissance – vint en France à l’invitation de François Ier et y vécut ses dernières années.

La réforme religieuse

L’attitude d’interrogation encouragée par l’humanisme, ainsi que l’importance dorénavant accordée à l’individu plutôt qu’à l’institution, contribua à ouvrir la voie aux réformes religieuses mises de l’avant par Martin Luther pendant la seconde décennie du XVIe siècle. Le manifeste de Luther fut traduit en français en 1520, mais ce furent les textes de Calvin, né en France, qui semblèrent galvaniser le peuple de France. L’âpre division entre l’Église catholique et les réformateurs protestants causa à la monarchie française un problème de taille. Les rois de France, depuis Hugues Capet, s’étaient employés à maintenir une dimension tant spirituelle que séculaire de l’autorité royale. Nantis du titre accordé par le pape de « roi très chrétien », les monarques français avaient pris part aux croisades, adopté le modèle de la chevalerie promulgué par l’Église et tenté de maintenir une étroite relation avec l’institution qui influençait de manière si fondamentale la vie de tous les sujets, tout en faisant valoir le droit de la France à l’autodétermination. François Ier a privilégié une attitude plus tolérante à l’égard des protestants français (bientôt appelés huguenots), conséquence possible de ses apprentissages humanistes ou de la nécessité de conserver le soutien des princes protestants d’Allemagne contre l’empire des Habsbourg. Il fut néanmoins forcé de réagir après la diffusion à Paris et dans les provinces, en 1534, d’un manifeste anticatholique. Un tribunal inquisitorial (appelé aussi chambre ardente) chargé d’instruire les procès des hérétiques fut mis en place au Parlement de Paris. Au fil du temps, les scissions religieuses devinrent davantage politisées tandis qu’un nombre croissant de nobles se convertissaient à la nouvelle religion. Le protestantisme devint une façon de protester non seulement contre l’Église établie mais aussi contre le pouvoir croissant du roi. La seconde moitié du XVIe siècle allait être marquée par une guerre civile sanglante entre catholiques et huguenots, guerre qui éprouverait la force et la cohésion de l’État royal établi par le pouvoir monarchique au siècle précédent.

Tandis que la France était absorbée par ses guerres en Italie, Christophe Colomb découvrit les Amériques et Jean Cabot entreprit son périple vers la « Newe Founde Lande », l’actuel Canada. La France mit du temps à s’engager, du moins officiellement, dans les explorations de l’Atlantique. Elle n’était cependant pas insensible au fait que les voyages réalisés par Colomb pour les Espagnols et Cabot pour les Anglais avaient des conséquences sociales, économiques et politiques sur l’ensemble de l’Europe. L’histoire a souvent retenu l’année 1492 comme le moment mémorable où l’Europe « découvrit » un monde nouveau, comme si l’idée qu’un autre monde existant au-delà de l’horizon occidental était une nouvelle. En réalité, au moins cinq siècles avant le voyage de Colomb, les Européens avaient exploré les confins du nord-ouest de l’Atlantique et vécu, même brièvement, dans l’est du Canada.

Les moines irlandais et le voyage de Brendan

St-Brandan célébrant la messe de Pâques, 1621, par Honorius Philoponus

St-Brandan célébrant la messe de Pâques, 1621, par Honorius Philoponus

Certains avancent que les premiers Européens à avoir foulé le continent américain étaient des moines irlandais. Poussés par leur désir de trouver des contrées éloignées, où ils pourraient laisser libre cours à leur style de vie solitaire, les moines d’Irlande, qui étaient des marins, s’établirent à des endroits tels l’Islande et les îles Féroé. Le moine Brendan qui entreprit en 565 un périple de sept ans était en quête de la paradisiaque et utopique « terre promise aux saints ». Le récit coloré du voyage de Brendan (Navigatio Sancti Brendani Abbatis) contient des descriptions de lieux que certains situent tout près du Groenland et même du continent américain. Comme le récit a été rédigé trois siècles après les faits, on y a fort probablement incorporé des connaissances accumulées par les moines marins au fil du temps.

Les Scandinaves

Aucune preuve ne vient étayer l’idée que les moines irlandais devraient être considérés comme les premiers explorateurs européens du Nouveau Monde. En revanche, deux sagas islandaises et des preuves archéologiques, dont le site de l’Anse-aux-Meadows à Terre-Neuve, révèlent que les Scandinaves (ou Vikings) sillonnèrent régulièrement les eaux de l’Atlantique entre les VIIIe et XIe siècles, s’établirent au Groenland et en Islande, et s’installèrent dans l’actuelle province de Terre-Neuve. Les Scandinaves, des tribus germaniques de Scandinavie, étaient des voyageurs maritimes et des conquérants aventureux et ambitieux. Ces spécialistes de la construction navale reconnus pour leurs longs navires emblématiques (conçus pour les raids) traversèrent l’océan à bord de bateaux appelés knorrs. Après s’être établis en Islande et au Groenland, respectivement aux IXe et Xe siècles, les Vikings aperçurent de nouvelles terres vers l’ouest, qu’explora Leif Eiriksson vers l’an 1000. Celui-ci visita trois îles auxquelles il attribua les noms de Helluland, Markland et Vinland, que l’on croit être aujourd’hui l’île de Baffin, le Labrador et Terre-Neuve. Leif établit d’abord une petite colonie pour servir de base à de futures explorations et à l’exportation de ressources au Groenland, en particulier du bois, des fourrures et des raisins.

