Alert icon

Bienvenue sur notre nouveau site Web. Nous sommes encore en train de réorganiser certaines choses, alors vous verrez de nombreuses améliorations dans les semaines à venir. Explorez et profitez-en!

Aller directement au contenu principal
Un avion blanc survolant un fond rouge au Musée canadien de l'histoire à Ottawa.

Donovan Bailey, champion olympique : gagner ou apprendre

Artéfactualité, saison 2, episode 10.

Kim Thúy : Dans cet épisode d’Artéfactualité… un athlète de légende, la lutte et la discipline nécessaires pour atteindre les sommets et l’importance d’apprendre de ses échecs. Je m’appelle Kim Thui. Dans ce balado du Musée canadien de l’histoire, nous allons explorer ensemble ce que les objets et les histoires du passé peuvent nous apprendre sur qui nous sommes aujourd’hui. Qu’est ce qui trouvera encore écho demain? Comment conservera t-on le souvenir des événements qui se déroulent autour de nous? En septembre 2024, je me suis entretenue devant public avec le champion olympique Donovan Bailey. En 1996, il est devenu à la fois champion du monde et médaillé d’or olympique du 100 mètres hommes. Son temps olympique de 9,84 secondes, constituait alors un nouveau record du monde, ce qui lui a valu le titre officieux d’homme le plus rapide du monde. Donovan Bailey a remporté au total sept médailles d’or entre les championnats internationaux et les jeux olympiques. Il est devenu un héros sportif canadien incontournable. Voici quelques extraits de notre conversation riche et passionnante. As-tu commencé à courir à cause de ton frère O’Neil?

Donovan Bailey : Non, je suis né en Jamaïque. Là-bas, l’athlétisme, c’est comme le hockey ici. Au Canada, quand les enfants commencent à marcher, les parents pensent avant tout à leur acheter des patins. En Jamaïque, c’est différent. La glaçe, c’est ce qu’on met dans nos boissons. Il n’y a pas de patinoire, mais il y a beaucoup de gazon, de terrain de soccer et de collines. L’athlétisme, c’est le sport que pratiquent la plupart des enfants. En fait, l’entièreté des enfants en Jamaïque pratique l’athlétisme. On a très vite découvert quand j’étais jeune que je faisais partie des enfants rapides.

Kim Thúy : C’était le seul sport que tu faisais ou bien tu en pratiquais d’autres et la course à pied était celui qui te plaisait le plus?

J’ai pratiqué tous les sports. J’étais ce genre d’enfant. Quand j’étais petit, le basketball était mon sport préféré. Je pense que tout le monde le sait. Et si ce n’est pas le cas maintenant, vous le savez. Le basketball est mon sport préféré. J’y joue encore. Les incroyables amitiés que j’ai encore aujourd’hui et la plupart de mes meilleurs amis de l’école. On s’est tous rencontrés sur le terrain de sport, en particulier sur les terrains de basketball. À l’époque, on faisait aussi du breakdance et d’autres choses. Mais le basketball, c’était vraiment mon truc. On jouait aussi au soccer, au tennis, on faisait de tout parce que le sport nous attirait. C’est pourquoi quand je voyage et je parle avec des parents qui veulent à tout prix que leurs enfants deviennent de meilleurs athlètes en patins ou en course dès l’âge de cinq ou sept ans, je leur dis: laissez les enfants tranquilles. Laissez-les découvrir tout ce qu’ils veulent explorer. Parce que les sports sont, à mon avis, la meilleure influence à laquelle ils seront exposés et les aideront à prendre leur place dans la société. Ça m’est apparu comme évident quand j’ai eu 21 ans.

Kim Thúy : À quel moment as-tu commencé à t’investir dans la course à pied et à te dire je vais en faire mon sport et devenir athlète… athlète de haut niveau dans la course à pied?

Donovan Bailey : Ça m’est apparu comme évident quand j’ai eu 21 ans.

Kim Thúy : Pardon? C’est assez tard, non?

Donovan Bailey : Oui. Eh bien…

Kim Thúy :  Je suis désolé. Je ne sais pas à quel âge on commence.

Donovan Bailey :  Oui, oui, je comprends. Je vais t’expliquer. Au secondaire, j’étais déjà l’un des hommes les plus rapides au Canada.

Kim Thúy : Donc, tu courais déjà à ce moment là?

