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Un avion blanc survolant un fond rouge au Musée canadien de l'histoire à Ottawa.

Transcription : Des cœurs en liberté

Artéfactualité, saison 1, episode 4.

Kim Thúy [00:00:02] Imaginez un musée du futur… Entièrement constitué des histoires que nous nous racontons. Pas les histoires que nous trouvons dans les manuels scolaires, mais celles racontées par les gens qui les ont vécues… Quelles histoires vous toucheraient le plus? Lesquelles selon vous résisteraient au temps? Et lesquelles ont une incidence sur la façon de vivre notre vie, aujourd’hui et à l’avenir?

[00:00:30] Bienvenue à Artéfactualité, une série de balados présentant de remarquables histoires recueillies par le Musée canadien de l’histoire. Je m’appelle Kim Thúy et je serai votre animatrice.

[00:00:44] Dans cet épisode d’Artéfactualité : Des cœurs en liberté.

Xay Bounnapha [00:00:52] J’avais la tête qui tournait, car c’était très risqué et la vie de ma famille dépendait de nous. Pouvions-nous faire confiance aux gens qui devaient nous faire passer? Et s’ils informaient les garde-côtes? On nous arrêterait et nous exécuterait.

Kim Thúy [00:01:13] La guerre du Vietnam s’est terminée en 1975 avec les victoires communistes au Cambodge, au Laos et au Vietnam. Mais dans la région, les conflits ne se sont pas arrêtés là. Il s’en est suivi une série de guerres locales, le règne de la terreur des Khmers rouges, de mauvaises récoltes, de terribles conditions économiques et la persécution de la population. Un grand nombre de personnes ont alors été poussées à fuir leur pays, entreprenant des voyages dangereux, parfois mortels.

Judy Trinh [00:01:48] Je ne savais pas nager, alors ma mère m’a jetée par-dessus bord en espérant que mon père puisse me trouver, puis elle a sauté à l’eau avec ma sœur. Ma mère a par la suite fait des cauchemars récurrents, toutes les nuits. Elle revivait la scène où elle me jetait par-dessus bord.

Kim Thúy [00:02:11] Xay Bounnapha et Judy Trinh sont arrivés au Canada en tant que réfugiés après la guerre du Vietnam. Ces vidéos ne sont que quelques-unes des centaines d’histoires recueillies pour Cœurs en liberté, un projet communautaire pluriannuel qui est aussi une exposition itinérante. Celle-ci a été présentée au Musée canadien de l’histoire à partir de février et est présentement en tournée à travers le pays. Entre 1975 et 1985, cent-mille réfugiés du Cambodge, du Laos et du Vietnam sont arrivés sur le sol canadien, dans ce qui représentait alors la plus grande réinsertion de réfugiés au Canada depuis la Seconde Guerre mondiale. J’ai été l’une de ces réfugiés.

[00:03:00] Ma famille a fui le Vietnam lorsque j’étais enfant. La première étape de notre voyage nous a conduits – sur un bateau sale et exigu – jusqu’à un camp de réfugiés en Malaisie. J’ai raconté mon expérience dans mon roman autobiographique, Ru, qui signifie « berceuse » en vietnamien et « petit ruisseau » en français, la langue que j’ai apprise en arrivant au Canada. En voici un extrait.

[00:03:28] Durant nos premières nuits de réfugiés en Malaisie, nous dormions directement sur la terre rouge, sans plancher. La Croix-Rouge avait construit des camps de réfugiés dans les pays voisins du Vietnam pour accueillir les boat people, ceux qui avaient survécu au voyage en mer. Les autres, qui avaient coulé pendant la traversée, n’avaient pas de noms. Ils sont morts anonymes. Nous avons fait partie de ceux qui ont eu la chance de se laisser choir sur la terre ferme. Alors, nous nous sentions bénis d’être parmi les deux mille réfugiés de ce camp qui n’en devait desservir que deux cents. Nous avons construit une cabane sur pilotis dans un coin reculé du camp, sur la pente d’une colline. Pendant des semaines, nous avons été vingt-cinq personnes de cinq familles à abattre ensemble, en cachette, quelques arbres dans le bois voisin, à les planter dans le sol mou de la terre glaise, à fixer six panneaux de contreplaqué pour en faire un grand plancher et à recouvrir la charpente d’une toile bleu électrique, bleu plastique, bleu jouet. Nous avons eu la chance de trouver assez de sacs de riz en toile de jute et en nylon pour entourer les quatre côtés de notre cabane, en plus des trois côtés notre salle de bains commune.

