Balado Artéfactualité : Monument de Stanley Hunt sur les pensionnats – guider les esprits vers leur dernier repos

Steve McCullough

Le 27 mai 2021, la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc a annoncé que de tombes anonymes d’enfants autochtones avaient été découvertes sur le site de l’ancien pensionnat de Kamloops. Stanley C. Hunt, maitre sculpteur kwaguʼł, a été choqué par la nouvelle, tout comme les gens de partout au Canada. Il a réagi en créant une imposante sculpture de cèdre rouge qui [se dresse maintenant/sera érigée le 30 septembre] au Musée canadien de l’histoire comme monument en hommage aux enfants qui n’ont jamais pu revenir des pensionnats pour Autochtones du Canada.

Inspiré par l’injustice

La famille de Stanley C. Hunt a été directement touchée par la tragédie et la violence des pensionnats pour Autochtones – ses parents et deux de ses frères et sœurs d’un âge plus avancé ont dû y aller. Il a lui-même été retiré de sa communauté dans le cadre de la « rafle des années 1960 », lorsqu’on a enlevé un grand nombre d’enfants autochtones de leur famille pour les replacer dans des familles allochtones.

Il a appris la nouvelle de Kamloops alors qu’il travaillait sur un monument commémoratif avec son neveu Mervyn Child. « Je travaillais sur un autre monument commémoratif dans ma cour arrière où je fais des totems. Mervyn et moi, nous nous sommes arrêtés et nous avons écouté la nouvelle. C’est difficile de décrire un moment comme ça, quand on entend ce genre de nouvelles. Nous avons écouté toute la diffusion, et nous nous sommes regardés et nous étions tous les deux désemparés », se remémore-t-il. Le fait d’entendre parler de la mort de ces enfants l’a inspiré à créer une sculpture commémorative leur étant dédiée.

Deux hommes à la peau basanée et aux cheveux blancs se tiennent devant une grande sculpture orange et noir.

Stanley Hunt et Mervyn Child. Musée canadien de l’histoire, IMG2023-0309-0036-Dm

Sculpter pour témoigner

Le monument n’est pas un totem traditionnel ni un poteau commémoratif. Il est unique.

Taillé dans un tronc d’arbre de 5,5 mètres de haut et de 1,25 mètre de large, il présente 130 visages inexpressifs d’enfants et un grand corbeau qui les observe de son sommet. Divers emblèmes comme la feuille d’érable, la croix et les acronymes de la Gendarmerie royale du Canada et de la Royale Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest sont sculptés à l’envers. Le tout est peint en noir et en orange.

Une vue oblique du bas du monument, allongé. Il s’agit d’un grand cylindre dont la surface présente un réseau de visages sculptés.

Le monument a été sculpté et transporté allongé. Il sera dressé pour la première fois lors de son installation au Musée. Musée canadien de l’histoire, IMG2023-0309-0043-Dm

Stanley C. Hunt précise le rôle important du corbeau : « Le corbeau porte délicatement dans son bec la semence de vie et ses ailes ne sont pas complètement déployées, elles sont légèrement repliées, pour réconforter les enfants. Pour les ramener à la maison. Il appelle leurs esprits à retrouver le chemin de la maison. »

La multitude de visages a pour but de refléter l’ampleur des torts et des pertes humaines. Chacun de ces visages est unique, nous rappelant que chaque enfant qui a vécu l’expérience de ce pensionnat était une personne – précieuse, aimée, pleine de potentiel. Hunt ajoute : « Ces enfants avaient des noms et auraient pu avoir des carrières. On ne sait pas ce que ces jeunes personnes auraient pu devenir. Elles auraient pu devenir artistes. Elles auraient pu écrire, peindre. Elles auraient pu devenir premiers ministres, médecins, avocates; elles auraient pu devenir n’importe qui. Mais on ne leur a pas donné la chance de faire quoi que ce soit ».

La traversée du pays

Le déplacement du monument à travers le pays depuis Tsakis (Fort Rupert), en Colombie-Britannique, jusqu’à Gatineau, au Québec, a été une tâche colossale. La Marine canadienne, la Garde côtière, l’Armée canadienne et la GRC ont toutes fourni du temps, des efforts, des véhicules et du personnel. « Personnellement, je n’ai connaissance d’aucune initiative de la sorte qui ait reçu autant de soutien de la part de la GRC, de la Garde côtière et de la Marine canadienne. L’Armée canadienne a remorqué [le monument] de Vancouver à Regina à l’arrière d’un de ses camions », note Stanley C. Hunt.

