Louise Arbour

anciennement juge à la Cour suprême du Canada et Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a été la procureure en cheffe qui a inculpé l’ex-président serbe Slobodan Milosevic de crimes contre l’humanité.

« Le droit mène à tout pourvu qu’on en sorte » - Louise Arbour

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Louise Arbour parle de son parcours pour devenir avocate.

Louise Arbour: ...de juristes dans ma famille. Moi, je viens pas d'une famille de juges, d'avocats, rien de tout ça. Tu sais, quand tu finissais un cours classique dans ce temps-là, tu allais en médecine. Moi, c'était hors de question. J'étais pas du tout bonne, j'aimais pas du tout les sciences. En droit. Techniquement, peut-être en architecture ou en génie, mais les filles, ça faisait pas partie de l'environnement culturel. Personne pensait à ça. Alors le parcours le plus normal, il y en a qui allaient faire un cours, justement, d'école normale pour enseigner ou faire une maîtrise, comme en histoire. Alors je pense que dans ma classe, on est deux qui sont allées en droit, puis il y en a deux ou trois qui sont allées en médecine. Moi, je suis allée en droit. Je savais pas trop ce que c'était. Pour moi, c'était la continuité, comme d'une éducation générale. Je m'intéressais beaucoup au journalisme, aux affaires publiques. Je sais même pas s'il y avait des écoles de journalisme dans ce temps-là. Mais tu sais, on disait : "Le droit mène à tout, pourvu qu'on en sorte". Alors pour moi, c'était l'idée juste de continuer à étudier, surtout dans des questions d'intérêt public. Je m'intéressais pas du tout aux affaires, je me suis jamais non plus tellement intéressée à cet aspect-là du droit.

Un nationalisme généreux - Louise Arbour

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Louise Arbour parle de son expérience de travail en ex-Yougoslavie, où elle a été témoin de la patho...

Louise Arbour: La question du féminisme et des droits des femmes, pour moi, ça a été tellement une évidence dans ma vie que ça m'a pris du temps, je pense, à l'exprimer de façon un peu militante, parce que... Tu sais, je disais tantôt, j'ai été élevée dans un milieu... J'ai été élevée par des femmes, avec des femmes. C'était tellement la compétence des femmes, c'était tellement une évidence pour moi, que c'est un peu sur le tard que je suis devenue plus consciente du fait que c'était pas le cas pour tout le monde, puis c'était pas vu comme ça par tout le monde. Ça aussi, ça continue à me... à m'intéresser à m'impliquer, mais c'est ça... À cause, je suppose, de mon éducation, ça n'a pas été une... une évidence. Quand j'étais jeune aussi, parce que j'ai appris l'anglais assez tard. Et puis tu sais, j'ai mentionné tantôt mon passage du Québec, du Québec francophone, dans lequel j'étais très ancrée dans la littérature française, puis je parlais pas anglais, d'être passé dans des milieux professionnels en Ontario, où j'ai, c'est sûr, été très, très bien accueillie, mais... Le choc culturel, la profondeur du choc culturel, ça a été une très grande surprise pour moi. Et parce que, à l'époque en tout cas, toute ma vision du nationalisme c'était une vision, comme beaucoup de Québécois de ma génération, très romantique. On a vécu un nationalisme véhiculé par nos poètes, nos artistes, nos chansonniers. Un nationalisme à la Gilles Vigneault. Mon pays, c'est pour accueillir tout le monde. Un nationalisme généreux, ouvert. Puis là, je me suis retrouvée en Yougoslavie et j'ai vu la pathologie des nationalismes. Pour moi, ça a été des espèces de prises de conscience très, très, très profondes. Très profondes. Ça a comme... bouleversé des choses qui étaient bien ancrées. Tu sais, j'étais sûre que c'était correct. C'était ancré dans mon éducation, dans ma personnalité. Puis tout à coup, là... C'est pour ça que je pense que j'ai eu beaucoup de chance, parce que j'ai vu des choses très différentes. J'ai vu des mondes à l'envers très souvent. C'est pour ça que je suis pas particulièrement déconcertée par... l'ambiguïté dans laquelle on vit présentement. Je trouve qu'on vit dans un monde très en désordre. Il y a beaucoup de doctrines qui nous servent plus très bien, qui sont fatiguées. Je trouve qu'on a un leadership au niveau international franchement assez médiocre. Tu sais, des Nelson Mandela, si on en produit juste un par siècle, là, on ne va pas aller très loin, très vite. Alors, je trouve qu'on est dans une espèce de... de creux de la vague. Mais ça m'empêche pas de continuer d'être optimiste parce qu'il me semble que j'ai vu ça souvent, des prises de conscience, des revirements, qui nous permettent de voir les choses... différemment.

