Perdita Felicien

première athlète féminine canadienne à avoir remporté une médaille d’or aux Championnats du monde d’athlétisme de l’AIFA, a participé deux fois aux Jeux olympiques et a été 10 fois championne nationale.

Définition du succès

3:05

Perdita Felicien définit le succès comme un processus constant qui apporte bonheur et satisfaction, plutôt que comme une compétition à gagner.

Perdita Felicien: Je pense que pour moi, la réussite, c'est de se lancer dans quelque chose et de faire de son mieux. C'est tout. Mais il faut reconnaître que, pour chaque personne, le meilleur d'elle-même sera différent d'un jour à l'autre. Aujourd'hui, le meilleur de nous-mêmes, collectivement, c'est une chose. Mais demain, cela pourrait changer. Il faut se donner la permission de se dire : "peut-être pas ma journée, mais c'est suffisant." Surtout en tant que femme dans un monde où on nous dit que nous ne sommes pas bonnes, pas capables, que les hommes le font mieux, nous n'avons pas un salaire égal. Il faut vraiment être bien dans sa peau, bien où on est, et savoir que sa façon de faire, c'est personnel et d'aimer sa façon de faire, même si cela ne ressemble pas à la façon dont une autre femme le fait ou l'a fait. Vous voyez? Surtout dans le monde de l'athlétisme, où chaque compétition est une comparaison. Qui est plus rapide dans quel couloir? Qui a le meilleur chrono? Qui a la médaille d'or, le bronze, qui s'est classée neuvième? C'est une comparaison constante et on veut ce que les autres ont. "Tu as remporté l'or la dernière fois? Je vais te l'arracher. Je veux ça. Je veux ce que tu avais. Je vais te battre." Dans cette nouvelle vie, j'ai vraiment appris que ce que j'ai, c'est suffisant. Ce que j'apporte à l'émission "All-Round Champion"<i>, </i>c'est suffisant. Ce que j'apporte en tant qu'animatrice des Jeux olympiques à CBC est suffisant. Est-ce que ça ressemble à ce qui a été fait aux derniers Jeux, à ce qu'on fait sur une autre chaîne? Ce n'est pas mon problème, mais voilà ce que j'ai. Je suis fière de ce que j'ai et c'est ce que je vous donne. Et c'est à prendre ou à laisser. Pour moi, c'est ce qui définit la réussite. Ce n'est pas une chose, ni de l'argent, ni un titre, ni ce que les autres disent de moi. C'est ce que je dis de moi-même.

La pression pour atteindre l’excellence

2 min 43 s

Perdita Felicien parle des pressions sociétales et culturelles qui la poussent et qui poussent d’aut...

Perdita Felicien: Donc, il faut… Même avec ma fille, Nova, qui a 3 ans, et c'est une révélation pour moi, avant, je voulais de l'excellence suprême pour elle. Il y a un thème qui revient souvent autour de moi en tant que Canadienne de première génération, cette idée d'excellence noire, de construire et d'acquérir des choses. C'est votre valeur en tant qu'humain. J'ai toujours voulu, même avant d'avoir Nova, je voulais qu'elle soit géniale, excellente. Je réfléchissais à l'école où je l'inscrirais, à ce qu'elle pourrait devenir et tout ça. Dans les deux années depuis la pandémie, et depuis sa naissance, j'ai complètement éliminé cette manière de penser et je l'ai déconstruite. Pourquoi a-t-elle besoin de ça? Pour moi, pendant longtemps, et c'est mon propre bagage en tant que personne de couleur, pour montrer sa valeur, on a besoin de quelque chose pour le prouver. Je suis bonne dans tel ou tel domaine. Je suis une bonne avocate. Je suis une bonne athlète. Appréciez-moi. Voici ma contribution à la société. Et maintenant, j'estime que non. Non. On ne sera pas en sécurité ou protégée, appréciée ou respectée parce qu'on a réalisé ces choses en tant que personne de couleur. On peut avoir tout cela simplement en existant. Et c'est suffisant. Donc, je me disais : "Est-ce que je veux que ma fille fasse des choses incroyables?" Oui. Mais est-ce que ces choses doivent être publiques ou rapporter beaucoup d'argent? Je sais que ça va paraître cliché, mais voilà ou j'en suis en tant que femme et parent. Je désapprends des choses que j'ai apprises et qu'on m'a enseignées, même inconsciemment. C'est correct si elle voit simplement le soleil se lever et si elle voit les gens tels qu'ils sont et si c'est ça sa journée. C'est ce que j'accomplis aujourd'hui. C'est la splendeur de la journée. Je pense que je me sentais un peu épuisée pendant la pandémie et je ne voulais pas transmettre ça à ma fille. Cette hyperproductivité, ce devoir de performance, d'excellence. En toute honnêteté, cela vient en partie... pas de la façon dont j'ai été élevée, mais de mon enfance. Il fallait que je fasse… Je voyais l'existence de ma mère, comment elle se démenait. Je dois réussir, je dois être extraordinaire. Il faut que je fasse des choses, je veux qu'elle sache que ce n'est pas en vain. Je veux que le monde m'estime car cela n'a pas toujours été le cas pour ma mère. Je me rends compte que ça peut s'arrêter là. Je peux toujours transmettre ces qualités à Nova, de vouloir réussir, sans que cela lui coûte trop cher.