Donovan Bailey : Oui, bien sûr. Au secondaire, je voulais jouer au basketball, mais j’étais l’un des jeunes les plus rapides de l’Ontario et même du pays. Mais je ne le prenais pas au sérieux. Je savais que je pouvais faire partie de l’équipe. Je savais que je pouvais courir plus vite que les autres élèves de mon école, de ma région ou de l’OFSA. C’est là que j’ai rencontré Glen Roy. Lui et moi avons couru l’un contre l’autre au secondaire, tout comme Michael Smith, le grand décathlonien. Mais je savais que je tenais pour acquis que je pouvais rivaliser avec eux. J’ai fini mes études, puis j’ai commencé à travailler à Bay Street, à Toronto et je détestais être dans un bureau. Ensuite, j’ai vu que Glen Roy avait intégré l’équipe nationale avec quelques autres gars et je me suis dit je les battais au lycée, pourquoi pas moi?

Kim Thúy : Je peut le faire!

Donovan Bailey : Oui, et donc je me suis lancé. Ce n’était pas quelque chose que je me disais depuis que j’avais dix, douze ou quinze ans, du genre je vais devenir champion olympique. Je ne pensais pas comme ça. Je savais que j’avais du talent et des dons, mais je n’y pensais pas. Quand j’ai enfin décidé de m’y mettre, j’ai eu de la chance de rencontrer un excellent entraîneur qui était à l’époque à l’Université d’état de la Louisiane. Quand j’ai rencontré Dan Pfaff, nous étions à un camp d’entraînement du relais canadien et il m’a dit: tu es un trouble fête, mais tu peux être l’homme le plus rapide du monde si tu veux passer aux choses sérieuses je suis à LSU. Tu peux venir, tu peux suivre des cours si tu veux et tu peux venir t’entraîner avec moi quand tu seras sérieux.

Kim Thúy : Et la discipline? Était-ce difficile de t’y mettre et de vraiment te concentrer pour devenir un athlète?

Donovan Bailey : Oui, extrêmement. J’ai essayé. Une petite anecdote au passage: j’ai essayé de faire partie de l’équipe canadienne de bobsleigh, mais je dois dire une chose: le fait d’être là bas m’a appris une chose, la discipline. C’était la toute première fois que je me trouvais dans un environnement de vrais athlètes. J’étais dans un environnement de gens qui vivaient et respirait chaque seconde, chaque heure, chaque jour, en se préparant pour un seul objectif. C’était la première fois que je me trouvais dans un environnement composé uniquement d’athlètes. C’est ce que j’ai appris du bobsleigh. C’est l’effort que ça demandait. J’étais une personne très indisciplinée. J’étais au début de la vingtaine et quand je suis arrivé à LSU, il m’a fallu un certain temps pour m’adapter à la discipline. Parce que quand vous êtes maintenant concentré sur un objectif, vous devez prendre conscience des efforts que ça demande pour être athlète professionnel et comprendre que vous devez être responsable. Surtout après Ben Johnson pour ce qui est de l’athlétisme, mais aussi pour moi à titre personnel.

Kim Thúy : Et comment était-ce de suivre les traces de Ben Johnson?

Donovan Bailey : Eh bien, je n’y pensais pas vraiment. Ce dont je parle, c’est la discipline qu’il m’a fallu pour être dans cet environnement. En plus de devoir représenter un pays dont un des athlètes était au cœur du plus grand scandale sportif de l’histoire à l’époque. Je suis devenu l’athlète le plus testé au monde. J’ai donc dû accepter cette responsabilité, que cela m’ait plu ou non. Mais il fallait aussi être responsable chaque seconde de la journée. Tout le temps.

Kim Thúy : Et comment as tu géré cette pression? En étant si jeune à 21 ou 22 ans?

Donovan Bailey : J’avais 22 ans quand j’ai commencé. Pas beaucoup de pression. Je pense que quand tu acceptes…

Kim Thúy : As-tu eu de l’aide? Comme un entraîneur qui te parlait sans arrêt pour te dire de rester concentré et d’éviter certaines choses?