Figurine Inuit d’un homme norois

Figurine Inuit d’un homme norois

Au cours de la décennie suivante, il y eut probablement quatre autres expéditions de repérage au Vinland, chacune durant d’un à trois ans, dans le but non pas de le peupler mais d’évaluer les ressources du territoire. De nombreux indices confortent cette hypothèse : l’emplacement de l’Anse-aux-Meadows n’est nullement protégé mais exposé à tout vent et à tout ennemi; il est situé à proximité de l’entrée du détroit de Belle-Isle qui mène au golfe du Saint-Laurent; on n’y a trouvé aucune tête de bétail qui indiquerait une occupation permanente; le lieu semble avoir été affecté à l’entreposage.

La présence de noix cendrées – une espèce non indigène à Terre-Neuve – indique que l’arrière-pays pourrait s’être étendu au sud jusqu’au Nouveau-Brunswick. Selon la saga d’Erik le Rouge, les Scandinaves abandonnèrent leurs établissements en raison de l’hostilité des peuplades indigènes qui les surpassaient considérablement en nombre. Il se peut aussi que les rendements du territoire n’en aient tout simplement pas valu la peine. Même s’il n’y eut aucune autre tentative visant à s’établir au Vinland, les contacts avec la région se poursuivirent pendant les quatre siècles suivants : les indices laissent croire que les occupants scandinaves du Groenland continuèrent de se rendre au Labrador pour le bois et qu’ils pourraient même avoir commercé avec les indigènes de l’endroit. Il y eut un établissement scandinave au Groenland jusqu’au XVe siècle.

La fascination pour l’Est

Marchands sur le Fleuve Jaune, vers 1410-1412, par l’enlumineur le Maître d’Ergeton

Marchands sur le Fleuve Jaune, vers 1410-1412, par l’enlumineur le Maître d’Ergeton

Cette histoire d’exploration n’était que vaguement connue par la majorité des Européens de la fin du Moyen Âge. L’attention fut pendant un certain temps dirigée ailleurs. Pour diverses raisons d’ordre religieux, militaire et économique, l’intérêt européen fut dirigé vers l’Est de la fin du XIe jusqu’au XIVe siècle. Cette direction était celle de Jérusalem et de la terre sainte, lieu de pèlerinage chrétien depuis le IVe siècle, mais aussi de conflits incessants entre les chevaliers européens des croisades et les musulmans, les premiers cherchant à regagner la terre sainte. Les croisades permirent aux Européens d’acquérir une connaissance des espaces et de la géographie du Moyen-Orient et suscitèrent chez eux leur intérêt pour les biens de toutes sortes qui y étaient produits. L’Empire mongol qui, à son apogée, couvrait l’essentiel de l’Asie, était relativement amène avec les étrangers comme en témoigne le récit de Marco Polo, le plus célèbre explorateur européen avant Colomb. Plusieurs routes sillonnant l’Asie furent établies et le commerce prit de l’ampleur. Les marchands, les missionnaires et les diplomates se familiarisèrent avec le territoire, les gens et les habitudes de l’Est et, à leur retour en Europe, rédigèrent le récit de leur voyage. Ces textes influencèrent les conceptions européennes tant de l’Orient que d’eux-mêmes et du monde dans son ensemble.

L’océan Atlantique : un lieu mystérieux

Avant ces explorations, les conceptions de l’Orient étaient façonnées par un imaginaire médiéval nourri de sources bibliques et classiques et de ouï-dire. Des rumeurs couraient concernant des tribus d’hommes à tête de chien ou n’ayant qu’un énorme pied plutôt que deux. De telles légendes n’étaient que partiellement tempérées par les récits des voyageurs qui mêlaient détails factuels et éléments fabuleux. Cet amalgame d’expériences réelles et de récits fantastiques et apocryphes de tradition ancienne est également présent dans les croyances de la fin du Moyen Âge concernant l’Atlantique. Les traversées de l’océan effectuées par les moines irlandais et les Vikings devinrent, dans une certaine mesure, source de mythes et de légendes alors que leurs récits circulaient en même temps que de nombreux autres sur la mer de l’Ouest et les îles censées s’y trouver. Pour une grande partie de la population européenne, l’océan Atlantique était un lieu de mystère, voire de terreur. Les textes faisant référence à l’océan remontent à des auteurs classiques comme Platon et Lucien qui dépeignirent la cité perdue d’Atlantide et les îles Fortunées (plus tard associées aux îles Canaries). Le Navigatio Sancti Brendani Abbatis, malgré ses liens possibles avec des endroits réels, incorpore encore des descriptions de monstres et d’éléments surnaturels.