Enseignement à l’école de droit Osgoode Hall  . . .

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Louise Arbour parle de sa carrière en enseignement et des obstacles qui se sont présentés à elle à s...

Louise Arbour: Pendant que j'étais clerc à la Cour suprême du Canada, les doyens de certaines facultés de droit, entre autres de McGill et de Osgoode Hall, venaient à la Cour suprême pour essayer de recruter des clercs. Ceux qui étaient clercs à la Cour... Moi, j'ai eu de très bonnes notes quand j'étais en droit, bien meilleures que quand j'étais au collège. C’est évident que pour moi, le droit, c'était pour moi. Ça a été le "fit" absolument parfait. Alors, ils venaient voir les clercs de la Cour suprême, parce qu'ils savaient que c'était des gens qui avaient peut-être des intérêts académiques et tout ça. Et là, j'ai rencontré Harry Arthurs, qui était à ce moment-là le doyen à Osgoode Hall. Puis toutes sortes de circonstances qui ont fait que j'ai décidé de rester en Ontario. J'ai rencontré quelqu'un. Ça arrive souvent, qu'on ait des histoires qui nous font changer un peu nos projets. Et lui, il m'a offert, au début, juste de donner un cours à temps partiel à Osgoode. Alors je... J'ai beaucoup hésité parce que même là, je parlais pas anglais. À mon avis, je parlais pas anglais assez bien pour enseigner. Parce que c'est vraiment intéressant, ça. Quand je repense à ça, en rétrospective, moi, je me disais : "Si un anglophone "était arrivé à l'Université de Montréal pour donner un cours en français, "et qu'il parlait aussi mal français que moi je parle anglais dans le moment, "il aurait eu la vie très dure." En tout cas, j'ai pris mon courage à deux mains. J'ai dit oui, mais ça a été la réaction tout à fait inverse. J'ai été extrêmement bien accueillie par mes collègues, mais surtout par mes étudiants. D'abord, j'avais presque leur âge. J'avais... qu'est-ce que j'avais, 24 ans, peut-être 23, 24, 25 ans. Alors j'étais pas beaucoup plus vieille que mes étudiants, puis c'était quand même un peu exotique. Je pense que j'étais... Il y avait une autre femme qui a commencé à peu près en même temps que moi, Mary Jane Mossman, qui est toujours là, d'ailleurs, je pense. Il n'y avait pas de femmes. Et puis le seul autre francophone, c'était un Français, Jean-Gabriel Castel. Des gens qui parlaient comme moi, qui avaient l'air de moi, il y en avait pas beaucoup, il y en avait pas. Mais ça s'est super bien passé. Puis finalement, après, j'ai eu une charge d'enseignement à plein temps. Je suis restée là pendant douze ans.

Procureure en cheffe à La Haye - Louise . . .

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Louise Arbour parle de la suite inattendue d’évènements qui ont mené à sa nomination au poste de pro...

