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Un avion blanc survolant un fond rouge au Musée canadien de l'histoire à Ottawa.

Transcription : Briser la glace

Artéfactualité, saison 1, episode 2.

Kim Thúy [00:00:02] Imaginez un musée du futur… Entièrement constitué des histoires que nous nous racontons. Pas les histoires que nous trouvons dans les manuels scolaires, mais celles racontées par les gens qui les ont vécues… Quelles histoires vous toucheraient le plus? Lesquelles selon vous résisteraient au temps? Et lesquelles ont une incidence sur la façon de vivre notre vie, aujourd’hui et à l’avenir?

[00:00:29] Bienvenue à Artéfactualité, une série de balados présentant de remarquables histoires recueillies par le Musée canadien de l’histoire. Je m’appelle Kim Thúy et je serai votre animatrice.

[00:00:46] Cet épisode d’Artéfactualité s’intitule… Briser la glace.

Percy Paris [00:00:55] Les personnes comme nous qui ont des origines africaines, cherchent des héroïnes et des héros qui leur ressemblent.

Kim Thúy [00:01:05] Les sons liés au hockey sont considérés par beaucoup comme le son du Canada lui-même. Les lames qui fendent la glace, les athlètes qui frappent les bandes, les cris de la foule…

[00:01:22] La LNH est souvent la première chose qui nous vient à l’esprit quand on parle de hockey. C’est une ligue qui a été dominée par des hommes blancs.

[00:01:36] Willie O’Ree, le premier joueur noir de la LNH, est entré dans l’histoire lorsqu’il a rejoint les Bruins de Boston. Mais c’est n’est arrivé qu’en 1958. Willie est issu d’une longue tradition de joueurs de hockey noirs dans l’Est du Canada, berceau de la Colored Hockey League of the Maritimes. Celle-ci a été créée en 1895, bien avant la LNH.

[00:02:08] À son apogée, la C-H-L-M comptait plus de 12 équipes réparties dans les provinces maritimes, ainsi que des centaines de joueurs! Les patinoires de hockey n’indiquaient peut-être pas explicitement « Joueurs blancs seulement », mais les joueurs noirs bénéficiaient rarement d’un temps de glace de qualité, ce qui écourtait la saison.

[00:02:32] Malgré tout, la ligue a eu sa propre lignée de joueurs étoiles. Henry « Braces » Franklyn, le gardien de but connu pour s’être jeté sur la glace pour arrêter une rondelle; Eddie Martin, considéré par de nombreuses personnes comme le pionnier du lancer frappé; Herbert W. Allison; Gus Adams, James E. Dixon… la liste est longue.

[00:02:58] Eh puis, il y a eu le légendaire Frank Cooke, qui a joué pour les Royals d’Amherst. Son histoire n’a jamais été racontée jusqu’à ce que sa petite-fille, Elizabeth Cooke Sumbu, commence à faire ses propres recherches. Elle est l’ancienne directrice générale de la CANSA, la Cumberland African Nova Scotian Association, et la fondatrice de COOKE SUMBU Consulting. Elizabeth a confié au musée les souvenirs de son grand père et raconter la vie des personnes noires en Nouvelle Écosse d’hier et d’aujourd’hui.

Elizabeth Cooke Sumbu [00:03:38] Je m’appelle Elizabeth Cooke Sumbu et je suis une afrodescendante de huitième génération de la Nouvelle-Écosse. Ma famille est arrivée ici en 1783 avec les autres esclaves. Et, de l’autre côté, ma famille est arrivée de l’Ile du Prince-Édouard, également avec des esclaves. Notre famille a donc une longue histoire, notamment en ce qui concerne son arrivée ici, et nous avons été en mesure d’en retracer une grande partie.

