Sharon Anne Firth

membre de la Première Nation Gwich’in, a participé quatre fois à des épreuves olympiques de ski de fond. Elle et sa sœur jumelle Shirley ont été les premières athlètes autochtones féminines à représenter le Canada aux Jeux olympiques d’hiver.

Séparation

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Sharon Anne Firth parle de son expérience du pensionnat, notamment des mauvais traitements qu’elle a subis et des répercussions affectives de la séparation d’avec ses frères et sœurs.

Sharon Anne Firth: D’une certaine façon, nous étions riches et pauvres à la fois. Ce n’est pas l’argent lui-même qui définissait notre richesse, nous nous tournions plutôt vers la figure paternelle; vers les pères de toutes ces familles, en considérant leurs compétences en chasse et en trappage. C’est ce qui déterminait si nous étions riches et confortables. Car, comme je l’ai dit, nous n’avions pas d’argent à cette époque. Mais nous pouvions compter sur trois bons repas par jour. Nous n’avions peut-être pas de fraises et autres fruits de ce type, mais nous avions des canneberges, des baies jaunes et des myrtilles, ce qui représentait une source riche en vitamine C nous permettant de traverser l’hiver. Dans notre culture, à l’automne, toutes les familles se réunissaient pour cueillir des baies comme s’il n’y avait pas de lendemain. C’était notre source de fruits pour l’hiver. Et, bien sûr, nous avions aussi beaucoup de poisson et de viande, de caribou, d’orignal et de lapin. Quand on est entrées au pensionnat, ils nous ont enlevé tous nos vêtements traditionnels et nous ont fait mettre des uniformes. C'est comme si... on était tous pareils. Ce n'était pas... Je ne me sentais pas bien là-dedans. Chaque fois que je m'habillais, je pleurais parce que ça ne me ressemblait pas, et je ne me sentais pas à l'aise avec tout ça, surtout avec les parkas. Parce que ma mère nous avait fait de beaux parkas chics pour l'hiver. Et quand ils nous ont fait mettre ces affreux manteaux d'hiver, je me souviens que je pleurais parce que ça ne me ressemblait pas. C'était comme si on m'avait enlevé mon identité. Même si ma sœur jumelle était avec moi. parce qu'on avait l'habitude, surtout la nuit, on avait l'habitude de dormir ensemble. C'était notre réconfort, et c'était ce qui nous gardait ensemble. Quand le surveillant venait et nous voyait ensemble dans le lit, il nous battait et nous mettait dans des chambres différentes. Mais aussi... les gens de différentes communautés que nous avons rencontrés, c'était notre famille. Parce que, dans le fond, on était tous dans le même bateau. Certains étaient très bien traités, et d'autres n'étaient pas bien traités du tout. Stringer Hall était pour les protestants, et Grollier Hall pour les catholiques. Et il y avait un utilidor qui nous séparait. Et on ne pouvait pas jouer ensemble, même si on avait des proches à Grollier Hall. On ne pouvait pas aller les voir, et ils ne pouvaient pas nous visiter. Aussi, à Stringer Hall, on avait le dortoir junior et le dortoir senior des filles et des garçons. Et puis... Quand mes frères étaient de l'autre côté du pensionnat, on ne pouvait pas aller les voir. Donc le seul moment où on pouvait vraiment se voir, c'était aux repas. Alors, Shirley et moi, et mes autres frères et sœurs, on se portait volontaires pour ramasser les assiettes et nettoyer. Puis, quand on passait devant nos frères on pouvait les saluer ou leur dire un mot. Mais cette séparation nous a vraiment fait perdre contact avec la famille. C'étaient des jours vraiment tristes parce que... vous savez, j'avais des frères plus vieux. J'aimais mes frères. Et on ne pouvait pas leur parler. C'était une vraie séparation et une vraie... Je dirais que ça a vraiment détruit ma famille.

« Il ne s’agissait plus de moi »

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Sharon Anne Firth parle de la tâche difficile de représenter les Autochtones sur la scène mondiale p...

Sharon Anne Firth: Parce que le sport, c'est une façon de se prouver comme athlète, et de... vivre cette belle vie, d'aller dans tous ces endroits excitants du monde, d'être sur la scène mondiale, et d'y représenter son peuple. Parce que j'ai senti qu'après mes tout premiers Jeux olympiques, il ne s'agissait plus de moi, mais plutôt de la façon dont on représentait les Autochtones de tout le pays, et surtout les femmes. Ce n'est pas aussi rose ni aussi beau qu'on le pense, parce qu'on a dû affronter tellement de choses horribles qui auraient pu nous arriver. Mais comme je l'ai déjà dit, j'avais un bagage solide. Shirley avait aussi ce bagage. C'est ce qui nous a formées et aidées à devenir ce que nous sommes aujourd'hui.