Louise Arbour: Mais en fait, c'est la même chose. Moi, l'histoire de ma vie, c'est le téléphone qui sonne. Je sais que ça se passe plus comme ça maintenant parce que bon, il y a des procédures pour toutes sortes de choses, mais... Pendant que j'étais juge, avant de faire ma commission d'enquête, pendant que j'étais à la Cour d'appel, il y a un de mes collègues qui m'a demandé de le remplacer pour aller à une conférence en Afrique du Sud. D'abord, j'étais jamais allé en Afrique, j'avais des jeunes enfants, et puis c'était pendant l'été, puis... Ça me tentait pas beaucoup d'y aller. Et c'était à l'époque où le Canada avait des sanctions parce qu'on était encore sous le régime de l'apartheid. C'était en... je dirais en 1989, quelque chose comme ça. Finalement, il m'a convaincu, il m'a dit : "Écoute, c'est une réunion d'avocats et de juges sud-africains "qui commencent à réfléchir sur : "qu'est-ce que devrait être la Constitution de l'Afrique du Sud "quand le régime d'apartheid va tomber ? "La nouvelle Afrique du Sud, de quoi ça devrait avoir l'air ?" Alors là... Bref, je suis allée et là, j'ai rencontré à cette conférence-là un juge, qui était juge à l'époque aussi, Richard Goldstone. Et un an ou deux plus tard, j'ai appris qu'il avait été nommé procureur pour les crimes de guerre pour l'ex-Yougoslavie. Moi, j'enseignais le droit pénal. L'idée qu'on allait commencer à faire du droit pénal international, c'était révolutionnaire. Et tout à coup, comme ça, il m'a téléphoné. Il m'a dit : "Écoute, je viens au Canada." J'ai dit : "Écoute, faut que tu me racontes ça. "Qu'est-ce que tu fais ? C'est comme les procès de Nuremberg ? "Qu'est-ce que... Il faut que tu me racontes ça. "C'est tellement intéressant." Alors il est venu au Canada avec sa femme, on a mangé ensemble, et là, pendant le souper, il m'a dit : "Écoute, "je peux pas continuer, moi. "Il faut que je retourne en Afrique du Sud." Parce que là, il faisait partie de la Cour constitutionnelle. Ça faisait juste à peu près un an et demi qu'il était à La Haye. Il m'a dit : "Il faut que je donne au Secrétaire général des Nations Unies "des noms "de personnes qui pourraient peut-être me remplacer." Et entre temps, il avait "hérité" du tribunal pour le Rwanda. Alors, ça avait commencé de l'ex-Yougoslavie, là, le Conseil de sécurité, et il m'a dit : "Le Rwanda, c'est très francophone. "Tu serais la personne rêvée "parce que t'es bilingue, puis tu connais le droit pénal." Mais j'ai dit : "Écoute, je connais pas ça, "le droit de la guerre, les conventions de Genève..." "Oh, oui, oui... Est-ce que je peux donner ton nom ?" Moi, j'étais convaincue que c'était impossible. Je connaissais personne au ministère des Affaires étrangères. Rien. "Oui, oui, tu peux donner mon nom." Et voilà. J'ai reçu un coup de téléphone du Secrétaire général des Nations Unies. Et... je suis allée.

Un exemple pour les générations futures - Louise . . .

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Louise Arbour parle de sa carrière et de la façon dont elle a tracé la voie pour les générations fut...

Louise Arbour: Je sais ce dont certains Canadiens et Canadiennes vont se rappeler, c'est les étudiants en droit. J'ai été à la Cour suprême seulement cinq ans, mais je les vois, je les rencontre, puis à mon bureau, j'en vois. Puis je les vois, ils étudient des choses que j'ai écrites. C'est quand même assez surprenant parce que c'est pas la partie de ma carrière qui est la plus... justement, médiatisée dans le grand public, mais... Mais ça, c'est le cas pour tous les juges. Mais ça me surprend chaque fois. On dirait que j'ai comme oublié. C'est comme si j'avais oublié, c'est... Pas cette partie-là, mais... Que ça, ça existe dans... mais ça va pas durer à perpétuité. Tu sais, après 20 ans de décisions, on passe à autre chose. Je sais pas. Je... Je pense, en fait, parce que je l'entends souvent, que j'ai eu une carrière professionnelle qui a eu une certaine visibilité à une époque de transition pour les femmes. Et souvent, j'entends des jeunes femmes qui me disent : "J'aimerais ça, avoir une carrière comme la vôtre." Je suis très consciente que les femmes de mon époque, on pouvait pas dire ça à une autre femme. On pouvait dire ça à un homme, mais c'était pas évident non plus. On avait pas, justement, des modèles. Moi, je pense que, puis j'espère, que cet impact-là... J'aurai pas un impact historique, à perpétuité, mais... que j'aurai eu un impact, que les femmes de ma génération, qui ont fait un travail dans des domaines publics ou semi-publics ou professionnels, l'impact qu'on aura eu sur ces plus jeunes femmes-là, qui sont dix ans derrière, 20 ans derrière, 30 ans derrière, puis même, je pense à ma petite-fille, mais surtout, je vois les jeunes professionnels, en droit en particulier, mais dans d'autres disciplines aussi. Ça, ça me fait vraiment plaisir et je pense que c'est d'avoir été à une époque de transition, où le monde s'est ouvert pour les femmes... Pas tellement le monde qui s'est ouvert. On a joué du coude, un petit peu. On n'a pas fini non plus. Oui, je pense que ça, c'est important pour moi.