[00:04:12] Mon grand-père était, je pense, était très connu dans la communauté. Il aimait danser. Il aimait se déguiser pendant la guerre. Il a fait la Seconde Guerre mondiale. Il jouait de la batterie et nous avons des photos de lui devant son camion, jouant de la batterie dans l’armée ou faisant d’autres choses de ce genre, ainsi qu’une photo de lui que j’ai trouvée chez moi il y a des années. Quelqu’un l’avait rangée, mais nous l’avons retrouvée. Nous n’avons pas beaucoup de souvenirs de cette époque.

Kim Thúy [00:04:45] Même s’il était l’un des meilleurs joueurs de la Colored Hockey League, Frank Cooke était modeste. Elizabeth n’a appris les exploits de son grand-père sur la glace que très tardivement dans sa vie.

Elizabeth Cooke Sumbu [00:05:00] On savait qu’il avait joué, mais à quelle position ou à savoir s’il avait aimé ça ou non, on n’en savait rien. J’ai bien entendu des histoires sur le fait que mon grand-père était rapide sur ses patins, qu’il patinait très vite, qu’il aimait rire et faire des blagues. Mais, à part ça, je n’avais aucune connaissance de son niveau en patinage, de ses habitudes en matière de hockey ou même de ce qu’il pensait de ce sport. Quand j’ai appris l’existence de la Colored Hockey League, j’ai contacté mon frère qui a joué au hockey et il m’a dit que notre grand-père n’en avait jamais vraiment parlé.

Kim Thúy [00:05:41] Il est important de noter que les fondateurs de la Colored Hockey League n’étaient ni des athlètes ni même des joueurs. Des responsables d’églises baptistes noires et des intellectuels noirs ont créé la ligue pour inciter plus de garçons à assister à l’office du dimanche. La promesse d’un match de hockey après la cérémonie était irrésistible. La ligue est devenue si populaire qu’elle a rapidement fait des émules au sein des autres provinces maritimes.

Elizabeth Cooke Sumbu [00:06:17] La ligue n’était pas seulement pour la Nouvelle-Écosse. Il y avait aussi une ligue au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard. Et elles organisaient des tournois pour s’affronter. On a vu des coupures de journaux qui parlaient d’un match formidable et excitant dans un aréna de Moncton, par exemple, et de la façon dont les joueurs avaient amusé le public entre les périodes. Ils sortaient et jonglaient avec leur bâton, ils faisaient les clowns et un tas de choses pour divertir la foule. Ça faisait partie de l’expérience générale du hockey. Non seulement ils étaient noirs, mais c’était aussi des artistes.

[00:06:55] Quand on y pense aujourd’hui, ou quand j’y pense aujourd’hui, ils rentraient à la maison en disant qu’ils faisaient partie de la Colored Hockey League of the Maritimes. Mais c’était plus, en sous-entendu, du racisme à son paroxysme. Restez tranquilles dans votre coin, faites en sorte que ça se passe bien. Parce que, quand on regarde l’histoire de notre communauté, nos hockeyeurs jouaient dans les marais ou sur la colline, ou dans d’autres zones de la ville inondées pendant les mois d’hiver. Ce n’est qu’en 1903 que les Amherst Royals de la Colored Hockey League ont été autorisés à jouer sur une patinoire intérieure. Après les pratiques des joueurs blancs. Pouvez-vous imaginer?

Kim Thúy [00:07:42] C’était le genre de racisme auquel les personnes noires de la Nouvelle-Écosse étaient confrontées sur et en dehors de la glace.

Elizabeth Cooke Sumbu [00:07:52] Dans notre communauté en particulier, nous n’étions pas un cas isolé. Nous avions des endroits où nous pouvions aller et d’autres où nous ne pouvions pas aller. Vous n’alliez pas dans les restaurants à l’époque. Si vous alliez au cinéma, il y avait une section où vous deviez vous assoir. On avait notre propre église noire. Nos écoles n’étaient pas ségréguées, elles étaient mixtes. Il y avait certains endroits où on vous enterrait. On a ici, dans notre communauté, des cimetières où les personnes noires étaient toutes enterrées au fond du cimetière.