Donovan Bailey : Peut-être. Je n’avais pas de psychologue du sport, alors je remercie toujours mon père, un Jamaïcain dans l’âme, d’avoir joué ce rôle. En gros, il me disait: écoute mon grand, tu quittes un travail où tu gagnes bien ta vie en tant que banquier d’investissement et courtier pour aller courir sur une piste. Mon père était toujours sur mon dos et je savais que je ne devais pas le décevoir. Il y avait aussi Dan, Dan Pfaff, mon entraîneur, qui était quelqu’un d’extrêmement concentré et probablement le meilleur entraîneur en biomécanique au monde. Ma mère était sans doute ma plus grande supportrice. Une vraie meneuse de claques. J’avais un encadrement incroyable, même mon ancien entraîneur au secondaire, tous les gars avec qui je m’entraînais à l’époque, j’avais vraiment un réseau de soutien solide qui m’a permis d’arriver là où je suis. Et puis il y a aussi l’environnement canadien et les partisans d’ici. Les partisans du Canada ont toujours montré énormément de reconnaissance. Il n’y a pas de meilleure motivation que cela.

Kim Thúy : Qui étaient tes modèles? À qui voulais tu ressembler en te disant: je vais courir plus vite que cette personne? S’agissait-il d’athlètes ou de personnalités dans d’autres domaines?

Donovan Bailey : Mes modèles venaient de domaines différents. La personne que j’admirais, que j’ai eu la chance de rencontrer et avec qui j’ai pu discuter, c’est Mohamed Ali. Tu vois un gars qui parle de sa beauté puis qui monte sur le ring, boxe contre ses adversaires et gagne. Mais ce n’était pas que ça. C’était aussi ses manières, son assurance et sa capacité à puiser au fond de lui pour battre des adversaires que tout le monde pensait imbattable. Il y avait quelque chose en lui qui lui permettait de réussir. Mohamed Ali est quelqu’un que j’admirais. Quand j’étais plus jeune, beaucoup de gens trouvaient que je ressemblais à Michael Jordan. J’ai aussi eu la chance de le rencontrer et je pense que son énergie et sa ténacité sont uniques athlètes que j’admirais. Plus tard, il y a eu Tiger Woods, bien sûr. Ce que j’admire chez eux, c’est qu’ils travaillent dur et qu’ils dégagent une confiance absolue. C’est cet équilibre. Des trois que je viens de citer, Tiger est plus jeune que moi, donc il ne peut pas vraiment être mon héros. Mais assurément, Mohamed Ali est quelqu’un dont j’admirais la façon de se comporter, son engagement social avec la plateforme qu’il avait. Michael Jordan pour son sens des affaires. Ce sont des personnalités que j’ai eu la chance de côtoyer et de rencontrer. Je n’ai pas seulement eu la chance de les observer de loin et de voir comment ils faisaient, ce qu’ils faisaient avec ce qui leur avait été donné. Mais je me rends compte que je suis aussi dans cette situation.

Kim Thúy : Est ce qu’ils t’ont appris à être le meilleur du monde, à être au sommet, à être le meilleur, à être l’homme le plus rapide du monde? As tu appris d’eux comment devenir tout ça, à être le numéro un?

Donovan Bailey : Je pense que ça m’a appris que mon travail n’est jamais terminé. Ça m’a appris à ne jamais me contenter de ce que j’ai. Ça m’a appris à continuer d’apprendre. Et je pense qu’il m’enseigne encore aujourd’hui parce qu’on est ici et je suis connu dans le monde entier comme l’un des hommes les plus rapides de l’histoire. Mais je pense encore que mon travail n’est pas fini ou que ma raison d’être n’est pas atteinte.

Kim Thúy : Quelle est ta raison d’être?

Donovan Bailey : Je la cherche, Kim, et j’espère qu’on me la prendra aujourd’hui.

Kim Thúy : Alors, quel est ton héritage? Ta raison d’être? Représente sûrement ton futur à titre personnel. Mais quel serait ton héritage?

Donovan Bailey :

Kim Thúy :

Donovan Bailey : Je pense que j’aimerais utiliser ma plateforme pour faire quelque chose d’utile, que ce soit en m’investissant dans la philanthropie, passer le relais en encourageant les jeunes, construire des écoles à travers le monde. Mes parents sont décédés du cancer et des complications de l’Alzheimer. Donc j’aimerais aussi lever des fonds pour la recherche dans ces domaines. Peu importe de quoi il s’agit, je veux remplir mes journées de choses significatives. Je n’ai plus la piste d’athlétisme où je pouvais me défouler et exploser en sortie des blocs de départ pour aller battre des records du monde. Je n’ai plus ça. Alors je dois me concentrer sur ces petites victoires pour aller là où je dois être, où que je sois.

Kim Thúy : Je suis une femme et tu as mentionné trois hommes comme étant tes héros, alors j’aimerais que tu me dises quelle est ton héroïne?