Attention non sollicitée portée sur le corps des . . .

1 min 38 s

Perdita Felicien parle de l’attention non sollicitée et importune, ainsi que des questions sexistes ...

Perdita Felicien: Être gênée par son corps, je crois que toute femme a des problèmes avec son corps. Nous essayons toujours d'être gentilles avec nous-mêmes et positives envers notre corps, mais ce n'est pas toujours facile. lorsque quand on vit dans notre esprit et dans notre corps. En dehors de la piste, les gens touchaient mes biceps et disaient : "Oh!" Des gars voulaient faire la course ou se battre. "Mon gars, je vais t'écraser. N'essaie même pas." Mais en dehors de ce système, surtout chez les femmes musclées avec des courbes, ou qui me ressemblent, nous voyons souvent ce problème. Et je ne portais jamais de camisole sans manches, jamais de ma vie, parce que ça aurait attiré l'attention sur mon corps et je ne voulais pas ce genre d'attention. Maintenant, oui. Je me dis : "C'est mon corps, il est comme ça. Je suis fière de la façon dont il bouge. Toute femme devrait l'être." Mais je pense que les femmes dans le sport en particulier se demandent toujours si elles sont assez féminines. Est-ce qu'on les trouve masculine? Que disent les gens? Que font-ils? C'est peut-être pourquoi même les femmes en athlétisme, surtout les sprinteuses, il y a quelque chose de très positif et de très beau sur la ligne de départ, surtout avec la dernière génération. Elles ont une manière d'arriver sur la ligne et de se présenter. C'est peut-être leurs ongles ou leurs cheveux, leur rouge à lèvres, leurs boucles d'oreilles. Elles sont tellement confiantes et assurées dans leur identité quand elles sont aux blocs de départ. Je me dis : "Oui, je comprends." Elles disent : "Voyez-moi dans mon intégralité et pas juste l'athlète."

L’histoire de la « fille qui est tombée et qui . . .

3 min 36 s

Perdita Felicien parle du moment où elle a perdu la chance de gagner une médaille olympique aux Jeux...

