Les explorateurs
Louis-Armand de Lom d’Arce, baron de Lahontan 1684-1689
La pauvreté obligea Louis-Armand de Lom d’Arce, troisième baron de Lahontan, à se tourner vers une carrière militaire obscure, mais ses talents d’écrivain le précipitèrent vers la gloire. Né le 9 juin 1666, à Lahontan, dans l’ancienne province du Béarn, il était le fils de Jeanne-Françoise Le Fascheux de Couttes et d’Isaac de Lom d’Arce. À sa mort, le père laissait une famille au bord de la ruine, en butte à des prétentions extérieures sur son patrimoine. Pendant les dix années de son séjour en Nouvelle-France, cette situation va préoccuper le jeune baron qui ne pourra jamais faire valoir efficacement ses droits.
Itinéraire
L’initiation au pays
Le baron de Lahontan est l’un des 200 militaires envoyés par Louis XIV pour soutenir la Nouvelle-France dans ses tentatives de soumettre les Iroquois des Grands Lacs. Arrivé à Québec le 8 novembre 1683, il passe l’hiver sur la côte de Beaupré. Sa carrière d’observateur, d’écrivain et d’ethnographe débute. «Sans mentir,» écrit-il dans sa 2e lettre rédigée sur la côte, le 2 mai 1684, «les paysans y vivent plus commodément qu’une infinité de gentilshommes en France. Quand je dis paysans, je me trompe, il faut dire habitants, car ce titre de paysan n’est pas plus reçu ici qu’en Espagne […] » Plus tard en mai, Lahontan quitte la côte à destination de Ville-Marie. Chemin faisant, il s’arrête à l’île d’Orléans, à Québec, à Sillery, au Sault-de-la-Chaudière, à Lorette et aux Trois-Rivières.
Premier voyage au pays des Iroquois
Le 22 ou le 23 juin 1684, Lahontan quitte Montréal avec un détachement d’éclaireurs. La troupe traverse les rapides de Lachine, des Cascades, des Cèdres et du Long-Sault et suit le cours du fleuve jusqu’au fort Frontenac (Cataracoui ou Kingston), sur le lac Ontario. Le gouverneur Lefebvre de La Barre, qui veut dicter les conditions de paix aux délégués des Cinq-Nations, rejoint la troupe au mois d’août. Plus de 1 200 soldats, miliciens canadiens et alliés amérindiens l’accompagnent.
Dans la région de Niagara, les fièvres font 80 victimes et affectent un grand nombre d’hommes. L’armée du gouverneur ressemble bientôt à un « hôpital mouvant ». L’expédition n’a rapporté à la colonie qu’un semblant de paix et le mépris des Iroquois qui ont refusé de s’entendre avec certaines tribus traditionnellement alliées des Français. Lahontan rentre à Ville-Marie, déçu d’avoir constaté que, du plus grand au plus petit, les fonctionnaires s’intéressent à la traite pour leur profit et ne s’intéressent pas aux Amérindiens.
Deuxième voyage au pays des Iroquois
Au mois de mars 1685, Lahontan est officier au fort Chambly. À la fin de septembre, soit un mois après le remplacement de La Barre par Jacques-René de Brisay, marquis de Denonville, le baron s’installe à Boucherville. Il y reste jusqu’au mois de juin 1687. Faute de fonctions accaparantes, il meuble ses loisirs comme il l’entend. Il voyage jusqu’au lac Champlain, chasse le gibier à plume et à poil, pêche dans les ruisseaux et apprend l’algonquin.
Au mois de juin 1687, il est au nombre des quelque 1 600 hommes qui accompagnent Denonville dans une expédition contre les Iroquois. «Quelle nécessité de les troubler, puisqu’ils ne nous en donnent aucun sujet? », demande-t-il dans la lettre du 8 juin. Il suit l’armée vers le fort Frontenac et vers Niagara où les troupes construisent un fort dont le commandement est confié au chevalier Pierre de Troyes.
Aux commandes du fort Saint-Joseph
Vers la fin de juillet, peu avant son retour dans la colonie, Denonville confie à Lahontan le commandement du fort Saint-Joseph (Détroit), érigé par Daniel Greysolon Dulhut à l’entrée du détroit qui relie les lacs Érié et Huron. Le baron, qui espérait s’embarquer enfin pour la France, se soumet. Il quitte le fort Frontenac le 3 août, en compagnie de Dulhut et d’une centaine d’hommes. Le lendemain s’amorce le grand portage des chutes Niagara, «cette effroyable cataracte». Ils entrent ensuite dans le lac Érié, remontent la rivière Detroit jusqu’au lac Sainte-Claire qu’ils atteignent le 8 septembre. Six jours plus tard, ils arrivent au fort Saint-Joseph, à l’entrée du lac Huron.