Donovan Bailey : Ma mère. Je suis un fils à maman et j’en suis fière. Ma mère communiquait avec moi d’une manière différente quand j’étais petit. Elle avait énormément de patience et savait comment obtenir le meilleur de moi sans jamais élever la voix. J’ai eu la chance de ne jamais entendre ma mère élever la voix une seule fois, mais elle pouvait me faire tout ce qu’elle voulait. Je rends hommage à mes deux parents dans mon livre parce que je fais partie des gens qui ont eu la chance, particulièrement dans ma culture, d’avoir mes deux parents qui m’ont aimé profondément. Alors je dirais que mon héroïne ne peut être que ma mère.

Kim Thúy : Tu es arrivé ici à douze ans, c’est ça?

Donovan Bailey : Oui. En fait, je suis arrivé à sept ans, puis je suis retourné en Jamaïque pour aller à l’école. J’ai fini par aller dans un pensionnat et je suis revenue au Canada de manière permanente à douze ans.

Kim Thúy : J’aimerais te demander si le sport t’a aidé à t’intégrer dans une nouvelle société, un nouveau groupe, une nouvelle culture. Ici au Canada, quand tu es arrivé.

Donovan Bailey : Je parle toujours de l’importance du sport et je l’ai déjà dit plus tôt, je pense que chaque enfant, et c’est aussi mon expérience. Je pense que le sport prépare chaque enfant à prendre sa place au sein de la société. Le sport nous expose à tout et à tout le monde et c’est pourquoi j’en suis un grand partisan.

Kim Thúy : Tu n’as donc jamais vécu de racisme ou eu le sentiment que tu ne faisais pas partie du groupe ou que les gens ne voulaient pas de toi dans le groupe?

Donovan Bailey : Ce sont deux questions différentes. Kim. Vivre le racisme, c’est différent. En tant qu’homme, en tant qu’homme noir. Le racisme, c’est autre chose. Sur le terrain, vous parlez de vos dons physiques comparés aux dons physiques des autres. C’est un terrain plus égal. Mais quand on parle de racisme, on parle de subir des discriminations pour des choses sur lesquelles on n’a aucun contrôle, comme ne pas obtenir un emploi, une promotion ou une place dans une équipe. Et cela peut arriver simplement à cause de la couleur de notre peau.

Kim Thúy : Si tu pouvais revenir en arrière, il y a t-il quelque chose que tu changerais? Si tu le pouvais.

Donovan Bailey : Oh, wow. C’est une grande question. Je vais dire non. Je ne changerais rien parce que je ne serais pas authentiquement qui je suis aujourd’hui si je ne prenais pas en compte chaque aspect de ma vie. Si je ne la considérais pas comme mon cheminement personnel. Si je n’apprenais pas de chacune des erreurs que j’ai pu faire. Et si je ne célébrait pas chaque victoire. C’est ça mon équilibre. Donc la réponse est non.

Kim Thúy : J’ai une question. J’ai regardé ta course en 1996. Il y a eu deux faux départs, n’est ce pas? Avant le vrai départ?

Donovan Bailey : Trois.

Kim Thúy : Trois? Trois faux départs et avant le vrai départ, il y a eu quatre minutes d’attente…peut être plus.

Donovan Bailey : Beaucoup de temps.

Kim Thúy : …cinq minutes. Et je me rappelle que d’autres athlètes faisait les 100 pas.

Donovan Bailey : Oui.

Kim Thúy : Et toi, tu étais simplement accroupi. Il faut que tu m’expliques le travail que tu as fait sur toi même pour rester concentré pour la prochaine tentative de départ ou le vrai départ. Es-t-il facile de faire un faux départ?