Monstres marins et terrestres, 1556, par Sebastian Müster

Monstres marins et terrestres, 1556, par Sebastian Müster

« […] les poursuivant plus rapidement que le vent, un monstre marin fonce sur eux. Sa gueule, qui vomit du feu, s’embrase comme du bois à brûler jeté dans une fournaise; les flammes sont énormes, chauffent très fort et les frères craignent pour leur vie. Le corps du monstre est gigantesque, et il brait plus fort que quinze taureaux ».

« Vomissant des flammes, un griffon sort du ciel pour s’abattre sur eux, les griffes tendues pour les saisir, sa gueule en feu, ses pattes tranchantes. Aucune planche du bateau n’est si forte qu’il ne puisse l’arracher d’un seul coup de griffe. La violence de son attaque et le vent qu’il soulève suffisent – ou peu s’en faut- pour faire chavirer le bateau ».

—Tiré du récit du Voyage de Saint Brendan, vers 900 apr. J.-C.

Les légendes concernant des terres que l’on situait dans l’océan (des « îles » tels Brasil, Antillia et Saint-Brendan) enflammèrent l’imagination au Moyen Âge et inspirèrent plusieurs voyages en mer au tournant du XIVe siècle. Les cartes de l’époque révèlent aussi bien l’augmentation des connaissances et des expériences en mer que la persistance des légendes entourant la « mer de l’Ouest ».

Pour un homme du XXIe siècle, le mot « carte » évoque d’abord un document fournissant les renseignements géographiques nécessaires à l’identification et la localisation d’un lieu. Pendant la plus grande partie du Moyen Âge, une carte était surtout un document symbolique. Le but principal n’était pas de procurer des renseignements justes sur les distances ou les directions en vue, par exemple, de tracer un itinéraire. Les cartes médiévales du monde (mappae mundi) reflétaient plutôt une vision chrétienne du monde fondée sur des sources bibliques et classiques. Elles véhiculaient des idées et des connaissances en lien avec l’histoire, la géographie, la théologie, la philosophie et même la zoologie. Au XIIIe siècle, certains voyageurs tentèrent de concevoir des cartes qui rendraient compte de leurs expériences réelles et de leurs observations sur les distances et la géographie. Les cartes nautiques des environ de 1300 témoignent de cette tendance. Toutefois, les croyances et les traditions se mêlaient souvent aux renseignements pratiques. L’Atlas catalan, une mappemonde produite à Majorque vers 1370 et offerte au roi français Charles V, en est un bon exemple. On y trouve des sites bibliques ainsi que le mythique royaume du prêtre Jean et l’île de Brasil. Les routes de commerce africaines utilisées par les marchands catalans y sont cependant aussi illustrées, et les côtes de la Méditerranée, de l’Atlantique et de la mer Noire y sont tracées avec précision. L’Atlas fournit également les lignes loxodromiques nécessaires à la navigation.

Grâce aux progrès culturels, économiques et technologiques de la fin du Moyen Âge, les explorations suscitèrent beaucoup plus d’intérêt au XVe siècle. Les yeux commencèrent à se tourner vers l’ouest et de plus en plus d’explorateurs s’aventurèrent sur le mystérieux océan.

Siège de Constantinople, 3e quart du 15e siècle, par l’enlumineur Jean Le Tavernier

Siège de Constantinople, 3e quart du 15e siècle, par l’enlumineur Jean Le Tavernier

De nombreux marchands ressentirent le besoin de développer de nouvelles routes avec l’Orient. Au cours des XIIIe et XIVe siècles, l’Empire mongol avait fourni un environnement stable qui favorisa l’essor du commerce le long de la route de la soie. La demande de produits orientaux ne cessait d’augmenter, mais les coûts étaient aussi élevés, en grande partie à cause des intermédiaires qui exigeaient leur dû pour faire franchir aux marchandises les vastes étendues entre la Chine et l’Europe. Avec l’effondrement de l’Empire mongol, le commerce devint plus dangereux et plus onéreux. La situation se détériora encore avec la chute de Constantinople, carrefour des routes commerciales, aux mains des Turcs ottomans en 1453. Certains musulmans refusèrent de traiter avec les marchands européens tandis que d’autres exigèrent de forts tributs. L’idée d’augmenter les profits par un lien commercial plus direct stimula la quête d’une route maritime vers la Chine, de préférence plus courte que celle qui contournait l’Afrique. Les Européens s’intéressèrent alors à la mer de l’Ouest, mais toujours dans le but d’atteindre la Chine. Et quand Colomb et Cabot se dirigèrent vers l’Ouest, c’est une route vers l’Orient qu’ils cherchaient.