Perdita Felicien: C'est une réalité de mon histoire. Je vous ai donné quelques éléments qui représentent des moments joyeux et triomphants de ma vie, mais celui-là représente la souffrance et la perte, et un moment très difficile. Je ne pense pas que l'histoire, du moins la mienne, serait vraiment authentique si rien sur Athène ou... sur les aspects négatifs de la vie d'athlète ne faisait partie de cette collection. Il fallait qu'il y ait quelque chose. C'est intéressant, quand j'ai vu le dossard, mon entraîneur l'a vu, mon entraîneur à l'université, Gary Winckler, et on n'a rien à dire sur le numéro qu'on aura aux Jeux olympiques. Les gens pensent peut-être qu'on le choisit. Qui choisirait un numéro avec le chiffre 13? Pas la plupart des gens, surtout s'ils sont superstitieux. Ça dépend souvent du pays, le nom de famille, et c'est une séquence aléatoire. C'est ce que j'ai eu. Je me souviens qu'il m'a montré mon numéro aux Jeux d'Athènes. On reçoit tout avant de commencer la course. Puis il est entré comme ça… Il l'a mis derrière son dos et me l'a montré pour me faire peur. On se moquait de ça un peu. J'ai un peu joué le jeu sur le coup. "C’est juste un numéro. Le numéro n'a aucun contrôle sur moi, aucun effet, rien, n'est-ce pas?" Peu importe, je n'avais pas peur de ça. Je n'en ai toujours pas peur. Mais je comprends, avec le recul, ce qui m'est arrivé. Si on est un théoricien du complot, si on aime donner un sens aux choses, on a l'impression que le numéro nous a nui, qu'on est tombée à cause de lui. Qui le saura? On ne le saura jamais. Je demanderai peut-être à Dieu quand je le verrai s'il le sait. Mais je pense que, dans mon histoire, c'est un élément très pertinent. C'est une partie de mon histoire qui m'a fait réaliser que… les choses sont vraiment fragiles dans la vie, très, très fragiles. La chose qu'on pense mériter, pour laquelle on a travaillé si fort. n'est pas forcément celle qu'on obtient, et on a ce qu'on a. Mais que fait-on avec ce qu'on obtient? J'ai toujours décidé que ce n'est pas ça. Ce n'est pas ça ma part, ce n'est pas la seule chose que je ferai. C'était aussi le début de ma carrière professionnelle. J'avais signé avec Nike seulement... Athènes, c'était en août 2004. J'étais devenue professionnelle ce printemps-là. J'étais donc professionnelle depuis quelques mois seulement. J'avais quitté l'Illinois en avance, donc il me restait une session et une année d'études, une session de course et une année d'école. Donc je suis partie tôt pour passer au niveau professionnel. En athlétisme, on ne fait pas vraiment ça. Mais je ne voulais pas que mon histoire s'arrête là, la fille qui est tombée. Je dis bien "celle qui est tombée". Je suis aussi la fille qui s'est relevée, n'est-ce pas? Et qui a créé davantage à partir de ses expériences. Mais je suis la fille qui est tombée, parce que pour plein de gens, même à ce jour, Je ne suis pas seulement la fille qui est tombée, mais je suis celle qui est tombée. Ils se rappellent de moi, pas toujours pour les choses dont nous avons parlé et que nous célébrons dans cette conversation. Mais ce moment-là à Athènes, ils savent où ils étaient. Ils ont arrêté le travail, arrêté ce qu'ils faisaient, Ils ont pleuré pour moi. Tout le monde était au Nathan Phillips Square pendant un moment, à regarder le Jumbotron. Puis ce moment est arrivé, le plus choquant que vous puissiez imaginer, parce que l'histoire était si bien écrite. Elle était si poétique. Puis ce cauchemar arrive pendant que le monde entier regarde. Je pense que c'est ça qui l'a rendu si important, mais c'est une partie très valable de mon histoire que je ne cacherai jamais.

La vie après la fin d’une carrière . . .

3 min 14 s

Perdita Felicien parle des pressions sociétales et culturelles qui la poussent et qui poussent d’aut...

Perdita Felicien: Donc, en fait, j'ai été une athlète la majeure partie de ma vie. Ou la plupart. J'ai commencé à courir à l'âge de 8 ou 9 ans, et j'ai cessé dans la trentaine. Une bonne partie de mon identité était là. J'ai toujours eu une ligne d'arrivée ou un but, quelque chose à poursuivre, sur laquelle me concentrer. Quand on arrête de faire quelque chose où on était très bonne pour laquelle les gens te reconnaissent, et on s'arrête soudainement, il y a un silence qui s'installe. Personne ne me demande d'autographe? "Personne ne se soucie que je sois importante que je puisse sauter cette chose très haute plus vite que n'importe qui?" Tout à coup, on doit réfléchir et faire face à qui on est. On ne sait pas ce qui nous attend. Heureusement pour moi, depuis les Jeux olympiques de Beijing en 2008, j'ai eu la chance de savoir ce que je voulais faire après parce que j'étais présentatrice à la CBC. J'étais blessée. Entre 2008 et 2013, je savais que je voulais être présentatrice et raconter des histoires. Je travaillais toujours pour ça d'une certaine façon. Donc une fois à la retraite, j'avais un plan et j'y avais déjà goûté, d'une certaine façon... J'aime être devant la caméra. Comme vous pouvez le voir, j'aime parler. J'aime parler et faire tout ça. Alors, une fois que j'ai arrêté de faire ça, je savais quelle était ma prochaine étape. Ce qui est difficile pour les athlètes d'élite, c'est qu'on n'est jamais aussi bon, très rarement en tout cas, pour la prochaine chose, qu'on l'était pour ce qui nous a rendu célèbre, important ou spécial ou unique dans le sport. Pas aussi bon. On peut devenir acteur, tous ceux qui se lancent dans la comédie ne sont jamais bons Peut-être qu'on n'est pas tellement bon, et je plaisante un peu, mais on ne se sent jamais pareil. L'adrénaline, l'euphorie, l'attention, les louanges, le bruit, le succès. Le… L'intensité. Rien n'est comparable, n'est-ce pas? Même celles d'entre nous qui ont accouché, se sont mariées et tout ça, c'est tellement bien, c'est magnifique, mais… Être au sommet de la pyramide, 80 000 personnes dans un stade, qui te regardent, qui connaissent ton nom, qui t'encouragent et puis tu gagnes. Voyons. Même en tombant autant que moi... on ne veut jamais que ça arrive. Je tombais incroyablement que cela pourrait arriver d'une manière aussi dramatique et bruyante Vous voyez? Alors, les émotions extrêmes, les hauts et les bas, très peu de choses dans la vie après ça sont comparables à cette échelle, cette profondeur, cette ampleur et cette intensité. Je pense que c'est ça qui nous manque. C'est une drogue en quelque sorte, non? C'est de l'adrénaline. On n'a jamais cette même injection. Ça ne veut pas dire que la vie n'a plus de sens ou n'est plus géniale. Ces moments de calme sont importants. Mais c'est ce qui nous manque après, surtout si on n'a pas fait la paix avec ce parcours. On était blessé, on a été obligé de quitter, peu importe. C'est plus difficile, parce qu'on ne récupère jamais ce temps. Est-ce que je peux atteindre un chrono de 12 secondes dans une course de haies aujourd'hui? Je peux peut-être faire 10 000 secondes, mais plus jamais 12. On ne peut pas revenir en arrière.

