Les explorateurs
Médard Chouart Des Groseilliers 1654-1660
Originaire de Champagne, Médard Chouart Des Groseilliers a été baptisé le 31 juillet 1618 à Charly-sur-Marne. On ne connaît rien de son existence avant qu’il n’arrive en Nouvelle-France, en 1641, après un séjour en Touraine. Entré au service des Jésuites à titre de serviteur, de donné ou d’interprète, Des Groseilliers voyage en leur compagnie jusqu’en 1646. Il sera le premier des Français de Nouvelle-France à mesurer le potentiel des pelleteries de la baie d’Hudson. Même s’il a lui-même découvert la principale source économique pouvant sauver la colonie, il est pourtant entré dans l’histoire comme un aventurier exclusivement animé par l’instinct du commerce.
Itinéraire
Les années de mûrissement
Au moment où il abandonne les Jésuites, Des Groseilliers maîtrise les langues algonquine, huronne et iroquoise. Il se fixe à Québec où, le 3 septembre 1647, il épouse Hélène Martin, fille d’Abraham. Ils auront deux enfants dont Médard, qui marchera dans les traces de son père. Veuf, Des Groseilliers convole en 1653 avec Marguerite Hayet, demi-sœur d’un adolescent alors âgé de 13 ou 14 ans, Pierre-Esprit Radisson. Des Groseilliers quitte Québec pour le poste des Trois-Rivières où sont concentrés une bonne partie des traiteurs de la colonie.
Les années 1652 et 1653 sont troublées par les incursions meurtrières des Iroquois chez les Français de la vallée du Saint-Laurent et leurs alliés, les Hurons des Grands Lacs. Le marché des fourrures est étranglé. De part et d’autre de l’Atlantique, on évoque la possibilité d’abandonner la colonie si rien n’est fait pour protéger le marché des pelleteries. Au printemps 1663, des Hurons se présentent devant Trois-Rivières et révèlent l’existence d’une cache de fourrures abritée non loin d’une région que les Français appellent baie ou mer du Nord (baie d’Hudson).
Vers le lac Supérieur
Des Groseilliers entre en scène après cette heureuse nouvelle. Au cours des mois suivants, on le rencontre en Acadie puis à Boston à la recherche d’une aide financière pour se rendre, par l’Atlantique, jusqu’à la mer du Nord. Le projet échoue. Au début de l’été 1654, la colonie exulte : les fourrures promises par les Hurons, un an plus tôt, sont transportées à Montréal par une centaine de canoteurs amérindiens.
Quand, le 6 août suivant, ces canoteurs repartent, Des Groseilliers et un autre coureur des bois sont du voyage. L’itinéraire s’amorce sur la rivière Outaouais et se poursuit jusqu’aux lacs Huron, Érié et Michigan. Selon l’historienne Grace Lee Nute, même si Pierre-Esprit Radisson présente plus tard un récit circonstancié de cet épisode, il n’est pas du voyage. À leur retour dans la colonie, à la fin du mois d’août 1656, Des Groseilliers et son compagnon sont au cœur d’une flottille de 50 canots de fourrures de grande valeur.
L’association avec Radisson
Suivent des années sans histoires au cours desquelles Des Groseilliers mène, aux Trois-Rivières, une existence partagée entre de brèves expéditions de traite et ses obligations de chef de famille. Malgré l’opposition du gouverneur Pierre Voyer d’Argenson, il repart au mois d’août 1658 ou 1659. Cette fois, son beau-frère fait partie de l’expédition qui les conduit jusqu’à l’ouest du lac Supérieur. De retour à la mi-août 1660, ils dirigent un convoi de canots portant 300 hommes et des fourrures. Ils auraient été les premiers Français à voir le Mississippi, dont ils n’ont pas mesuré l’importance, et ils n’ont pas atteint la baie du Nord dont les Cris leur avaient fourni d’amples descriptions.
Le Journal des Jésuites du 24 août précise que des 100 canots partis du lac Supérieur, « 40 rebroussèrent chemin et 60 arrivèrent ici chargés de pelleterie pour 200 000 livres; ils en laissèrent pour 50 000 livres à Montréal et portèrent le reste aux Trois-Rivières. » À leur arrivée à Québec, ils furent « salués par le canon et les batteries du fort Saint-Louis et de trois vaisseaux en rade ». Après avoir publiquement reconnu la contribution de Des Groseilliers à la prospérité de la colonie, le gouverneur le fait emprisonner pour être parti sans permission. Le butin des deux hommes est confisqué et ils sont condamnés à une amende importante.
Un secret à négocier
Des Groseilliers et Radisson n’ont révélé à personne ce qu’ils savent de la baie du Nord : « Nous voulions découvrir leur pays (des Cris) et le voir avant d’en parler aux autres. » Le traitement que leur a infligé le gouverneur, qui leur refuse en outre la permission de repartir, offusque Des Groseilliers. En 1661, il est en France. Nourri de promesses par le ministre des Colonies, il ne retire pourtant rien de cette rencontre. À La Rochelle, un associé lui fournit un voilier qui devrait le conduire à la baie du Nord, à partir de Percé. Ce projet avorte et Des Groseilliers descend alors à Boston, s’associe à des armateurs et tente d’infructueux départs vers la baie.
À la fin de l’été 1665, Des Groseilliers et Radisson sont à Londres où ils rencontrent le roi d’Angleterre pour lui livrer ce qu’ils savent à propos des trésors de la baie d’Hudson. Trois ans plus tard, ils guident les deux premiers navires anglais qui s’y dirigent. Celui de Radisson échoue mais non celui de Des Groseilliers, le Nonsuch, qui emprunte le détroit d’Hudson, dépasse le cap Diggs (Wolfenbuttel) et entre dans la baie d’Hudson. Ayant traversé cette mer intérieure vers le sud, le navire atteint la rivière Nemiscau (Rupert) le 29 septembre 1668. Au cours de l’hiver, les compagnons de Chouart jettent les bases du fort Charles.
La Compagnie de la Baie d’Hudson
Le 2 mai 1670, avec la permission du roi Charles II d’Angleterre, la Compagnie de la Baie d’Hudson est formée sous le nom de « The Governor and Company of Adventurers of England, trading into Hudson’s Bay ». Selon Marie de l’Incarnation, peu après son retour à Londres, « des Groseillers a reçu vingt mille écus de récompense du roi qui l’a fait chevalier de la Jarretière, que l’on dit être une dignité fort honorable. »
La même année, Chouart retourne à la baie d’Hudson. En Nouvelle-France, la rumeur court que des navires étrangers s’y trouvent. Le 10 novembre, l’intendant Jean Talon écrit au ministre des Colonies : « Après avoir bien repassé sur toutes les nations qui peuvent avoir percé jusqu’à ce lieu bien nord, je ne puis rabattre que sur l’anglaise qui, sous la conduite d’un nommé DesGrozeliers, autrefois habitant du Canada, a pu prendre la résolution de tenter cette navigation de soi fort inconnue et pas moins dangereuse. »
Retour sous les fleurs de lys
Quatre ans plus tard, Des Groseilliers cesse de collaborer avec les Anglais. Radisson fait de même, mais son retour sous les fleurs de lys est temporaire. En 1682, les transfuges guident deux navires de la Compagnie française de la baie d’Hudson jusqu’à l’actuelle rivière Hayes. En 1684, pendant que Radisson retournait vivre en Angleterre, Des Groseilliers mettait apparemment fin à sa carrière. Il est décédé entre 1695 et 1698, peut-être en Nouvelle-France, dans la région de Sorel.