Tout au long de son voyage, le monument a été découvert afin que les visages des enfants puissent voir. « Je crois que les totems ont tous leur propre esprit. Je veux qu’ils soient capables de voir tout au long de leur voyage », ajoute-t-il.

Hunt se remémore l’arrivée du totem au Musée : « Nous avons chanté son arrivée au quai de livraison, à l’arrière du Musée, au rythme des tambours, portant notre tenue cérémonielle. Nous avons aidé à le transporter à l’intérieur du Musée tout en continuant à chanter. »

Un camion de transport passe devant la façade du Musée, trainant le Monument allongé sur une longue remorque.

Le monument arrive au Musée canadien de l’histoire. Musée canadien de l’histoire, IMG2023-0309-0003-Dm

La conservatrice Kaitlin McCormick décrit l’effort collectif déployé pour accueillir le monument : « Stan a invité le personnel du Musée à aider à laver le Monument. Tout le monde s’est plongé les mains dans l’eau chaude pour nettoyer le totem resté découvert tout au long de la route. Je crois que toutes les personnes que j’ai vues ici, au Musée, participer à cet évènement extraordinaire se sont senties submergées par l’émotion ».

La réconciliation par la vérité

Quelques personnes se tiennent à côté d’une grande sculpture cylindrique placée à l’horizontale. Elles y appliquent de la peinture avec de petits pinceaux.

Le personnel du Musée s’est joint aux artistes pour nettoyer le monument et retoucher sa peinture après son long voyage à travers le Canada. Musée canadien de l’histoire, Kaitlin McCormick.

Les nombreux visages distincts et les images sculptées sur le monument en font à la fois une œuvre de mémoire et de compassion, mais aussi un rappel de l’impératif absolu des gouvernements et des églises responsables du système des pensionnats à rendre compte de leurs actes.

« Le fait même que le Musée envisage de présenter une pièce qui sera probablement assez controversée au cours de sa vie était déjà pour moi un immense honneur, raconte Stanley C. Hunt, parce que je n’ai connaissance d’aucun monument dans le monde qui affiche délibérément une croix représentée à l’envers. Je ne cherche pas par là à insulter qui que ce soit. C’est pour marquer une période très sombre de l’histoire où de très, très mauvaises décisions ont été prises. »

Une grande puissance se dégage de sa taille et sa présence. Kaitlin McCormick témoigne : « Avoir l’occasion de se tenir à côté de cette œuvre et d’en constater l’ampleur, c’est frappant en ce sens que ça permet de réaliser comment l’histoire doit être comprise et ressentie. Je pense que, ce qui est si spécial, c’est qu’il s’agit vraiment d’un objet tangible qui permettra à la population canadienne et au public du Musée de se connecter à l’histoire des pensionnats pour Autochtones. Je crois que cela nous offre un point de départ idéal pour discuter de cette histoire et mieux la comprendre. »

Les membres du public qui auront la chance de contempler le monument s’inscriront dans le processus de reconnaissance et de prise en compte des torts causés dans le passé. Le monument nous invite à devenir des témoins de la vérité, qui peuvent contribuer à un avenir de réconciliation. « Je pense à ce que j’ai vu jusqu’à présent, ajoute Hunt. Vous savez, de Port Hardy à Ottawa, je crois que ça aide les gens. »

Écoutez l’épisode d’Artéfactualité avec Stanley C. Hunt pour en savoir plus sur son histoire, son monument commémoratif et l’importance de la vérité sur les pensionnats pour Autochtones pour faire progresser la réconciliation au Canada. Téléchargez et abonnez-vous à Artéfactualité sur la plateforme de baladodiffusion de votre choix – Apple, ou Spotify – ou écoutez la série sur YouTube.


Steve McCullough

Steve McCullough

Steve McCullough, Ph. D., est le stratège de contenu numérique pour le Musée canadien de l’histoire et le Musée canadien de la guerre. Son travail dans le domaine de la création de récits numériques repose sur la compassion et des actions fondées sur des preuves pour parler de l’histoire, de la notion de sens et de l’identité dans un environnement en ligne fragmenté et polarisé, mais aussi dynamique et étroitement lié.