Kim Thúy [00:08:29] Les effets du racisme se font sentir aujourd’hui en Nouvelle-Écosse, où vit l’une des plus anciennes communautés noires du Canada.

Elizabeth Cooke Sumbu [00:08:41] Aujourd’hui, dans la communauté et dans la province dans laquelle nous vivons, un grand effort est fait pour changer les choses. Nous commençons à comprendre ce que le fait d’avoir conscience de ce traumatisme signifie dans notre société. Surtout quand on discute à des personnes noires, qu’on parle de ce fardeau que nous avons porté toutes ces années et de comment cela a eu une influence sur nos vies aujourd’hui, de comment nous vivons cela.

[00:09:07] J’ai grandi dans une maison où ma famille nous disait de rester tranquilles, de ne rien dire de grossier à l’homme blanc. Il a été bon pour toi… Et vous grandissez comme ça, en étant polie avec les gens, mais, quand vous arrivez à mon âge, vous y repensez et vous vous dites : « mais, c’était quoi, ça? » Bien évidemment, on doit apprendre à faire preuve de respect. Mais est-on obligé de jouer la carte de la race? Il y a donc encore beaucoup à faire. Notre communauté est assez divisée sur sa position.

[00:09:47] En ce qui concerne le racisme, elle veut parfois embrasser le nouveau mouvement Black Lives Matter et dénoncer les privilèges des Blancs, mais certaines personnes ne savent pas encore si elles sont prêtes à dire certains mots ou non. On a maintenant des leadeurs et leadeuses dans nos communautés noires, ce qui fait une vraie différence. Et ça n’a rien à voir avec la musique ou la danse. On a d’autres compétences. Nous avons des médecins, des avocates et des avocats, des dentistes… des gens issus de ces communautés qui ont su se distinguer.

[10:29:00] Mais le racisme est bien vivant en Nouvelle-Écosse. Nous nous sentons différentes et différents ici. Nous avons fait notre arrivée ici en tant que groupe singulier et à un moment particulier de l’histoire. Et nous avons dû nous battre pour tout ce que nous avons eu. Vous savez, les gens aiment dire, « c’est bon, oubliez ça. Maintenant, vous avez droit à l’éducation, à ceci, à cela. » On aimerait bien oublier ça, mais pas tant que vous ne reconnaitrez pas le passé et que vous ne l’accepterez pas. Personne ne dit que c’est votre faute et que vous devriez en porter le blâme. Mais ce sont les choses avec lesquelles nous nous battons dans nos communautés pour essayer d’aller de l’avant. Il y a donc quelques avancées et beaucoup d’entre nous travaillent très dur en première ligne.

Kim Thúy [00:11:34] À la fin des années 1930, la CHLM n’existait plus, pour de nombreuses raisons, dont l’impact de la dépression économique et de la Seconde Guerre mondiale. Frank Cooke, le grand-père d’Élizabeth est mort de tuberculose dans un hôpital pour vétérans en 1967. Une récidive d’une maladie qu’il avait attrapée lorsqu’il avait servi pendant la Première Guerre mondiale. Puis, il y a eu les années 70, lors desquelles une nouvelle génération de hockeyeurs noirs est arrivée sur la glace.

Percy Paris [00:12:14] Je me suis lancé dans ce sport parce que c’était une progression naturelle depuis ma naissance. Mon père était un athlète, il était donc naturel que ses enfants, du moins les garçons de la famille, suivent ses traces.

Kim Thúy [00:12:27] Voici Percy Paris, un Néoécossais noir de huitième génération et un éminent politicien et activiste. Il a fait partie de la première équipe entièrement noire du hockey universitaire canadien dans les années 70. À cette époque, la CHLM avait depuis longtemps été dissoute. Les enfants provenant de communautés noires jouaient toujours au hockey, mais sans aucune organisation. Pour Percy, l’amour du jeu a été suscité par son environnement ainsi que par la tradition familiale.