Fière athlète olympique

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Sharon Anne Firth parle de la fierté et de l’excitation qu’elle a éprouvées lorsqu’elle a participé ...

Sharon Anne Firth: On a fait quelque chose d'inédit en tant que jeunes Autochtones et en allant... Le monde entier allait nous voir. Et ce n'est pas tout, on voulait que nos parents et que nos cousins et nos... nos... nos camarades d'école, nos communautés, nous voient les représenter. Donc, c'était très, très excitant pour nous. En plus, avec l'équipe là-bas, la plupart des équipes olympiques sont financées. Nous, nous n'avions aucun soutien. Nous étions seules. Donc, par exemple, quand les gars partaient skier ou qu'ils se préparaient pour une course, nous, les filles, on les chronométrait et on leur donnait à boire. Et ensuite, quand on skiait, ils faisaient pareil pour nous. Donc, on formait une équipe unie, c'est là qu'on a appris ce qu'est l'esprit d'équipe parce qu'on travaillait ensemble comme groupe.

Traitées comme des reines à l’étranger

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Sharon Anne Firth décrit l’accueil chaleureux qu’elle et sa sœur ont reçu durant leurs voyages en Eu...

Sharon Anne Firth: Premièrement, le ski de fond ne faisait pas partie de notre culture. On avait de l'endurance, c'est dans notre culture. Marcher sur de longues distances et être dehors. Donc, quand on est allées en Europe, tout à coup il y avait ces enfants autochtones, et les gens étaient tellement fascinés par les Autochtones. Ils nous comparaient aux cowboys, et aux Autochtones au visage peint. Ce n'était pas dans notre culture. C'était plus au sud. Mais chaque fois... Comme quand on est allées à notre tout premier championnat du monde junior en Autriche, on avait seulement 16 ans. Et... Les gens nous ont accueillies, et ils voulaient nous toucher pour s'assurer qu'on était réelles. Puis, quand on est allées en Tchécoslovaquie, l'année où le pays a été envahi par les Russes, encore là... les Tchèques étaient si honorés de nous avoir qu'ils nous ont traitées comme des reines, et on avait du sang autochtone qui coulait dans nos veines. J'ai trouvé ça très touchant. Ils ont été très accueillants avec nous, très chaleureux. Ils nous ont vraiment traitées comme des reines. En parlant de royauté, quand on est allées en Norvège et en Suède, les rois de ces pays étaient très... très... ils appuyaient leur équipe de ski de fond. Donc, ils étaient là aux courses. En fait, le roi de Norvège nous a invitées, Shirley et moi, à aller le voir. C'était un honneur, on ne pouvait pas y croire, Nous, des filles autochtones, allions rencontrer la royauté! Et comment se tenir droite, en sachant d'où on vient, et qu'on représente son peuple devant la royauté? Nous devions être sous notre meilleur jour parce qu'ils nous aimaient, et qu'ils étaient si honorés qu'on soit dans leur pays.

Deux poids, deux mesures

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Sharon Anne Firth parle du double langage et des préjugés qu’elle a connus à titre d’Autochtone, ain...