[00:04:55] Ensemble, ces deux constructions ressemblaient à l’installation d’un artiste contemporain dans un musée. La nuit, nous dormions tellement collés les uns contre les autres que nous n’avions jamais froid, même sans couverture. Le jour, la chaleur absorbée par la toile bleue rendait l’air de notre cabane suffocant. Les jours et les nuits de pluie, la toile laissait l’eau couler à travers les trous percés par les feuilles, les brindilles, les tiges que nous avions ajoutées pour rafraîchir. Si un chorégraphe avait été présente sous cette toile un jour où une nuit de pluie, il aurait certainement reproduit la scène: vingt-cinq personnes debout, petits et grands, qui tenaient dans chacune de leurs mains une boîte de conserve pour recueillir l’eau coulant de la toile, parfois à flots, parfois goutte à goutte. Si un musicien s’était trouvé là, il aurait entendu, l’orchestration de toute cette eau frappant la paroi des boîtes de conserve. Si un cinéaste avait été présent, il aurait capté la beauté de cette complicité silencieuse et spontanée entre gens misérables. Mais il n’y avait que nous, debout sur ce plancher qui s’enfonçait doucement dans la glaise. Au bout de trois mois, il penchait tellement d’un côté que nous avons été obligés de replacer la position de chacun de nous afin d’empêcher les enfants et les femmes de glisser pendant leur sommeil vers le ventre dodu de leur voisin.

[00:06:34] Compte tenu de ma propre expérience, je souhaitais en entendre plus sur « Cœurs en liberté ». Il s’agit d’un recueil de récits oraux de réfugiés arrivés dans les années 70 et 80, ainsi que de fonctionnaires, de bénévoles et de soutiens du Canada. Stéphanie Phitsamy Stobbe est la conservatrice principale du projet. Elle est professeure associée. Elle est également une réfugiée, née au Laos pendant les dernières années de la guerre du Vietnam. Elle est spécialiste des questions relatives aux réfugiées et aux personnes migrantes. Elle raconte ici son histoire, dans le cadre du projet.

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:07:17] Je pense que l’un des premiers souvenirs que j’ai du Laos, c’est le son de tous ces avions qui survolaient notre ville, le son du bruit assourdissant des bombardements. Un jour, nos parents nous ont dit de descendre rapidement au sous-sol. Mes parents y avaient creusé un grand trou. Chaque fois que nous entendions les bombardements provoqués par des avions au-dessus de nous, mes parents nous poussaient dans le trou et nous recouvraient d’une couverture pour essayer de nous protéger des explosions. Je me souviens que ma sœur ainée et moi demandions à nos parents, « pourquoi sommes-nous dans ce trou dans le noir? » Parce que nous ne comprenions pas vraiment. Vous savez, nous étions très jeunes.

Kim Thúy [00:07:57] Stéphanie venait d’entrer au jardin d’enfants lorsque ses parents ont décidé de quitter le Laos avec leur jeune famille.

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:08:05] Je me souviens que, le jour où nous avons quitté le Laos, nos parents voulaient faire croire que nous vivions encore à la maison. Ma mère a donc fait la lessive et a étendu les vêtements à l’extérieur. Nos voitures sont restées garées devant la maison. Nous avons pris un petit bateau, plutôt un canoë avec un moteur à l’arrière. Nous avons dit que nous allions rendre visite à mes grands-parents, qui habitaient en amont de la rivière.

Kim Thúy [00:08:34] Les parents de Stéphanie n’avaient parlé à personne de leur projet, pas même à ses grands-parents. À la tombée de la nuit, la famille a embarqué sur un bateau pour traverser le Mékong et rejoindre la Thaïlande.