Percy Paris [00:13:08] Peu après avoir appris à marcher, notre père nous a fait jouer à la balle et patiner sur les étangs. L’étape suivante a donc été de chausser une paire de patins. C’était donc naturel pour nous, car nous avons eu l’habitude, très tôt dans notre vie, d’avoir un esprit compétitif, d’être athlétiques et de faire preuve d’engagement.

[00:13:30] Enfant, mon modèle était mon père; ça l’est toujours aujourd’hui. C’était un athlète doué à part entière. Et non seulement était-il un athlète doué, mais il était aussi un gentleman. Il maniait très bien la langue et c’était un grand orateur, très actif, politiquement, et très respecté au sein de la société. C’était donc mon modèle; je dirais même mon héros. Il s’est assuré que nous ayons toujours une bonne implication dans le sport et, à l’époque, c’était le hockey en hiver et le baseball en été. Même si le hockey était un sport couteux, l’un des avantages que j’avais était de ne pas être le plus vieux. J’ai donc toujours eu du matériel d’occasion transmis à travers les âges. Et j’avais aussi des amis qui étaient intéressés et ravis de transmettre leur équipement de hockey.

Kim Thúy [00:14:22] La longue tradition des échanges d’équipements et de patins de seconde main a permis à bien des gens de participer à un sport dont le cout pouvait parfois être prohibitif. Et, à l’époque, Percy et ses camarades trouvaient des moyens astucieux pour passer le plus de temps possible sur la glace.

Percy Paris [00:14:45] La meilleure chose qui pouvait m’arriver dans la vie, en ce qui concerne le hockey, c’était de devenir un rat de patinoire. Je suis donc devenu un rat de patinoire. Mon frère ainé était un rat de patinoire. Il y avait d’autres personnes dans le coin qui étaient des rats de patinoire. Cela signifiait que vous pouviez participer aux matchs pour rien. Que vous pouviez avoir du temps de glace gratuit, que vous pouviez vous en prendre aux autres rats de patinoire sur la glace. C’était important de pouvoir récupérer l’équipement que certains oubliaient ou laissaient sur place. Cela a ouvert une toute nouvelle voie pour beaucoup d’entre nous quand on a pu jouer au hockey dans les ligues mineures.

[00:15:23] Si quelqu’un jetait une paire de gants, les rats de patinoire avaient un casier dans lequel on mettait ces gants. C’était un casier communautaire. Donc, si une personne avait besoin d’une paire de gants pour un match de hockey, elle allait regarder dans le casier pour en chercher une paire. Mais on la remettait ensuite. C’était le casier de la communauté et il était à la disposition de tous les rats de patinoire. Et certains des anciens rats de patinoire utilisaient ce casier pour d’autres enfants, lorsqu’ils savaient qu’ils pourraient en avoir besoin.

[00:15:54] Il y avait un casier pour les patins. Les gens se débarrassaient de patins parce qu’ils étaient devenus trop petits pour leur enfant, qui avait besoin d’une pointure plus grande. Alors, au lieu de les jeter à la décharge ou à la poubelle, ils en faisaient don à ce groupe communautaire.

[00:16:09] Il y avait toujours un moyen de contourner les problèmes; on y arrivait toujours. Quand on regardait un match, si c’était un match des séniors, il y avait une féroce compétition. Si un joueur brisait son bâton, la compétition était de savoir qui aurait ce bâton en premier. Parce qu’on pouvait peut-être réparer ce bâton ou l’utiliser ailleurs. C’était à notre avantage.

[00:16:33] Mais je ne peux pas éliminer le fait que dans les années 50 et 60 on adorait jouer au hockey sur les étangs. Quand ils jouaient sur les étangs, les enfants étaient libres. Il y avait tous ces gamins et, parfois, il n’y avait qu’une rondelle. C’est là qu’on apprenait l’agilité et le maniement du bâton, et qu’on développait nos habiletés, quand tous ces gamins se battaient pour l’unique rondelle. On jouait à différents jeux. Et quand on était assez nombreux, on faisait deux équipes et on s’affrontait. Jouer au hockey sur les étangs a eu un impact majeur sur le développement du hockey chez les enfants de l’époque.