Les progrès techniques et les marchands

Entre-temps, les progrès techniques relatifs aux navires et à la navigation rendirent possibles les longs parcours en mer. Les Portugais transformèrent la caravelle, un bateau de pêche adapté à l’Atlantique, en un navire capable d’effectuer des voyages exploratoires le long de la côte africaine. Avec deux ou trois mâts dotés de voiles latines (triangulaires), ces navires étaient rapides, facilement manœuvrables et pouvaient progresser en dépit des vents latéraux ou contraires. Ils pouvaient donc naviguer sans dévier d’un axe déterminé. Privilégiés pour les voyages d’exploration, ils offraient en contrepartie peu de place pour les cargaisons. La caraque, un navire à trois ou quatre mâts gréés d’un mélange de voiles carrées et latines, possédait deux ou trois ponts. Elle pouvait transporter des charges d’un millier de tonnes tout en demeurant assez petite pour être financée par des intérêts privés. Plusieurs expéditions dans l’Atlantique pendant le XIVe siècle et la première moitié du XVe siècle impliquèrent des caravelles et des caraques voguant ensemble. Les progrès en cartographie, la boussole et l’usage des quadrants (servant à mesurer l’angle du soleil au milieu du jour pour déterminer la latitude) rendirent la navigation beaucoup plus précise. Le canon de bordée avait aussi été inventé et on l’utilisa comme système de défense sur les navires.

Reproduction d’une arbalestrille

Reproduction d’une arbalestrille

Tout comme en France, l’économie européenne connut une transition pendant le siècle qui suivit la peste noire. Même si les centres urbains connurent les plus forts taux de mortalité, l’arrivée de migrants en provenance des campagnes vint rétablir la situation. Ces travailleurs ruraux profitèrent de la pénurie de travail pour rompre leurs liens féodaux avec les seigneurs et quitter pour la ville. Les lois sur l’héritage faisaient en sorte que davantage de richesses étaient concentrées dans un nombre restreint de mains, entraînant ainsi une hausse des fortunes. La demande de produits de luxe reprit rapidement après la chute consécutive à la peste, une situation que les marchands exploitèrent à leur profit. Les plus expérimentés trouvèrent le moyen de se soustraire aux coûts élevés de la main-d’œuvre et d’accroître leur efficacité, et donc leurs profits, grâce au marché en expansion des produits fins. Les marchands, de plus en plus nombreux, accrurent leur pouvoir. Grâce à la création de compagnies ou de fédérations, ils constituèrent une nouvelle classe moyenne de plus en plus puissante. Favorisé par les progrès dans la navigation et la construction navale, le commerce international prit de l’expansion. Il devint mieux structuré et profita des nouvelles méthodes comptables, du recours accru aux polices d’assurance maritime et à de nouvelles lois régissant le commerce international. Les marchands ont pu ainsi majorer leurs profits et investir dans des voyages en mer. Ils étaient souvent les principaux bailleurs de fonds des explorateurs, les gouvernements jouant un moindre rôle. Ce partenariat entre les monarques et les marchands allait s’intensifier à mesure que le rythme des explorations du Nouveau Monde s’accélérerait au XVIe siècle.

Utilisation de l'arbalestrille, 1583, par Jacques de Vaulx

Utilisation de l'arbalestrille, 1583, par Jacques de Vaulx

La montée d’une classe moyenne

L’élite de cette classe moyenne en émergence fut influencée par les nouveaux courants de pensée. À la fin du Moyen Âge et au début de la France moderne, le prestige croissant de la langue vernaculaire, un meilleur accès aux livres, l’augmentation de l’alphabétisme, le développement des arts, l’émergence de l’humanisme sont autant de courants qui s’observaient en France comme ailleurs en Europe. Jadis réservé à l’élite, au clergé ou aux savants, le savoir atteignait dorénavant un plus large auditoire. Les livres faisaient partie des articles « de luxe » que se procurait une partie de la classe moyenne. Les textes religieux, y compris la Bible, étaient traduits en langues vernaculaires, tout comme des ouvrages sur l’histoire, la science et la géographie. Les nouvelles connaissances répondaient à une plus grande curiosité vis-à-vis du monde et de la place de l’humanité, ainsi qu’à une soif de découvertes et d’explorations.