Perdita Felicien dans l’histoire canadienne du . . .

2 min 26 s

Perdita Felicien parle de l’attention non sollicitée et importune, ainsi que des questions sexistes ...

Perdita Felicien: Je ne me suis jamais demandé où je me situais dans le paysage sportif. Mais ce que je sais, c'est que lorsqu'on pense à... Ça fait bizarre de me considérer parfois comme un nom familier. Je me rappelle que mon entraîneur, Gary Winckler de l'Illinois, par hasard, était au Canada avec sa femme. C'était à Vancouver. Je faisais encore des courses. Puis ils savent qui je suis en Illinois, dans cet univers. Il est arrivé et m'a raconté comment sa femme était à Vancouver ou en Colombie-Britannique. Elle était dans un taxi et a demandé au chauffeur "Avez-vous entendu parler de Perdita Felicien?" juste comme ça. Il dit : "Oui, c'est la coureuse de haies, la sprinteuse, non?" Le fait qu'il soit revenu puis sa femme qui disait "Oh mon Dieue!" Tu sais? Cette histoire m'a toujours marquée ou les gens qui me disaient avoir vu mon livre dans le train de banlieue, que quelqu'un lisait mon livre ou peu importe. C'est difficile pour moi d'accepter ça ou... ça veut dire quoi, être un nom familier? Mais en vieillissant, je réalise qu'il n'y a pas beaucoup de... femmes dans le sport, surtout des femmes noires, qui ont la plateforme que j'ai, pas nécessairement la reconnaissance du visage, mais au moins du nom, comme je l'ai. On ne sait peut-être pas comment le dire, mais on reconnaît mon nom quand il est écrit. Peut-être aussi la reconnaissance du visage. Mais quand j'ai accepté que j'étais... Oui, je suis la première femme canadienne, toutes races confondues, à gagner une médaille d'or aux Championnats du monde d'athlétisme, à ce jour, au moment de cette entrevue, la seule. J'en suis vraiment fière. J'espère juste que, peu importe où je me situe dans la culture, dans cette longue et belle histoire des Canadiens dans le sport, des femmes dans le sport au Canada, je suis très fière de ce que j'ai fait. J'en suis extrêmement fière. J'ai travaillé très fort pour m'assurer que je ne me voie pas seulement à travers la lentille d'Athènes. Cela a demandé beaucoup de travail, de ne pas être juste la fille qui est tombée, et de réparer ça psychologiquement. Ce n'est pas ça, mon héritage. Ce n'est pas pour ça que je cours. Ce n'est pas moi. Peu importe comment les gens veulent me définir, ça me va. Je pense que ce sera plutôt bien.

Les crampons bourdon

4 min 11 s

Perdita Felicien parle de ses crampons ainsi que de leur signification et importance personnelles po...

