Artéfactualité, saison 1, episode 1.
Kim Thúy [00:00:02] Imaginez un musée du futur… Entièrement constitué des histoires que nous nous racontons. Pas les histoires que nous trouvons dans les manuels scolaires, mais celles racontées par les gens qui les ont vécues… Quelles histoires souhaiteriez-vous préserver? Lesquelles selon vous résisteraient au temps? Et lesquelles ont une incidence sur la façon de vivre notre vie, aujourd’hui et à l’avenir?
[00:00:31] Bienvenue à Artéfactualité, une série de balados présentant de remarquables histoires recueillies par le Musée canadien de l’histoire. Je m’appelle Kim Thúy et je serai votre animatrice.
[00:00:46] Cet épisode d’Artéfactualité s’intitule… Mitsou, la muse de Montréal.
Mitsou Gélinas [00:00:55] Pour moi, c’était important d’afficher mon ambition, justement. Et ça, pas que pour moi. Pour tout le monde.
[CHANSON : BYE BYE, MON COWBOY]
Kim Thúy [00:01:05] La chanteuse québécoise Mitsou Gélinas n’avait que 17 ans quand sa chanson Bye bye, mon cowboy a pris d’assaut les ondes, en 1988. C’est rare qu’une chanson francophone soit en tête des palmarès au Canada anglais. Mais c’était une concoction pop parfaite, dans l’ère de Madonna.
Mitsou Gélinas [00:01:46] C’était impensable à l’époque. Juste le fait d’avoir pu vendre des disques dans le Canada anglais.
Kim Thúy [00:01:54] Quelque chose dans sa chanson dépassait le langage.
Mitsou Gélinas [00:01:58] Il y avait quelque chose qui était raw, qui était simple, qui était rock, qui chantait à capella, à la limite. Puis, en même temps, il y avait les mots bye bye. Il y avait cowboy. Il y avait mon look, il y avait mon énergie aussi. Donc, c’est un mix de tout ça. Je pense que les gens pouvaient quand même se reconnaitre.
Kim Thúy [00:02:20] Dans la vidéo pour Bye bye, mon cowboy, Mitsou portait de courtes tresses blondes, un chapeau boléro et une minijupe – une très petite minijupe. C’était ludique et provocateur, et la vidéo a marqué notre mémoire culturelle pop. Mitsou portait aussi l’un de ses nombreux costumes emblématiques, qui font maintenant partie de la collection du Musée canadien de l’histoire. Ces costumes ne font pas que préserver et fixer un moment dans l’histoire de la musique pop. Ils racontent aussi ce que c’est d’être une jeune femme dans les yeux du public, à cette époque, et comment une fille de Montréal est devenue une grande vedette mondiale… en créant un look qu’elle a trouvé dans son propre placard.
Mitsou Gélinas [00:03:12] Je savais que j’avais envie de défoncer des portes et pour ça, il fallait que je me fasse remarquer. Bye bye, mon cowboy a été créé dans ma garde-robe. J’avais des minijupes, of course, des petits soutiens-gorge bustier, un boléro. Je suis allée chercher les bottes des années 60 de ma mère qu’elle avait gardées. Puis le seul investissement que j’ai fait, c’est le chapeau de chez Henri Henri qui coutait environ 120$, je te dirais, mais qui était un bon investissement. Je pense que le meilleur investissement.
Kim Thúy [00:03:54] Les ados ne peuvent pas toujours entrer dans leur garde-robe et trouver un personnage de musique pop parfaitement formé; ça n’arrive pas à tout le monde. Mais d’avoir grandi dans un environnement théâtral et de libre-pensée – avec une histoire de performance dans la famille – a grandement aidé Mitsou Gélinas.
Mitsou Gélinas [00:04:16] Mon grand-père est Gratien Gélinas, qui est un peu le père du théâtre québécois. Il a fait sept enfants, dont mon papa, Alain Gélinas. Et puis Alain était… Moi, je suis née le 1ᵉʳ septembre 1970. Donc j’étais une fille de hippies. Et puis mon père avait décidé d’apprendre – il jouait à l’époque de la flute à bec, de la flute traversière. Et puis du violon. Et puis moi, j’ai toujours voulu être comme mon père. Je l’adorais, donc j’ai commencé à apprendre le violon à l’âge de quatre ans. Jusqu’à l’âge de six ans environ. Et puis après, ça a été un petit peu plus le piano, puis différents…. différents instruments qu’on apprend à l’école tout simplement. Mais donc, ça a commencé avec le violon.