Le Portugal

Carta da navigar per le Isole nouam… in le parte de l'India, fac-similé d'un fragement du planisphère envoyé à Alberto Cantino en 1502, l'original est à la Bibiotheca Estense, Modène

Carta da navigar per le Isole nouam… in le parte de l'India, fac-similé d'un fragement du planisphère envoyé à Alberto Cantino en 1502, l'original est à la Bibiotheca Estense, Modène

Les Portugais, explorateurs ambitieux, sillonnèrent assidûment la côte africaine dès le milieu des années 1400, désireux de contourner le continent et de trouver une route vers l’Asie. Ils explorèrent les îles de l’Atlantique, découvrant et colonisant Madère, les Açores et les îles du Cap-Vert. Au début du XVIe siècle, les Açores, environ à mi-chemin entre le Portugal et Terre-Neuve, servirent de base pour les expéditions vers le nord et l’ouest. Un propriétaire foncier des Açores (ou lavrador), Joao Fernandes, organisa par exemple un voyage au Groenland puis dirigea par la suite des marins anglais jusqu’à Terre-Neuve et peut-être même plus loin dans la région récemment découverte par Cabot. Le « territoire du Labrador » devint un terme utilisé pour décrire diverses parties de la « Newe Founde Lande » explorée par les Portugais, du détroit de Belle-Isle jusqu’à la Nouvelle-Écosse. En 1521, les Portugais avaient aussi établi une colonie sur la côte est de l’île du Cap-Breton, la première colonie européenne en Amérique du Nord depuis sa « redécouverte ». Elle fut abandonnée après seulement quelques années.

L’Espagne et Colomb

L’explorateur italien Christophe Colomb sollicita l’appui du Portugal pour son voyage vers l’Asie en passant par la mer de l’Ouest. Sa proposition fut rejetée. Quelques années plus tard, il obtint le mécénat du roi Ferdinand et de la reine Isabelle d’Espagne. Les résultats de son voyage de 1492 avec une caraque et deux caravelles de même que ses trois voyages subséquents sont bien connus. En raison de l’importance de sa découverte et du fait qu’il fut à l’origine du contact entre l’Europe et les Amériques qui devait contribuer à façonner le monde moderne, Colomb est souvent considéré comme un « homme de la Renaissance ».

Christophe Colomb, par Adriaen Collaert (vers 1560-1618), graveur

Christophe Colomb, par Adriaen Collaert (vers 1560-1618), graveur

En réalité, Colomb était clairement un homme de son époque. En tant que membre de la classe moyenne émergente, la vie de Colomb témoigne de la nouvelle mobilité sociale à la fin du Moyen Âge. Il appartenait à une famille de tisserands qui migra de la campagne à la ville de Gênes et y établit une florissante entreprise. Gênes était un centre de commerce important et les contacts de sa famille avec des fournisseurs pourraient avoir aidé Colomb à trouver du travail sur des navires. Comme d’autres, Colomb bénéficia d’un plus grand accès aux livres et il fit de nombreuses lectures sur une variété de sujets. Il demeura toutefois un fervent disciple des institutions et des structures qui avaient supporté le monde médiéval. Colomb voyait sa vie et ses activités à la lumière de la religion catholique et appuyait la forme militante du christianisme exprimée dans les croisades (il suggéra d’abord que tous les profits de son entreprise servent à financer la reconquête de Jérusalem). Il voyait ses découvertes comme faisant partie du processus de christianisation du monde, un processus qui, selon lui, hâterait la seconde venue de Jésus-Christ, et il s’étendit abondamment sur ce sujet dans son ouvrage intitulé El Libro de las Profecías (Livre des prophéties).

Les connaissances de Colomb sur le monde étaient un amalgame d’éléments véridiques et documentés et de légendes et récits traditionnels typiques de son époque. Il possédait une copie des Voyages de Marco Polo et ses annotations démontrent qu’il lut l’ouvrage attentivement et y puisa probablement ses connaissances sur l’Asie. Il rassembla des informations sur les récentes découvertes des Portugais, et ce furent vraisemblablement des habitants des Açores qui lui révélèrent l’existence probable d’un territoire à l’ouest.

Lors de ses voyages, il prenait en compte les calculs de la taille de la terre effectués par les cosmographes, notamment l’Italien Paolo dal Pozzo Toscanelli et le Français Pierre d’Ailly, puis les réduisait d’un tiers. Colomb croyait en l’existence de la légendaire île d’Antillia qu’il envisageait comme une bonne escale sur la route vers l’Asie. Jusqu’à sa mort, il a cru obstinément que la terre qu’il avait découverte de l’autre côté de l’océan n’était pas un « nouveau » monde, mais faisait partie de l’« ancien » monde, le continent asiatique.