Donovan Bailey : C’est très facile, ça se joue à 1/1000 de seconde. Tout le monde est nerveux. Il y a 100 000 personnes dans le stade. Il y a des milliards de personnes qui vous regardent et des gens qui crient votre nom. Et puis il y a les sept autres athlètes qui veulent vous battre à plate couture. Alors c’est très, très facile, mais c’est avant tout une question de concentration. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance d’avoir une équipe incroyable. Mon entraîneur, Dan Pfaff, m’avait préparé. Après les championnats du monde en 1995, nous avons passé une année entière à nous concentrer sur une seule course, à perfectionner une seule course et c’était celle d’Atlanta. Voilà la réalité. Nous nous sommes donc entraînés sur tous les aspects. Nous nous étions entraînés à ce que les autres pourraient faire de faux départs. J’avais la vitesse de pointe la plus rapide pour un être humain en 1996. Il y avait donc des athlètes qui essayaient d’avoir une longueur d’avance sur moi dès le départ ou qui essayaient d’obtenir n’importe quelle avance possible. Mon travail avec Dan et l’équipe consistait donc à me préparer à chaque possibilité. Pour répondre à ta question, je me suis concentré sur le fait qu’à chaque fois qu’il y avait un faux départ, je me considérais comme un ressort. Je suis un ressort. Je sors du bloc et je me déroule. Et donc en revenant au bloc, je remonte le ressort littéralement, mentalement, physiquement, psychologiquement. Je remonte le ressort. Donc quand tu me vois comme ça, ce que je suis en train de me dire, c’est ok, c’est arrivé, on n’est pas parti. Et là, je vais donc me préparer à nouveau pour être l’homme de la situation ou pour avoir le meilleur départ et la meilleure accélération possible. Alors oui, quand tu m’as vu, je me concentrais sur les choses simples que je faisais de façon automatique à l’entraînement avec Dan pour me préparer aux Jeux Olympiques parce que c’était ma chance et qu’il était impensable que je la gâche. Oh non, avec mon père dans les tribunes. Non.

Kim Thúy : Un jeune membre du public a demandé: qu’est ce que ça fait d’être l’homme le plus rapide du monde?

Donovan Bailey : Je me sentais rapide. Non, sérieusement, je me sentais responsable. Je savais que j’allais réussir. Mais on ne peut pas anticiper tout ce qui vient avec la célébrité. J’ai toujours été quelqu’un qui aime et respecte la vie privée. Être l’homme le plus rapide du monde est un immense titre et ma responsabilité était de trouver un équilibre entre mon vrai moi authentique, en parlant avec franchise au quotidien et comprendre que c’est un privilège incroyable d’influencer des enfants comme lui ou des enfants dans le monde entier.

Kim Thúy : Un autre membre du public a demandé comment Donovan s’était senti quand il a gagné une médaille d’argent après avoir gagné l’or en battant un record du monde. As-tu tourné la page?

Donovan Bailey : Non, non, attends. D’abord, je dois dire que de toutes mes interventions, c’est la première fois qu’on me pose cette question et c’est une question importante. Merci. Mais j’ai encore aujourd’hui un syndrome de stress post-traumatique. En tant qu’athlète, chaque jour, tu t’entraînes pour courir, pour te préparer à exécuter la course parfaite. Et ce jour là, ce n’était pas le cas. Aux Championnats du monde de 1997, j’avais réalisé une très bonne demi finale, même si j’étais un peu blessé à cause de la course contre Michael Johnson. Un mois et demi avant. Je savais que si je faisais ce qu’il fallait, je gagnerais et c’était à moi de ne pas perdre. Chaque fois que je revois cette course, je me dis: oh non, regarde ça et je crie contre la télé ou la vidéo. Ça m’arrive encore aujourd’hui, je vous le jure. Alors comment vais-je gérer ça? Voici la réponse. On m’a toujours appris à ignorer le bruit autour de moi. Grâce à mon encadrement, mes entraîneurs, mes parents, mes partenaires d’entraînement et les personnes positives autour de moi, j’ai appris à ignorer le bruit. Je savais que j’avais fait une erreur et pour moi, il s’agissait d’oublier ce qui venait de se passer. Je dis toujours. Soit tu gagnes, soit tu apprends. Je n’ai pas gagné ce jour là parce que je n’ai pas fini premier.

Donovan Bailey : Mais j’ai gagné parce que j’ai appris de cette énorme erreur. Je n’ai pas bien exécuté. Après la course, j’étais furieux et je me suis dit je suis blessé. Mais nous avons la meilleure équipe de relais au monde et il est hors de question que les Américains nous battent. Nous étions à Athènes. J’ai dit Il n’y avait aucune chance. Et j’ai dit à l’entraîneur, je lui ai dit Je vais passer les éliminatoires, mais tu es blessé? Je m’en fiche. J’ai dit: s’il faut que tu colles mes ischio-jambiers ensemble, fais-le. Donc, si tu regardes la course de 1996, c’était exactement la même chose qui s’est produite cette année à Paris. J’ai pris le témoin de relais en quatrième place et je me suis dit: oh non, pas aujourd’hui! C’est l’or bébé. C’est l’or. Alors ça a calmé mon mécontentement pour la médaille d’argent. Donc ce n’est pas si mal d’avoir, tu sais. Douze médailles de championnat et l’une d’entre elles se trouve être en argent. Les autres sont en or. Donc ça va. Voilà. C’est comme ça que je l’ai géré. Oui, oui, Ma déception de la médaille d’argent a été oubliée avec la médaille d’or. Donc je vais bien. Oui.