Kim Thúy [00:05:07] Mais bien avant qu’elle ait lancé sa carrière musicale, Mitsou était comédienne.
Mitsou Gélinas [00:05:13] À partir de l’âge de cinq ans, j’ai commencé à faire de la télévision dans des publicités. Par la suite, des téléséries avec Terre humaine, puis différentes émissions. Et puis j’aimais bien être comédienne, mais je ressentais que ça serait plus facile pour moi de m’exprimer, puis d’être maitre de mon art si j’étais chanteuse. Parce que quand tu es comédien, tu es toujours à la merci d’un réalisateur, de la vision de quelqu’un d’autre, évidemment, d’un auteur, d’un scénariste, tandis que j’étais une personne extrêmement créative. J’avais envie plus d’être David Bowie que d’être… t’sais, d’être donc une chanteuse qui pouvait jouer à l’occasion. Donc c’était vraiment mon role model à l’époque.
Kim Thúy [00:06:04] Alors elle a décidé de poursuivre la musique. Même à l’adolescence, Mitsou avait une très forte idée de ce qu’elle était et de ce qu’elle voulait dire.
Mitsou Gélinas [00:06:15] Il faut dire qu’à 15 ans, j’arrivais au secondaire habillée en Marilyn Monroe, là t’sais. J’étais un petit peu, un petit peu wacko, un petit peu… écoute j’étais très très… j’étais le genre de fille qui allait gagner les trophées de la fille la plus excentrique de l’école.
Kim Thúy [00:06:31] Et elle n’a pas dû chercher trop loin pour trouver l’inspiration pour son look classique.
Mitsou Gélinas [00:06:39] Je me suis fait faire cette robe-là qui était complètement… qui… que je ne sais pas si on peut encore qualifier de robe puisqu’elle était très courte, mais c’est quelque chose que j’avais dessiné avec mon ami Andy Thê-Anh, parce que je sortais de l’enfance aussi. J’étais moi-même en train de tester ma sexualité, puis de tester mon… mon… mon rapport avec les hommes aussi. À 17 ans, c’est ça, tu… you check your boundaries. Tu regardes tes limites. Et tu testes tes limites aussi. Je pense que c’est ce que j’ai fait, mais aux yeux de tout le monde, dans le fond.
Kim Thúy [00:07:17] Juste comme ça, elle a créé la tenue iconique sur la couverture d’El Mundo, l’album sur lequel se trouve la pièce Bye bye, mon cowboy. Sa minijupe rouge est ourlée d’un ruban jaune et les manches sont en satin violet trois-quarts. Le corsage comporte des grappes de fruits colorés… et le look est complété par un cygne perché sur sa tête.
Mitsou Gélinas [00:07:49] Je pense qu’à chacune de mes chansons, il y avait un personnage qui a été inventé. Donc oui, avec quelque chose de tongue-in-cheek, un petit peu. Comme un clin d’œil. El Mundo, c’était ça. C’était comme une fille qui faisait le tour du monde un petit peu, t’sais. Ou de différents univers. Donc c’est un monde qui était très fantaisiste et où il y avait beaucoup de place pour l’humour aussi.
Kim Thúy [00:08:15] L’album El Mundo, contenant son simple inoubliable, a été un énorme succès…
Mitsou Gélinas [00:08:23] En trois semaines, Bye bye, mon cowboy était… si je me trompe pas numéro un à MusiquePlus, ça n’a pas été très long. Puis était dans le palmarès des radios partout à travers le Québec.
Kim Thúy [00:08:34] …pas seulement en Québec ou à travers le Canada, mais dans le monde entier.
Mitsou Gélinas [00:08:39] Donc, j’ai eu la chance de pouvoir traverser le Canada au complet des dizaines de fois puis, et j’en suis humblement reconnaissante.
Kim Thúy [00:08:49] Comme sa tenue, la vidéo emblématique de Bye bye, mon cowboy a été réalisée à moindre cout et avec ingéniosité. C’était filmé avec une caméra Super 8, inspirée par la chanson How Soon Is Now du groupe britannique The Smiths.