Kim Thúy [00:17:11] Quand Percy et ses camarades ne traînaient pas autour des patinoires ou ne patinait pas sur les étangs, il leur était courant de se rassembler autour des radios pour écouter les matchs ou feuilleter les magazines à la recherche de nouvelles sur leurs joueurs préférés.

Percy Paris [00:17:31] On a grandi dans un foyer où on regardait le Sport Illustrated. On feuilletait le Hockey News. Quand j’étais petit, le Hockey News c’était la bible du hockey au Canada. Et donc, on lisait religieusement le Hockey News. Mais ce que je faisais, c’était de regarder le tableau des pointages pour savoir qui avait marqué, ou qui avait eu des pénalités, et je cherchais des noms que je connaissais. Et ces noms que je connaissais et qui résonnaient en moi c’était les noms de Willie O’Ree, de Stan « Chook » Maxwell, de Herb Carnegie, des frères Carnegie et de Danny McIntyre. Il s’agissait de joueurs dont j’entendais parler surtout par mon père. C’était des athlètes noirs qui étaient d’excellents hockeyeurs. Mais aussi, comme je le découvrirais plus tard, de grandes personnalités. Donc, ça a toujours piqué mon intérêt. Et j’ai entendu parler de ces grandes choses que ces personnes faisaient sur la glace.

[00:18:26] Et en plus de tout cela, il y avait, en Nouvelle-Écosse, une ligue de hockey sénior qui comptait des joueurs de hockey fantastiques. Quelques hockeyeurs noirs jouaient dans cette ligue. Il y a toujours eu cette envie. Parce qu’en tant que jeune, quand on cherche des héroïnes ou des héros, peut-être même sans le savoir, pour celles et ceux qui ont des origines africaines, nous cherchons des modèles qui nous ressemblent et qui ressemblent à Percy Paris. Il me semblait ainsi naturel d’être attiré par ces joueurs et de penser que, dans tout ça, il y avait une relation qui nous liait par le sang.

Kim Thúy [00:19:05] C’est vrai, il avait le hockey dans le sang. En fait, Percy avait même un lien de parenté éloigné avec le grand Stanley « Chook » Maxwell, l’un des premiers hockeyeurs noirs de Nouvelle Écosse, à devenir professionnel. C’est lui qui a inspiré Percy à faire le saut chez les pros.

Percy Paris [00:19:27] J’ai joué au hockey mineur à Windsor, en Nouvelle-Écosse. Et quand je jouais dans le mineur, il n’y avait pas de couts énormes pour jouer comme c’est le cas aujourd’hui. Il y avait un cout, mais l’inscription était gratuite. Puis, après Windsor, je suis allé à l’université à Halifax, à St Mary’s, et j’ai eu la chance de jouer avec l’équipe universitaire des Huskies de St Mary’s. C’est là que Darrell Maxwell, Bob Dawson et moi-même avons formé le premier et le seul trio entièrement noir de l’histoire du sport interuniversitaire.

Kim Thúy [00:20:03] Cependant, Percy n’a pas obtenu cette place au sein de l’équipe.

Percy Paris [00:20:09] J’aimerais tant dire que j’ai été recruté. Je n’ai pas fait partie l’équipe dès le départ, mais je n’ai pas abandonné. J’ai intégré l’équipe juniore universitaire et j’ai joué au hockey sénior dans la région d’Halifax, tout en allant à St Mary’s. Puis, on m’a appelé pour intégrer les Huskies. L’appel venait d’un ami très proche, quelqu’un avec qui j’étais allé au secondaire et qui était le gardien de but de l’équipe. Je me souviens bien. Il est venu me chercher et il m’a dit : « Écoute, Percy, je t’ai cherché toute la journée. Ils veulent que tu enfiles ton équipement. Ils veulent que tu joues avec les Huskies. » Et je lui ai dit que je pensais qu’il plaisantait et qu’il se moquait de moi. Il a dit : « Non, c’est sérieux. Va à la patinoire, prends de l’équipement, et tu seras aux entrainements à telle et telle heure. » Et j’ai rejoint l’équipe. Je suis donc passé de très bas à très haut.