L’Angleterre et Cabot

Pendant la première décennie du XVe siècle, des pêcheurs anglais, dont plusieurs partaient du port de Bristol sur l’Atlantique, commencèrent à visiter les eaux islandaises pour profiter de leurs riches réserves de morues. De tels voyages, considérablement plus longs et ambitieux que ceux qu’ils avaient faits auparavant, étaient rendus possibles grâce aux progrès de la construction navale et de la navigation. En plus d’offrir une abondance de morue, l’Islande s’avérait un marché intéressant pour les produits anglais; des relations commerciales furent donc entamées. Les interactions entres Anglais et Islandais (48 Islandais habitaient Bristol en 1484) pourraient avoir contribué à propager des informations sur le Groenland et d’autres terres encore plus à l’ouest. Quand, dans le dernier quart du XVe siècle, les Anglais furent expulsés des eaux islandaises par les Danois qui dirigeaient l’Islande, quelques pêcheurs les plus courageux se seraient dirigés vers l’ouest à la recherche de « l’île de Brasil » (île fabuleuse). Comme ce dernier terme est utilisé dans un sens très général pour désigner des îles atlantiques qu’on ne connaît pas, il faut un certain esprit d’aventure mais aussi le désir de trouver de nouvelles zones de pêche à la morue et de nouveaux marchés pour les produits anglais. Il semble que c’est en raison des récits ou des rumeurs entendus en Islande que ces pêcheurs se dirigèrent vers l’ouest avec l’espoir de découvrir de nouveaux territoires.

Il est probable que ces Anglais aient aperçu le Groenland alors qu’ils cherchaient des aires de pêche, mais il est aussi possible qu’ils se soient rendus sur les côtes du Vinland. ? Certains érudits estiment que les pêcheurs de Bristol sillonnaient les mers entourant l’est du Canada avant même le voyage de Colomb en 1492. Cela soulève alors une question. Pourquoi ces hommes n’ont-ils pas revendiqué la gloire d’avoir découvert une terre nouvelle? Peut-être que les profits énormes qu’ils tiraient de ces eaux poissonneuses les invitaient à garder le secret.

Quoi qu’il en soit, les pêcheurs de Bristol ont presque certainement influencé le voyage de Jean Cabot. Grâce au mécénat anglais, parti de Bristol à la recherche d’une route vers l’Orient, celui-ci finit par « découvrir », du moins officiellement, la « Newe Founde Lande ». Cabot avait probablement obtenu des pêcheurs de Bristol des informations sur des terres à l’ouest de l’Islande et peut-être même sur la voie à suivre. Dans ce cas, la « découverte » du Canada ne peut plus être interprétée comme « l’heureux résultat d’une tentative visant à atteindre Cathay », mais plutôt comme un voyage vers une « destination connue ». L’archéologue Robert McGhee a exprimé de la façon suivante l’importance de cette hypothèse sur notre vision de l’exploration de l’Atlantique :

Cette interprétation sous-entend la transmission d’un certain savoir à propos de l’existence des terres de l’Est canadien, de l’époque des Norois à la Renaissance. Nous savons que les Norois du Groënland ont visité cette région aussitôt qu’en 1347… les pêcheurs anglais de Bristol pourraient avoir exploités les ressources halieutiques de la région à compter des années 1480… Dans ces circonstances, le voyage remarquable de Jean Cabot pourrait donc ne pas constituer un voyage de découverte au sens où on l’a toujours reconnu, mais n’être plutôt qu’un autre événement dans la longue série de visites que les Européens ont effectué dans cette région au cours des 500 ans qui l’ont précédé.

—Robert McGhee. Canada Rediscovered. Canadian Museum of Civilization, 1991. p. 92. [Traduction libre]

Carte du Vinland

Carte du Vinland

La France

La France se lança officiellement dans les explorations plus tardivement que les autres pays. Comme sa position sur la Méditerranée lui permettait de profiter des routes commerciales vers l’Orient qui traversaient l’Afrique du Nord et le Proche-Orient, son intérêt pour la route de l’Atlantique n’était pas aussi vif. Le pays eut néanmoins ses explorateurs : en 1402, deux Français, Gadifer de la Salle et Jean de Bethencourt, explorèrent les Canaries et y établirent une présence européenne. Ils agirent toutefois au nom de la Castille et non de la France. À la fin des années 1480, alors que Christophe Colomb sollicitait l’appui de la couronne espagnole pour son voyage, son frère, Bartolomeo, était en France et réclamait l’appui de Charles VIII. Bien que le roi traitât Bartolomeo avec courtoisie, il choisit de ne pas financer son projet.