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:08:49] Il y avait des militaires de chaque côté de la rivière. Les militaires du Laos avaient ordre de tirer sur tout individu essayant de partir, alors que les militaires de la Thaïlande avaient ordre de tirer sur tout individu essayant de débarquer, car les autorités ne voulaient pas accueillir de personnes réfugiées. La situation était donc très dangereuse. Ma mère était enceinte de mon frère, je pense qu’elle était enceinte de six mois. Il y avait aussi ma jeune sœur, qui devait avoir deux ans. Et puis ma sœur ainée et moi. Certaines parties du Mékong sont très dangereuses. De gros rochers émergent du fleuve. Beaucoup de gens sont morts noyés quand leurs bateaux ont heurté ces rochers. Nous avons donc fait très attention en essayant de traverser sans que les militaires nous voient.

[00:09:42] Notre bateau a ensuite atteint un tourbillon. Il s’est mis à tourner en rond, sans pouvoir s’arrêter. Il se remplissait d’eau à vue d’œil. Nous étions très jeunes et nous ne savions pas nager, ce qui inquiétait énormément nos parents. Je ne sais pas comment, par miracle, mais nous avons réussi à sortir du tourbillon. Nous avons réussi à passer en Thaïlande. Il y avait une famille qui vivait près de la frontière, le long de la rivière. Elle nous a vus et nous a accueillis chez elle pour ne pas que les militaires nous trouvent et nous arrêtent. La famille nous a cachés pour la nuit. Le lendemain, nous nous sommes mis en route vers cinq heures du matin, d’après ce que ma mère nous a dit. Et nous avons marché jusqu’à « Banh Gan Thailand », qui était un camp militaire où les forces étatsuniennes étaient stationnées. Ma mère pensait que nous avions probablement marché pendant 12 heures.

[00:10:38] Ma mère était une femme intelligente. Elle avait cousu des bijoux sous ses vêtements. Et comme elle était enceinte, cela ne se voyait pas. Elle a réussi à vendre quelques bijoux et nous avons acheté un terrain en Thaïlande. Je crois que mes parents cultivaient du riz, des bananes, du maïs et d’autres choses leur permettant de gagner leur vie. Au bout de deux ans, le gouvernement du Laos a demandé à celui de la Thaïlande de renvoyer les personnes réfugiées, faute de quoi un conflit majeur éclaterait entre les deux pays.

[00:11:11] Nos parents ont alors pensé que ce n’était peut-être pas une bonne idée de rester en Thaïlande et qu’il valait mieux aller dans un camp de personnes réfugiées pour demander asile à un autre pays, parce que nous n’étions plus en sécurité à cet endroit.

Kim Thúy [00:11:24] La famille a passé six mois dans le camp de réfugiés, en attendant d’être réinstallée au Canada, aux États-Unis, en France ou en Australie.

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:11:36] Je ne pense pas que mes parents aient beaucoup pensé aux différents pays qui pouvaient nous accueillir, voulant simplement quitter le camp. Il n’y avait pas assez de nourriture. Il n’y avait pas d’eau courante… Mes parents voulaient partir le plus vite possible. Nous avons décidé de venir au Canada, parce que c’était le premier avion qui pouvait venir nous chercher. Nous n’avions aucune idée de ce que serait la vie au Canada, si ce n’est qu’il y faisait froid.

Kim Thúy [00:12:00] Stéphanie et sa famille sont arrivées à Montréal en décembre 1979, sans vêtements d’hiver. Au bout de deux semaines, elles ont été transférées dans une petite communauté rurale du sud du Manitoba. Mais la ville isolée n’avait pas grand-chose à offrir à la famille…

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:12:20] Notre famille a été logée dans une maison de deux pièces, sans eau courante, sans électricité, sans chauffage – à l’exception d’un poêle à bois – et sans toilettes. Cette maison était située dans le cimetière de l’église et, bien sûr, les enfants avaient peur parce que nous vivions avec les fantômes, dans le cimetière. Les toilettes extérieures se trouvaient juste à côté de pierres tombales.

Kim Thúy [00:12:44] Et bien sûr, personne en ville ne parlait lao, et personne dans la famille de Stéphanie ne parlait anglais. Les communications se déroulaient ainsi avec l’aide d’un dictionnaire thaï-anglais. Finalement, la famille a pu déménager dans une plus grande ville, où la mère de Stéphanie a pu commencer à suivre des cours d’anglais.