Perdita Felicien: Il faut comprendre — le Musée a une paire — qu'elles sont sacrées pour une sprinteuse. Nos crampons… On ne porte pas beaucoup de protection. On n'est pas comme… Les joueurs de hockey ont leur casque, leur équipement et leurs patins. C'est tout ce qu'on a. Oui, on a notre tenue et notre numéro de dossard, mais on a un lien avec nos crampons. On ne change pas ses crampons n'importe comment, comme on le ferait avec un t-shirt. On change de dossard à chaque compétition. Donc c'est vraiment quelque chose de sacré. Chaque athlète, ou plutôt chaque sprinteur, a un lien particulier ou quelque chose qu'il fait avec ses crampons. J'avais gagné beaucoup de courses avec ces crampons. J'avais gagné plusieurs fois la NCAA avec ces crampons, plusieurs titres de conférence et battu des records, avec ces crampons-là. Ce qui est arrivé, c'est que Nike a arrêté de développer ce crampon avant les Championnats du monde à Paris et voulait qu'on porte la nouvelle version. Mais voici Perdita Felicien, son athlète universitaire vedette. L'Université de l'Illinois était commanditée par Nike. Alors la compagnie voulait que toute ses vedettes portent la nouvelle version. C'est devenu un peu politique. Pas dans un sens négatif, mais ils ont dit : "Oh, Perdita Felicien adore ces crampons. C'est une star de la piste. Mais nous avons de nouveaux crampons qu'on veut montrer aux autres écoles et athlètes pour qu'ils les achètent. Les parents iront les acheter." J'adore...On les appelait familierement, les crampons bourdon. Grâce à moi, ils étaient connus avec affection les crampons bourdon dans mon école. Mon entraîneur les appelait comme ça, car ils étaient noirs et jaunes. Je me souviens qu'ils ont essayé de m'amener d'autres crampons durant cette transition. On s'adapte à nos crampons au fur et à mesure, peut-être lors d'une petite course, qu'on les adopte. Si on ne les aime pas, on choisit un autre modèle ou une autre couleur. Mais j'avais utilisé ceux-là depuis le début de ma carrière. Donc à partir de 2001, ou 2000, jusqu'à 2003, ce qui est long pour un type de crampon. Je me souviens qu'il n'en restait plus. Ils n'allaient plus nous en donner. Donc à mon université, les responsables de l'équipement essayaient de me procurer des paires supplémentaires de ces crampons bourdon, où ils le pouvaient à travers le pays, tellement je les aimais. À la fin, il n'en restait plus. On ne pouvait plus s'en procurer. Ils étaient abîmés, et il fallait trouver une autre paire. C'est arrivé après Paris. Je tenais ces crampons comme un bébé. Il y a des aiguilles pointues, on les enlève et c'est presque comme si on tenait un bébé. C'est horrible, mais c'est comme ça, et on manipule nos crampons délicatement, la façon dont on les plie et les lacets qu'on met... C'est un moment, un rituel, quand on change nos crampons, on met les lacets, et le modèle peut être le même, mais celui qu'on porte à l'entraînement est différent de celui qu'on porte dans la salle d'échauffement. Et celui qu'on a porté dans la salle d'échauffement est celui qu'on porte le jour de la vraie course. Donc on a plusieurs versions de ce même crampon. Si ton crampon a disparu… on veut être sûr de l'avoir. On a toujours ça parce que… Peut-on courir tout nu? On n'en a probablement pas envie, mais on le pourrait le faire. Mais peut-on courir et gagner sans crampons? Non. Donc on s'assure de les garder tout près. C'est intéressant, mon coach s'en rappelle probablement, il m'a demandé, après la course à Paris, Il voulait… J'aurais aimé m'en rappeler. Il voulait les crampons de Paris, ceux qui ont franchi la ligne pour gagner l'or. Il m'a envoyé un courriel. Sa demande était légitime, et je le regrette, mais j'ai dit non. J'aurais dû les lui donner, ou au moins un crampon chaque, ou lui dire que c'était ça alors que ce ne l'était pas. Mais il voulait ces crampons, et il les méritait. J'avais 22 ans. Je voulais tout garder, donc ils étaient sacrés pour moi aussi. J'ai dit : "Non, je veux les garder." J'ai dit non. Je me répète. Je regrette d'avoir dit non. Ça aurait été la chose à faire, parce que là, je ne sais plus lesquels c'est. Je les ai tous. Je ne l'ai pas fait parce qu'ils signifiaient tellement pour moi, parce que je gardais tout en me disant que je voulais ceux-là en particulier. Ça fait des dizaines d'années et je ne me rappelle plus lesquels c'est.