Au début du XVIe siècle, les aventuriers français sillonnèrent l’Atlantique à des fins commerciales. En 1503, un marin de Normandie, Binot Paulmier de Gonneville, prit la mer et revint en 1505, affirmant avoir trouvé une terre au sud-est de l’Afrique. Le récit de son voyage témoigne qu’il a abordé aux côtes du Brésil et il en ramena quelques aborigènes. En 1506, un pêcheur de Honfleur, Jean Denys, navigua vers Terre-Neuve pour y profiter de la morue et de nombreux autres l’imitèrent par la suite. À vrai dire, les pêcheurs de Normandie, de Bretagne et du pays Basque ne tardèrent pas à se joindre aux Anglais et aux Portugais pour profiter des riches bancs de morue entourant Terre-Neuve. En 1519, avec plus de 100 navires français mettant le cap vers Terre-Neuve, la France prenait une part importante dans ces pêcheries. Les pêcheurs français ne se contentèrent pas des eaux connues et cartographiées. La féroce compétition avec les pêcheurs d’Angleterre et du Portugal les incita à explorer de nouvelles régions. Quand Cartier, un explorateur « officiel », pénétra dans le détroit de Belle-Isle et le nord du golfe du Saint-Laurent, il trouva des pêcheurs français déjà bien installés : d’ailleurs, plusieurs ports portaient déjà des noms de pêcheurs français.

Alors que des pêcheurs français étaient déjà à l’œuvre au Nouveau Monde, François Ier était trop accaparé par les guerres italiennes pour investir temps et argent dans les explorations. La situation avait toutefois changé au début des années 1520. Il se rendait compte en effet qu’il ne pouvait se priver des profits à tirer de l’exploration des nouveaux territoires et il ne voyait pas pourquoi le monde en expansion devrait être divisé entre l’Espagne et le Portugal, comme le stipulait le traité de Tordesillas de 1494. Ainsi qu’il le dit avec éloquence dans son mot célèbre à l’ambassadeur d’Espagne :

Le soleil luit pour moi comme pour les autres. Je voudrais bien voir la clause d’Adam qui m’exclut du partage du monde.

L’importance des corsaires

C’est peut-être cette attitude qui incita François Ier (et d’autres monarques européens) à cautionner des corsaires qui s’attaquaient à des navires espagnols transportant de riches cargaisons entre les Caraïbes et l’Espagne. Ces corsaires étaient en quelque sorte des pirates qui recevaient l’appui de l’État. La France était si souvent en guerre contre l’Espagne pendant la première moitié du XVIe siècle que le pillage était considéré comme une tactique de guerre légitime. Dans l’un des premiers actes de piraterie contre l’Espagne et ses réserves d’or, le corsaire Jean Fleury s’empara de quatre navires espagnols qui voguaient à proximité des Açores et réclama leur trésor au nom de François Ier. Ce trésor provenait de la récente conquête du Mexique. L’ampleur des profits à tirer de ces raids encouragea d’autres corsaires à se rendre dans les Caraïbes pour assaillir non seulement des navires mais aussi des établissements côtiers. Au milieu du siècle, jusqu’à trente bâtiments français naviguaient chaque année jusque dans les Caraïbes, un nombre fort révélateur des richesses que ces marins raflaient mais aussi de leur familiarité avec l’océan et les routes de navigation.

Attaque de la ville de Chioreram, 1595, par Theodor de Bry

Attaque de la ville de Chioreram, 1595, par Theodor de Bry

Soutenir la piraterie était une façon moins onéreuse de miner l’économie et d’affaiblir l’empire espagnol sur les hautes mers que de tenter de s’emparer du territoire. Il restait néanmoins encore à explorer l’essentiel de l’Atlantique. Afin de montrer son intérêt pour le Nouveau Monde, François Ier chargea le navigateur italien Giovanni da Verrazzano de trouver un passage maritime par la terre nouvellement découverte vers l’ouest jusqu’en Asie. Verrazzano explora une longue bande de la côte américaine, du Cap Fear sur la côte de la Caroline du Nord à Terre-Neuve, découvrant ainsi l’immense étendue du continent et la portée de l’obstacle qu’il représentait avant d’atteindre l’Asie. Il donna au territoire le nom de Nouvelle-France mais à son retour auprès de François Ier, il s’aperçut que l’intérêt du roi pour l’exploration s’était affadi et qu’il était encore occupé par les guerres en Europe. Dix autres années passèrent avant que François Ier n’accorde à nouveau son appui à une autre tentative pour trouver un passage à travers le continent. Les rumeurs circulant sur le merveilleux « golfe » derrière Terre-Neuve, exploré par les pêcheurs français, ont probablement accru les possibilités d’un succès.

Le contexte des explorations du Moyen Âge et du début de l’époque moderne dans l’Atlantique indique clairement que le voyage de Christophe Colomb et la « découverte du Nouveau Monde » sont le fruit d’un long processus. La traversée de l’Atlantique par Colomb n’était qu’une étape dans la série d’explorations de l’Atlantique menées par les Européens. Elle fit connaître aux habitants d’Europe un territoire que certains de leurs ancêtres avaient déjà visité. Si les détails de ces visites furent perdus, elles laissèrent une marque dans la mémoire collective qui incita de nombreux contemporains à croire fermement qu’une terre serait découverte à l’ouest. Il n’en demeure pas moins que cette « étape » était extrêmement importante et que les trente années de voyage suivantes allaient radicalement altérer les conceptions du monde et le point de vue européen. En 1522, après la première circumnavigation de la Terre par Magellan, le monde entier semblait avoir été révélé aux Européens. Ces remarques de contemporains le rendent bien :

« Je suis né pendant ce siècle au cours duquel le monde entier est devenu connu alors que les anciens n’étaient familiers qu’avec un peu plus du tiers de celui-ci. »

—Girolamo Cardano, médecin milanais, 1576.