Kim Thúy : “Le musée va acquérir certaines de tes pièces d’équipement des Jeux de 1996.  Quelle importance ont elles pour toi? Est ce difficile de les laisser partir?

Donovan Bailey : “Extrêmement difficile. C’est dur de s’en séparer, Mais tu sais, je…

Kim Thúy : Est ce que tu garde tout?

Donovan Bailey : “Oui. L’une des choses que j’ai apprises de Michael Jordan et Mohamed Ali, c’est que toutes leurs tenues de compétition sont conservées. Je l’ai appris d’eux parce que je me suis rendu compte que nous n’avons pas ce genre d’histoire en athlétisme et je trouve ça terrible. Je trouve que c’est terrible de faire des choses historiques pour représenter son pays dans le monde entier et qu’ensuite l’histoire soit en quelque sorte effacée. En plus, elle s’efface probablement d’elle même. C’était donc difficile. Mais je reconnais aussi qu’il s’agit d’une collaboration, d’un partenariat. Je sais aussi que je peux venir ici à tout moment. Je sais aussi que les gens ici sont exceptionnels pour entreposer, restaurer et prendre soin des objets qui leur tiennent à cœur, surtout lorsqu’ils ont des proportions historiques. Et j’ai le sentiment que c’est l’endroit où tout le monde au Canada et toutes les personnes qui visitent le Canada doivent venir et que c’est quelque chose que je dois partager. Si je veux être quelqu’un qui prêche pour que le monde aille dans le bon sens, je me dois de laisser ces choses entre les mains des personnes les plus qualifiées de ce pays pour en prendre soin.

Kim Thúy : La dernière question de la soirée a été sur la bienveillance dans la défaite et ce que cela représente de réaliser une bonne performance sans pour autant arriver premier.

Donovan Bailey : Je parle souvent de gagner ou apprendre. Ma première saison sur la piste, c’était en 1994. Je raconte souvent cette histoire parce que les gens me demandent toujours ce que cela signifiait et ce que j’en ai retiré. C’était ma toute première saison. Je courais à Rome, en Italie, et je menais la course du 100 mètres face à tous les hommes les plus rapides de l’époque Carl Lewis, Leroy Burrell, Dennis Mitchell et tous les autres grands noms. Et donc, à environ 80 mètres, j’étais en tête. Mais j’ai décidé de regarder autour de moi pour les voir. Et en cherchant du regard où ils étaient, je suis passé de la première à la troisième place. J’ai franchi la ligne d’arrivée et j’étais extrêmement en colère. J’en ai frappé la piste de rage. Je m’en voulais terriblement. Et puis je me suis ressaisi en réalisant que premièrement, c’était la première fois que je courais contre ces gars et j’étais devant eux. Ce que j’ai appris de cette course, ce que la troisième place m’a permis d’apprendre, c’est que premièrement, j’étais sur la bonne voie. Deuxièmement, Dan était le bon entraîneur. Troisièmement, j’étais en harmonie avec mon encadrement. Et quatrièmement, je méritais d’être là et que gagner ne signifie pas toujours d’arriver en premier. Mais si vous prenez du recul et réalisez que vous avez le privilège d’être là, alors pourquoi ne pas apprécier et respecter ces petites victoires personnelles tout en embrassant le fait que vous faites partie des meilleurs?

Kim Thúy : Merci d’avoir été le meilleur.

Donovan Bailey : Merci. Bonne soirée.

Kim Thúy : Merci à Donovan Bailey et à notre public. Merci d’avoir écouté Artéfactualité, un balado du Musée canadien de l’histoire. Je suis Kim Thui. Artéfactualité est produit par Antica Productions, Laura Regehr et Stuart Cox sont chefs de production chez Antica. Jenny Ellison, Robyn Jeffrey et Steve McCullough du Musée canadien de l’histoire sont chefs de production de ce balado. Cet épisode a été produit par Power of Babel. Chantale Renée et Éric Geringas sont producteurs pour Power of Babel. L’enregistrement, le mixage et la conception sonore ont été réalisés par David Moreau. Visitez muséedelhistoire.ca pour les autres histoires, articles et expositions du musée.