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:13:06] Elle a rencontré des membres du personnel enseignant, des mennonites, qui nous ont demandé de leur raconter notre histoire. Lorsque ma mère a raconté son histoire, leur réaction a été de dire : « Oh, mon Dieu, c’est terrible. Que peut-on faire pour vous aider? » Ces personnes ont été extraordinaires. Elles nous ont accueillis et nous ont apporté le soutien émotionnel dont nous avions tant besoin.

Kim Thúy [00:13:32] J’ai rencontré Stephanie pour parler du projet Cœurs en liberté.

[00:13:37] Stéphanie, votre histoire est incroyable. Qu’est-ce que vous ressentez quand vous vous entendez la raconter?

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:13:43] Chaque fois que je m’entends raconter cette histoire, je trouve toujours quelque chose de nouveau à ajouter, et je pense à ma propre mère et aux histoires qu’elle nous racontait de notre fuite. Cela montre son endurance et son courage, mais cela fait aussi remonter pas mal d’émotions. J’imagine ce par quoi notre famille est passée. Nous, les enfants, n’avions surement pas vécu les évènements de la même manière que nos parents. Mais j’ai gardé des souvenirs très nets de notre fuite.

Kim Thúy [00:14:11] Quelle est l’inspiration qui se trouve derrière Cœurs en liberté?

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:14:17] C’était très important pour les communautés d’Asie du Sud-Est. Les membres de ces communautés voulaient préserver leurs histoires, leurs expériences de réinsertion et d’établissement au Canada. Ces gens voulaient avoir la certitude que ces histoires personnelles seraient racontées et transmises. Pour beaucoup de personnes que nous avons interrogées, c’était la première fois qu’elles racontaient leur histoire. Pour regarder l’entrevue complète d’une personne réfugiée en particulier, il n’y a qu’à se rendre sur le site Web pour entendre sa voix. Nous avons demandé aux personnes réfugiées de s’exprimer dans la langue qui leur était la plus familière : l’anglais, le français, le vietnamien, le lao ou le khmer.

Kim Thúy [00:15:01] Pourquoi avez-vous choisi d’inclure les trois pays? Le Laos, le Vietnam et le Cambodge?

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:15:07] Je pense qu’il était important d’inclure ces trois pays, car, à la suite de la guerre du Vietnam et ses conséquences au Cambodge et au Laos, en 1975, ils sont, tous les trois, tombés aux mains des communistes. Ils ont donc connu les mêmes persécutions, les mêmes changements économiques et les mêmes camps de rééducation. La guerre du Vietnam est souvent considérée comme la deuxième guerre d’Indochine. Le Laos a la particularité d’être le pays le plus bombardé au monde par personne. Je crois qu’entre 1964 et 1973, plus de 2,5 millions de tonnes de bombes ont été larguées sur le Laos, soit l’équivalent d’un avion chargé de bombes toutes les 8 minutes, 24 heures sur 24, pendant neuf ans.

[00:15:56] Et nous savons qu’au Cambodge, il y a eu les champs de la mort et les Khmers rouges, tristement célèbres, qui ont tué environ 2 millions de personnes. Il était donc très important d’inclure ces trois histoires pour donner une image complète de ce qui se passait en Asie du Sud-Est à cette époque.

Kim Thúy [00:16:13] Entre 1979 et 1980, le Canada a accueilli plus de 60 000 réfugiés d’Asie du Sud-Est. A quoi attribuez-vous cette générosité ou cette ouverture d’esprit, je dirais?

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:16:28] Oui, à cette époque, comme au plus fort des mouvements de personnes réfugiées d’Indochine ou d’Asie du Sud-Est, les médias internationaux couvraient largement ce qui se passait en Asie du Sud-Est. On a donc entendu et vu des histoires de femmes et d’enfants qui avaient perdu la vie pendant cette guerre. Vous avez vu les images des « boat people », les gens du Vietnam qui se trouvaient dans des bateaux surchargés et non étanches dans la mer de Chine méridionale, et qui étaient attaqués par des pirates. Ces histoires ont attiré l’attention du monde entier. C’est ce qui a fait réagir le Canada et d’autres pays. Il y a eu aussi la célèbre photo de Kim Phuc, une fillette de neuf ans, dont la peau avait été brulée par les bombes au napalm tombées sur sa ville. Je pense que le monde a été horrifié par cette photo. Par ailleurs, je crois que beaucoup de gens au Canada se souviennent de leurs propres expériences ou de celles de leur famille, qui ont fui les différentes guerres en Europe, y compris la Seconde Guerre mondiale. Et je sais que les mennonites, par exemple, se souviennent également de l’expérience de leurs familles qui ont fui les guerres et les persécutions en Europe et en Russie, et de la façon dont elles ont pu s’établir et se réinsérer ici, au Canada.