« Il ne faut pas croire qu’il put exister rien de plus honorable pendant notre siècle ou le précédent que l’invention de la presse à imprimer et la découverte du nouveau monde; ces deux éléments m’ont toujours apparu comme pouvant être comparés non seulement à l’Antiquité mais à l’immortalité. »

—Lazzaro Buonamico, 1539.

« Le monde entier est ouvert à la race humaine. »

—Juan Luis Vives, 1531.

(citations tirées de Phillips and Phillips, The Worlds of Christopher Columbus [Traduction libre]).

BENEDEIT, Le voyage de Saint Brendan. Texte, traduction, présentation et notes par I. Short et B. Merrilees. Paris : H. Champion, 2006.

BRAUDEL, Fernand, Le Monde de Jacques Cartier : l’aventure au XVIe siècle, Paris : Berger-Levrault, Montréal : Libre Expression, 1984.

CAMPBELL, Mary Baine, The Witness and the Other World: Exotic European Travel Writing, 400–1600, Ithaca (N.Y.) : Cornell University Press, 1991.

COLUMBUS, Christopher, La découverte de l’Amérique. S. Estorach et M. Lequenne trad. Collection La Découverte ; 1-2. Paris : François Maspero, 1981.

BERTIER DE SAUVIGNY, Guillaume de, Histoire de France. Paris : Flammarion, 1977.

EDSON, Evelyn, The World Map, 1300–1492, Baltimore : The John Hopkins University Press, 2007.

FROISSART, Jean, Chroniques, texte présenté, ét́abli et commenté par Peter Ainsworth et Alberto Varvaro. Paris : Librarie générale française, 2004.

GRANDBOIS, Alain. Les voyages de Marco Polo. Édition critique par N. Deschamps et S. Caillé. Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 2000.

HALLAM, Elizabeth M. et Judith EVERARD, Capetian France 987-1328, 2e éd., Londres : Longman, 2001.

KNECHT, R. J., Francis I, Cambridge : Cambridge University Press, 1984.

JONES, Colin, The Cambridge Illustrated History of France, Cambridge : Cambridge University Press, 1994.

McGHEE, Robert, Canada Rediscovered, Ottawa : Musée des civilisations, 1991.

McGHEE, Robert, « Epilogue: Was There Continuity from Norse to Post-Medieval Explorations of the New World? » dans James H. Barrett, dir., Contact, Continuity, Collapse: The Norse Colonization of the North Atlantic, Turnhout : Brepols, 2003, pp. 239-248.

PHILLIPS, William D. JR et Carla RAHN PHILLIPS, The Worlds of Christopher Columbus, Cambridge : Cambridge University Press, 1992.

PRICE, Roger, A Concise History of France, 2e éd., Cambridge : Cambridge University Press, 2005.

SHARP, J. J., Discovery in the North Atlantic: from the 6th to the 17th Century, Halifax : Nimbus, 1991.

THORSSON, Ornolfur, The Sagas of the Icelanders: A Selection, New York : Viking, 2000.

WALLACE, Birgitta Linderoth, « L’Anse aux Meadows and Vinland: An Abandoned Experiment » dans James H. Barrett, dir., Contact, Continuity, Collapse: The Norse Colonization of the North Atlantic, Turnhout : Brepols, 2003. 207–238.

Site de Parcs Canada consacré à L’Anse aux Meadows :
http://www.pc.gc.ca/fra/lhn-nhs/nl/meadows/index.aspx

Exposition virtuelle sur les Vikings et l’Atlantique Nord du National Museum of Natural History, Smithsonian Institution (site anglais seulement).
www.mnh.si.edu/vikings/start.html

Base de données sur les sagas islandaises (site anglais seulement).
www.sagadb.org/

Reconstitution des voyages de Marco Polo en Asie (site anglais seulement).
http://ngm.nationalgeographic.com/ngm/data/2001/07/01/sights_n_sounds/media.2.2.html

Site consacré aux recherches archéologiques menées dans les navires de l’Ère des grandes découvertes par le Corpus Christi Museum of Science and History (site anglais seulement).
www.shipsofdiscovery.org/index.htm

Recherche originale : Anna LEWIS, Ph.D. historienne
Footer Scrape (Do Not Delete) | Musée canadien de l’histoire