L’hiver est difficile pour le détachement qui manque de vivres et craint une attaque iroquoise. Lahontan quitte le fort le 1eravril 1688, dans l’espoir de trouver des vivres à Michillimakinac, au nord-ouest du lac Huron. Plus tard dans la saison, il se rend jusqu’au Sault Sainte-Marie, à l’entrée du lac Supérieur. De retour à Michillimakinac, il rencontre des survivants de l’expédition de Cavelier de La Salle qui cachent l’assassinat de ce dernier, survenu le 19 mars 1687. «Nous soupçonnons qu’il doit être mort, puisqu’il n’est pas venu lui-même», écrit Lahontan.
Le 24 août 1688, le baron est au fort Saint-Joseph où il apprend que le scorbut a ravagé le fort Niagara et que le commandant, le chevalier Pierre de Troyes, a été victime des fièvres. N’ayant de vivres que pour deux mois et « ne recevant ni ordres ni secours […] le vingt-sept, nous brûlames le fort ». Le même jour, commandant et soldats partent pour Michillimakinac.
Le voyage imaginaire
Aucune étude portant sur le baron de Lahontan n’a permis d’expliquer pourquoi il se laisse subitement dominer par le désir d’explorer les Grands Lacs. «Je suis sur le point d’entreprendre un autre voyage, ne pouvant me résoudre à me morfondre ici l’hiver», explique-t-il dans sa 15e lettre. Accompagné de quatre ou cinq «bons chasseurs outaouais» et d’une partie de son détachement, il quitte Michillimakinac le 24 septembre 1688 pour un périple peut-être imaginaire.
Ayant pénétré dans le lac Michigan par le nord, il entre dans la baie des Puants (Green Bay). Au sud de la baie, il s’engage dans la rivière aux Renards et effectue, à pied, le portage conduisant à la rivière Wisconsin. Rendu là, il continue vers l’ouest pour atteindre le fleuve Mississippi. Les six canots du convoi descendent le fleuve jusqu’à la mystérieuse rivière Longue qu’il prétend avoir explorée à compter du 2 novembre.
A-t-il cherché le passage vers la mer de l’ouest ou une route conduisant à la baie d’Hudson ? Le 2 mars 1689, La Hontan revient à Michillimakinac par les voies du Mississippi, des rivières Ohio et Illinois, le portage de Chicagou (Chicago) et le lac Michigan. Le 9 juillet, il était de retour dans la colonie. Curieusement, alors qu’il pourrait en tirer du profit et de l’avancement, il ne parle à personne de sa découverte de la rivière Longue, qui pourrait être la rivière Saint-Pierre. Il ne décrit à personne les fabuleuses nations qu’il a rencontrées : Essanapés, Gnacsitares, Moozimlek, Nadouessioux et Panimobas et, après lui, personne n’a vu la rivière Longue…
L’exil et la gloire
En octobre 1689, Louis de Buade de Frontenac revient assumer un deuxième mandat à la tête de la Nouvelle-France. Au mois de novembre 1690, un mois après la déroute de William Phips devant Québec, Lahontan part enfin pour la France. Un an plus tard, à son retour à Québec, il entre dans le cercle des protégés du gouverneur. Frontenac l’apprécie au point de vouloir lui donner sa filleule pour femme. Épris de liberté, Lahontan refuse ce beau parti. Profitant de ses loisirs, il ébauche le plan d’un système de navigation sur les Grands Lacs et propose la construction de trois forts situés à des points stratégiques sur ces lacs. En accord avec cette idée, Frontenac confie à Lahontan la mission d’aller la soumettre au ministre des Colonies.
Louis-Armand de Lom d’Arce de Lahontan s’embarque à Québec, le 27 juillet 1692, pour ne plus y revenir. Une escale le conduit d’abord à Plaisance où il participe à la défense du fort. En France, on ne s’intéresse guère à son projet. On récompense cependant sa bravoure en lui confiant la lieutenance de Plaisance, ce qui déplaît au gouverneur du lieu, Jacques-François Monbeton de Brouillan.
Observant chacun des faits et gestes de Lahontan, Brouillan monte un dossier suffisamment consistant pour que le baron de 26 ans s’éclipse : «le séjour de la Bastille occupait si fort mon esprit que je ne balançai plus, après avoir bien réfléchi sur la situation fâcheuse où je me trouvais, à m’embarquer sur un petit vaisseau qui était le seul et le dernier qui devait passer en France».
Parti de Plaisance le 14 décembre 1693, Lahontan trouve refuge en Hollande. Ayant pris des notes et tenu un journal pendant son séjour en Nouvelle-France, il publie, à compter de 1703, des ouvrages qui rendront célèbre. Il serait mort entre 1710 et 1715. Il était alors l’un des auteurs les plus estimés et les plus lus d’Europe.