Kim Thúy [00:17:47] Mais alors, comment l’attitude des Canadiens à l’égard de l’accueil des réfugiés a-t-elle changé depuis ?

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:17:54] Oui, c’est une question compliquée. Le Canada continue de réinsérer des personnes réfugiées, comme en témoignent l’accueil de gens qui ont fui la Syrie et, plus récemment, l’Ukraine. C’est formidable d’accueillir des gens de l’Ukraine, mais, selon moi, il est toujours possible d’en faire plus et d’accueillir des gens de partout ailleurs dans le monde.

Kim Thúy [00:18:15] Serait-ce le but de cette exposition ?

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:18:19] Le but de l’exposition est de raconter l’histoire de personnes réfugiées d’Asie du Sud-Est et de préserver cette histoire, d’une part parce qu’elle est très importante; d’autre part parce qu’elle constitue un élément essentiel de l’histoire du Canada. Les personnes réfugiées issues de ces mouvements ont très bien réussi avec leur citoyenneté canadienne, et leur contribution au Canada et au reste du monde est importante, sous diverses formes. Nous pouvons voir la résilience, le courage et l’endurance des personnes réfugiées de l’Asie du Sud-Est, ainsi que la façon dont elles ont pu surmonter toutes les persécutions, les traumatismes et les obstacles, puis refaire leur vie avec leur famille ici au Canada… beaucoup ont bouclé la boucle.

[00:19:05] Aujourd’hui, on entend parler de certaines personnes issues de ces mouvements qui aident, à leur tour, des gens venus d’Éthiopie, de Syrie, d’Afghanistan et maintenant d’Ukraine. Il est donc extrêmement important de raconter ces histoires. Par ailleurs, ces moments représentent une période extraordinaire de l’histoire du Canada en termes de collaboration et de partenariat entre le gouvernement canadien, les ONG et la population ordinaire.

Kim Thúy [00:19:34] Si vous pouviez revenir en arrière, que diriez-vous à cette petite fille dans le camp de réfugiés en Thaïlande, il y a pas si longtemps ?

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:19:44] Voilà ce que je dirais à cette petite fille : « Tu as de la chance. Tu vas au Canada. Dans un pays où l’on va t’aider, t’offrir des occasions, te permettre de bien gagner ta vie, d’avoir une vie agréable. » Mais je me demande aussi ce que je dirais aux petites filles qui vivent aujourd’hui dans des camps de personnes réfugiées dans le monde entier. Je ne sais pas si ces petites filles auront autant de chance que moi, car beaucoup d’entre elles n’auront peut-être pas l’occasion de venir au Canada ou d’aller dans d’autres pays. Beaucoup d’entre elles vivent là depuis de nombreuses années. Des enfants, vous le savez, ont vu le jour dans ces camps. C’est la seule chose qui leur est connue. En ce qui concerne la réinsertion, les différents pays du monde réinsèrent moins de 1 % des gens identifiés dans le cadre du mandat du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Nous ne réinsérons que très peu de gens. Pourtant, les besoins sont tellement importants dans le monde d’aujourd’hui : il y a 33 millions de personnes réfugiées dans le monde et 103 millions de personnes déplacées de force. Il est donc important pour nous, je pense, en tant que communauté, en tant que communauté internationale, d’en faire plus.

[00:21:05] Oui. Kim, j’aimerais aussi vous demander ce que vous diriez à une petite fille qui se trouve dans un camp en Malaisie.