Mitsou Gélinas [00:09:07] Ça, c’était plus vraiment une cocréation avec Pierre Gendron qui était mon gérant. Il avait loué des gros ballons qu’on avait soufflés à l’hélium et puis sur lesquels on projetait des images de cowboy westerns. Ça avait commencé comme ça. Le vidéo a été créé avec 1 800 $.
Kim Thúy [00:09:32] Pourquoi la chanson Bye bye, mon cowboy a-t-elle rencontré un tel succès? Mitsou a quelques théories.
Mitsou Gélinas [00:09:41] Moi, j’étais une des seules voix de ma génération à cette époque-là. Il y avait… bon c’était les Offenbach, Marjo, Richard Séguin. Donc un peu plus folk ou rock. Les premiers artistes qui ressemblaient au niveau sonore à ce que j’écoutais moi comme jeune adolescente, c’était Jean Leloup. Il y avait Paparazzi, un peu le groupe Madame. Mais sinon, tout ce qui est… tout ce qui était à la radio semblait d’une autre époque. Donc moi, c’était très, très, très important d’avoir un son très distinct qui faisait plus européen. Mais j’avais effectivement beaucoup d’ambition. Je pense que c’était aussi le début du Cirque du Soleil. C’était le début de Céline Dion, qui n’avait pas encore eu son succès interplanétaire, eh puis j’étais une des seules et une des premières à dire qu’elle voulait exporter le produit québécois. Pour moi, c’était important d’afficher mon ambition, justement. Et ça, pas que pour moi. Pour tout le monde.
Kim Thúy [00:10:59] Après le grand succès de Bye bye, mon cowboy, Mitsou a eu un autre succès et une autre chance de repousser les limites avec une vidéo. Et les costumes? Cette fois, il n’y en avait pas vraiment…
Mitsou Gélinas [00:11:18] C’est mon vidéo la plus classique dans le fond, Dis-moi, dis-moi, parce que ça n’a pas une époque, parce que tout le monde est nu justement.
[CHANSON : Dis-moi, dis-moi…]
Kim Thúy [00:11:40] La vidéo pour Dis-moi, dis-moi a atteint le numéro un sur MusiquePlus, au Québec, mais a été interdit par MuchMusic au Canada anglais, parce qu’il montrait des seins de femmes et des fesses d’hommes. Mitsou a défendu sa vidéo, l’appelant un musée du corps humain, et en disant que les hommes représentaient des statues grecques.
Mitsou Gélinas [00:12:26] Il y avait beaucoup de sensualité, mais ce n’est pas sexuel. Il n’y avait rien de graphique, jamais dans tout ça, t’sais. Donc je trouve ça passe le temps, le test du temps, très bien.
Kim Thúy [00:12:45] La polémique autour de Dis-moi, dis-moi n’a fait qu’aider sa carrière, lui donnant la chance de percer aux États-Unis. Elle a été signée par Hollywood Records, qui a dépensé un demi-million de dollars pour produire son prochain album. Son séjour à Los Angeles a été marqué par de grands hauts et de grands bas. Elle a travaillé avec des compositeurs qui ont écrit des succès pour David Bowie et Whitney Houston. Même RuPaul lui a donné une chanson. Mais, au moment de sortir l’album, le budget commercial de l’entreprise avait considérablement diminué. Il était plus économique d’abandonner l’album que de le sortir. Mitsou n’était pas encore prête à renoncer.
Mitsou Gélinas [00:13:41] Après ça, je revenais ici à Montréal. Il fallait avoir un hit parce que ça n’avait finalement pas fonctionné mon épopée aux États-Unis, je n’avais pas eu le succès dont j’avais espéré. Eh puis, ça faisait des années que mon gérant voulait faire Le Yaya. Puis, Comme j’ai toujours envie d’aimer. Puis, je refusais toujours, and I gave in. J’ai accepté cette fois-là. Eh puis, ce n’est pas mon album le plus réussi pour moi, parce que je commence à faire beaucoup trop de compromis.
Kim Thúy [00:14:13] Mitsou commençait aussi à remarquer quelque chose à propos de son public.