Kim Thúy [00:21:09] Sa joie de pouvoir entrer dans l’équipe, et de faire partie du premier trio entièrement noir, a été rapidement ternie par les mauvais traitements qu’il a subis pour cette même réussite, pour le fait d’avoir été le premier, d’être bon… et d’être noir.

Percy Paris [00:21:27] Le racisme a toujours existé en Nouvelle-Écosse. Lorsque je jouais au hockey mineur, les insultes raciales étaient monnaie courante. Et cela n’a pas changé, même aujourd’hui. Aujourd’hui encore, les personnes d’origine africaine sont victimes de discrimination sur la glace. Il faut dire que nous venions de traverser les années 60. Nous venions tout juste d’entrer dans les années 70. On sortait à peine de l’énorme agitation atour des droits civiques aux États-Unis, mouvement qui avait eu des répercussions au Canada. Dans les années 70, les choses s’étaient un peu calmées, mais il y avait toujours ces tensions entre les communautés noires et blanches. Le racisme était bien vivant. Les personnes noires étaient au bas de l’échelle économique, ce qui signifiait que le cout du hockey était prohibitif pour les personnes noires. Si vos parents avaient peu de revenus, il ne leur était pas possible de nous aider à jouer au hockey mineur. C’était très préjudiciable non seulement à notre développement, mais aussi à notre participation.

[00:22:34] Au fur et à mesure que le temps passait et que les personnes noires accédaient à de meilleures situations, les choses ont commencé à changer, mais tout n’était pas réglé. L’option la moins chère était toujours privilégiée. Le basketball et le hockey s’affrontaient quand il s’agissait de choisir un sport. Et le basketball était beaucoup moins cher. C’est beaucoup moins cher pour les garçons et les filles de jouer au basketball que de pratiquer un sport comme le hockey. Ainsi, au fil des ans, cela a contribué à créer un fossé racial au hockey, des barrières systémiques qui ont traditionnellement empêché les personnes noires d’atteindre leurs objectifs au hockey.

Kim Thúy [00:23:18] Le destin de Percy sur la glace s’est vu être interrompu par un grave accident de voiture pendant ses études universitaires; un accident qui l’a obligé à se déplacer en fauteuil roulant pendant un certain temps. Bien que l’accident ait mis un terme à son ascension dans le hockey, il n’a pas mis fin à son amour pour ce sport.

Percy Paris [00:23:42] Ce que je ne pouvais plus faire sur mes patins, c’était d’aller vite. J’ai donc développé de meilleures aptitudes mentales et de meilleures aptitudes au maniement de la rondelle, et j’ai appris à être au bon endroit au bon moment. C’était donc différent pour moi, mais toujours aussi agréable et amusant. Pendant des années et des années et des années, j’ai joué au hockey compétitif pour gentlemans. Je dis « gentlemens » un peu avec la langue de bois, parce qu’une grande partie des matchs n’étaient pas très courtois. Il y avait toujours des insultes raciales dirigées vers moi. Il y avait d’autres joueurs de hockey noirs dans l’équipe avec laquelle je jouais. On pouvait être jusqu’à trois. On était la cible du racisme. Donc, même à ce niveau, le racisme était toujours un problème.

[00:24:31] Ce sanctuaire sacré appelé hockey était un sport de personnes blanches. Si vous étiez une personne noire, on s’attendait à ce que vous fassiez des paniers ou autres choses plus associées à votre race ou à votre ethnie. Encore une fois, je pense que c’est parce que beaucoup de joueurs faisaient ça à cause de leurs privilèges dans la vie; leurs privilèges d’homme blanc dans la vie. Comment osez-vous, en tant qu’homme noir, venir ici et essayer de jouer à ce jeu appelé hockey? Il nous appartient et n’essayez pas de l’envahir.