Kim Thúy [00:21:13] Comme vous, je ne sais pas vraiment ce que je dirais à cette petite fille, mais j’ai eu l’occasion de retourner au Centre du Croissant-Rouge à Kuala Lumpur en Malaisie, pour une émission de télévision. Et dans le cadre de cette émission, toutes les cartes d’identité que le Croissant-Rouge avaient préparées pour nous, avaient été rassemblées dans une même pièce : il y en avait 252 000. Je suis entrée et je me suis mise à trembler : je n’arrivais pas à croire que nous avions été un si grand nombre. Dans un camp, vous ne connaissez que les gens qui vous entourent.

Alors quand vous voyez ces nombres, c’est absolument époustouflant. J’ai commencé à chercher mon nom, puis les noms de ma famille. Mais je n’ai pas trouvé le nom de ma mère. Et je me disais, je me répétais, « Je sais où se trouve ma mère. Elle est à Montréal. Elle va bien, elle est en bonne santé, elle est heureuse. Mais pourquoi est-ce que c’était si important de trouver sa carte? »

[00:22:13] J’ai continué à chercher parmi les cartes et je ne la trouvais toujours pas. J’ai paniqué et j’ai commencé à pleurer. Je suis redevenue cette petite fille, parce que sur le bateau, je n’avais pas… j’avais été séparée de mes parents pendant les deux premiers jours. Et tout d’un coup toute cette peur est remontée, la peur de perdre mes parents, de perdre ma famille. Je n’avais pas non plus retrouvé mes frères pendant les premières 24 ou 36 heures sur ce bateau. Alors de me retrouver dans cette pièce … je me suis sentie comme une goutte d’eau dans la mer.

[00:22:47] Chaque fois que tu es désemparée, pense à quel point un moustique peut affecter ta vie … quand tu essayes de dormir et qu’il y a un moustique dans ta chambre, ça te perturbe complètement. Ce moustique est l’inspiration qui nous permet de trouver les moyens de nous battre, comme les moustiquaires, les vaporisateurs, l’encens, toutes sortes de choses. Quand je me sens trop petite pour envisager un quelconque changement, je pense à cette théorie du moustique.

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:23:15] Oui, c’est une excellente analogie. Chaque histoire est unique et formidable… et d’en raconter ne serait-ce qu’une seule pourrait contribuer à créer des changements.

Kim Thúy [00:23:25] Je suis certaine que votre exposition va aider au moins, j’allais dire une petite fille de plus, mais à mon avis, ce sera beaucoup plus. Alors merci beaucoup d’avoir accompli ce travail.

Stephanie Phetsamay Stobbe [00:22 :37] Merci de m’avoir invitée.

Kim Thúy [00:23:41] L’exposition Cœurs en liberté est le fruit d’un partenariat entre l’Université Carleton, l’Université mennonite canadienne et la Société historique de l’immigration canadienne. Elle a aussi bénéficié des conseils du Musée canadien de l’histoire et du Musée canadien de l’immigration du Quai 21. Pour entendre tous les entretiens ou pour voir des photos, des documents de recherche et autres, rendez-vous sur Hearts of Freedom point o-r-g, barre oblique f-r. L’exposition sera en tournée à travers le Canada en 2023 et en 2024. Pour en savoir plus ce qui concerne le mouvement des réfugiés d’Asie du Sud-Est dans la collection du Musée canadien de l’histoire, consulter les notes de l’émission ou visitez museedelhistoire.ca

CRÉDITS :

Merci d’avoir écouté Artéfactualité, un balado du Musée canadien de l’histoire. Je suis Kim Thúy.

Artéfactualité est produit par Makwa Creative, en collaboration avec Antica Productions. Tanya Talaga est la présidente de Makwa Creative; Jordan Huffman en est la productrice déléguée. Lisa Gabriele, Andrea Varsany et Sophie Dummett sont respectivement productrice, productrice associée et recherchiste pour Antica. Laura Regehr est productrice déléguée et Stuart Coxe est producteur délégué à Antica. Mixage et conception sonore par Alain Derbez.

Jenny Ellison et Robyn Jeffrey, du Musée canadien de l’histoire, sont les productrices déléguées de ce balado.

Daniel Neill, chercheur dans le domaine du sport et des loisirs, est le coordonnateur des balados du Musée.