Mitsou Gélinas [00:14:18] J’aurais jamais imaginé, quand j’ai sorti à 17 ans mon premier album ou18 ans, mon premier album, qui aurait autant de jeunes enfants qui m’auraient aimé. Mais souvent, c’était des enfants de cinq, six, sept ans, qui étaient complètement en transe sur ma musique. Donc, moi, j’étais en choc parce que je sortais de l’adolescence, puis je voulais me démarquer en tant que jeune femme, que femme, si tu veux, pis c’était les enfants qui m’aimaient. Donc il y avait un clash extraordinaire. Souvent, on faisait des shows, des spectacles, puis il y avait pas nécessairement d’applaudissements comme on le voulait. Ou de « encore » parce que les enfants ne savaient pas c’était quoi ça, leur premier show. C’est comme… j’avais l’impression de faire les Ice Capades et pas un show pour les jeunes adultes qui étaient les gens de ma génération.
Kim Thúy [00:15:15] Mitsou est devenue quelque chose qu’elle ne s’attendait pas à devenir.
Mitsou Gélinas [00:15:20] Il y a eu à un moment donné où ça, c’est devenu faux. Où j’essayais de grandir avec les gens, mais d’évoluer. Puis j’arrivais pas. J’ai pas trouvé mes repères. J’étais comme prise entre Nathalie Simard, puis David Bowie. Puis il y avait comme pas d’issue, on dirait. Parce que moi, ce qui était important, c’était de me démarquer, c’était d’être underground. C’était d’être raw, c’était d’être… Puis en même temps, j’arrivais. Je devais m’assurer que ma carrière continue. Puis j’ai moins osé de la bonne manière. J’ai moins créé ce que j’aurais dû créer. J’aurais dû retourner à l’art, puis au core, au lieu d’essayer de plaire. Pour moi, ça a été le début de la fin.
Kim Thúy [00:16:13] Bien que sa carrière de chanteuse ralentissait, sa carrière musicale a continué. Elle a quitté son gérant et a créé un studio de musique qui s’appelait Dazmo, avec son mari, Iohann Martin, écrivant des chansons pour des publicités, des séries télévisées et des bandes sonores. Il lui restait aussi un autre projet qui lui tenait à cœur.
Mitsou Gélinas [00:16:44] Puis on s’est fait mon… mon album de rêve, mais il y avait tellement un clash entre ce que les gens connaissaient puis ce que je venais de sortir, où j’avais des influences comme Fluke, qui est justement Européen et beaucoup plus électro, si tu veux. Puis ça va vraiment, vraiment pas bien marcher. Mais pour moi, ça restera toujours mon meilleur album.
Kim Thúy [00:17:09] Elle et son mari ont lancé deux autres entreprises musicales. Elle est retournée à l’écran comme comédienne, devenant aussi rédactrice de magazine et animatrice de radio. Même lorsque des gens l’ont catégorisée comme un phénomène pop superficiel, Mitsou savait ce qu’elle faisait. Depuis le début de sa carrière, elle a repoussé les limites et défié la vieille idée qu’une femme ne pouvait pas être enjouée et prise au sérieux en même temps. Ses costumes sexys et astucieux ne sont pas seulement amusants à regarder et à se rappeler. Ils présentent une histoire de collaboration intime et de création, et ils représentent une carrière basée sur la résilience féminine et la réinvention constante.
CRÉDITS:
Kim Thúy Merci d’avoir écouté Artéfactualité, un balado du Musée canadien de l’histoire. Je suis Kim Thúy.
Artéfactualité est produit par Makwa Creative, en collaboration avec Antica Productions. Tanya Talaga est la présidente de Makwa Creative; Jordan Huffman en est le chef de production. Stuart Coxe est président d’Antica Productions; Lisa Gabriele et Laura Regehr en sont les cheffes de production. Sophie Dummett est recherchiste pour Antica. Le mixage et la conception sonore ont été réalisés par Mitch Stuart.
Jenny Ellison et Robyn Jeffrey, du Musée canadien de l’histoire, sont les cheffes de production de ce balado.
L’entretien avec Mitsou Gélinas a été réalisé par Mika Posen, recherchiste, et Judith Klassen, conservatrice, Expression culturelle, du Musée canadien de l’histoire.
Daniel Neill, chercheur dans le domaine du sport et des loisirs, est le coordonnateur des balados du Musée.
Consultez le site museedelhistoire.ca pour découvrir les autres histoires, articles et expositions du Musée. Pour plus d’information sur les éléments liés à la musique populaire dans la collection du Musée, y compris les costumes de Mitsou, consultez les liens dans les notes du balado.