Kim Thúy [00:25:06] Comme Elizabeth Cooke Sumbu, Percy reconnait que les choses se sont améliorées pour les joueurs noirs, mais qu’il faut en faire encore plus pour combattre le racisme sur et en dehors de la glace. Et aussi pour reconnaitre la contribution des joueurs noirs au hockey à tous les niveaux.

Percy Paris [00:25:28] Les choses ont changé. Mais, je le répète, il y a des incidents, trop d’incidents racistes, dans le sport, encore aujourd’hui. Que ce soit dans la Ligue nationale de hockey, dans les ligues mineures professionnelles, dans le junior ou dans les rangs mineurs. Il y a encore trop de cas de racisme. Eh bien, je pense que la Ligue nationale de hockey a une obligation. Une obligation non seulement morale, mais aussi de corriger les erreurs du passé. La Ligue nationale de hockey devrait reconnaitre les contributions de la Colored Hockey League. Je pense qu’elle pourrait facilement le faire au sein du Temple de la Renommée du Hockey. C’est une solution facile. Et je pense que si elle commençait à le faire, vous verriez d’autres organisations le faire aussi. Mais je pense que cela devrait commencer au plus haut niveau. Et le sommet, c’est la Ligue nationale de hockey.

[00:26:25] Je suis toujours un partisan. J’aime toujours m’assoir et regarder un bon match de hockey. Pendant des années, j’ai eu des billets pour toute la saison de l’équipe juniore locale. J’aimais aller voir ces matchs. Mais, encore une fois, je vois certaines choses dans ce sport et, aussi bonnes soient les personnes qui y gravitent, je vois encore des possibilités d’amélioration. Et comment elles pourraient être meilleures.

[00:26:52] Ce que je constate en Nouvelle-Écosse, c’est que lorsque vous commencez à parler de racisme, les gens sont sur la défensive. Et quand ils sont sur la défensive, il n’y a plus de communication. Parce qu’une fois que vous essayez de défendre ce que vous avez dit ou ce que vous avez fait, vous n’écoutez plus l’autre partie. Vous vous concentrez trop à essayer de défendre votre propre action. Alors, avons-nous fait des progrès? Absolument. Mais je ne voudrais pas que quiconque pense que tout va bien maintenant. Et, même lorsque vous pensez que tout va bien, vous regardez et vous voyez qu’il y a encore à faire.

Kim Thúy [00:27:41] Pour des joueurs comme Frank Cooke et Percy Paris, et tant d’autres, le hockey est plus qu’un sport; il sert à construire des communautés, à encourager la passion et à développer le talent. Mais il faut en faire davantage pour faire tomber les barrières afin que ce sport national puisse être apprécié par tous les gens qui aiment le hockey et qui veulent y jouer.

CRÉDITS:

Kim Thúy [00:28:08] Merci d’avoir écouté Artéfactualité, un balado du Musée canadien de l’histoire. Je suis Kim Thúy.

Artéfactualité est produit par Makwa Creative, en collaboration avec Antica Productions. Tanya Talaga est la présidente de Makwa Creative; Jordan Huffman en est la cheffe de production. Lisa Gabriele, Andrea Varsany et Sophie Dummett sont respectivement productrice, productrice associée et recherchiste pour Antica. Laura Reghr est productrice déléguée et Stuart Coxe est producteur délégué à Antica. Mixage et conception sonore par Alain Derbez.

Jenny Ellison et Robyn Jeffrey, du Musée canadien de l’histoire, sont les productrices déléguées de ce balado.

Daniel Neill, chercheur dans le domaine du sport et des loisirs, est le coordonnateur des balados du Musée.

Consultez le site museedelhistoire.ca pour découvrir les autres histoires, articles et expositions du Musée. Pour voir des photos de Frank Cooke et de Percy Paris, consultez les liens dans les notes du balado.