Sharon Anne Firth: Même en Europe, quand on allait aux courses de la Coupe du Monde, après chaque course, on devait assister à une cérémonie pour rendre hommage à nos commanditaires. Et les gens faisaient la fête. Je pleurais et je pensais : "Quelle est la différence entre des Blancs saouls "et des Autochtones saouls? Pourquoi nous rabaissait-on autant?" Et même si on ne buvait pas, on nous mettait quand même dans cette catégorie. Et je ne comprenais pas pourquoi on était de si mauvaises personnes. C'est ce qu'ils nous faisaient sentir, qu'on était des mauvaises personnes. Il y avait des ivrognes dans les rues et ils étaient Autochtones, donc c'étaient des mauvaises personnes. D'un autre côté, il y avait des Blancs qui buvaient aussi, et qui étaient saouls. Ils nous touchaient et ils voulaient danser avec nous. Ça m’enrageait. Je m'accrochais à Shirley et je lui disais, "S'il te plaît, ne me lâche pas. "Si tu vas danser avec quelqu'un, je serai là avec toi", parce qu'on avait besoin de se protéger l'une l'autre. Aussi, à l'époque où on voyageait et qu'on voyait des Autochtones saouls dans les rues, les membres de notre équipe disaient "Oh, ces Indiens. Ce sont juste des ivrognes." Et je ne comprenais pas pourquoi. Mais une fois que j'ai pris conscience de ce que les pensionnats nous avaient fait, alors j'ai compris que ces personnes avaient été si malmenées qu'elles buvaient pour masquer leur souffrance. Et c'est pareil aujourd'hui. Il y a tant de gens dans la rue qui souffrent tellement. On nous dit de nous en remettre, mais on ne peut pas s'en remettre, vous savez. Alors je porte cette douleur avec eux, parce que je sais que j'ai fait des choses dont je suis très fière dans ma vie, et que si ce n'était pas pour ces gens, je ne pense pas que que j'aurais pu gérer ça moi-même.

La vie après le ski

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Sharon Anne Firth parle des défis et des incertitudes qu’elle a dû affronter après avoir quitté le s...

Sharon Anne Firth: Quand on a commencé à skier, on est parties de rien. On n'avait pas d'argent. On voyageait sans argent. Comment on faisait? Je ne sais pas. Mais… on a représenté le pays pendant 20 ans, avec très peu de... soutien financier. Je veux dire, nos voyages étaient payés, nos repas étaient payés. On était commanditées pour nos vêtements et notre équipement de ski. Donc, pour ça on était couvertes. Mais quand j'ai fini de skier, je n'avais pas d'argent, vous savez, et je n'avais pas d'instruction, parce qu'on avait dû choisir. Soit on faisait des études, soit on skiait. Notre entraîneur américain de l'époque avait été très clair là-dessus. Donc, quand j'ai pris ma retraite en 1985, au printemps de 1985, Je me suis dit : "Bon, je fais quoi maintenant? Où est-ce que je vais aller? Qu'est-ce qui va arriver à Sharon Anne Firth?" Vous savez, et... j'ai pensé "si je restais dans le sud du Canada..." Il y a tellement de préjugés en Alberta. Je me suis dit : "Je ne peux pas vivre ici. Je vais rentrer chez moi." Et je ne savais pas à quoi ça ressemblerait chez moi, à cause de tout ce que j'avais fait dans ma vie. Comment mon peuple allait m'accueillir? Donc, je suis allée là-bas comme étudiante d'été, et je n'étais pas étudiante. Le gouvernement m'a embauchée pour un travail d'été avec des jeunes. Et... Quand je suis allée là-bas, Ça m'a vraiment ouvert les yeux sur la façon dont mon peuple vivait, comment ils survivaient de la terre, parce que nous vivions encore... de la terre là-bas. Et... Les gens ont commencé à m'interroger sur ma vie, sur ce que j'avais fait avant, et j'en avais tellement à dire! Alors, j'ai pensé : "Ma place est ici." Et... C'était très angoissant pour moi, de me retourner dans ma ville natale d'Inuvik parce que, comme on dit, nul n'est prophète en son pays. Donc, j'ai vraiment dû créer des liens. Et j'ai vraiment dû gagner la confiance de mon peuple. "Je suis toujours la même Sharon Anne Firth née le 31 décembre 1953, 10 minutes avant minuit." La seule différence entre ce moment-là et maintenant c’est que j'ai appris à travailler avec les gens, et à connaître mes forces et mes faiblesses, et à les utiliser dans ma vie quotidienne. Et parfois avec... avec... être sous les projecteurs, ce n'est pas toujours la meilleure chose. Mais c'est comme ça que j'ai pu faire connaître notre peuple, notre culture, et les beaux esprits qu’on y trouve. Il y a tellement de personnes brillantes dans le Nord, et tellement de talent dans le Nord, chez nos jeunes athlètes autochtones qui ne sont pas pris en charge. J'ai eu beaucoup de chance d'avoir profité de ma situation parce que c’était une occasion unique et je ne regrette rien.

Le sport demeure inaccessible pour les . . .

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Sharon Anne Firth parle du manque de possibilités pour les jeunes Autochtones de participer équitabl...

Sharon Anne Firth: Je pense que Shirley et moi étions des pionnières dans ce domaine. Parce que vous savez, il n'y avait pas de femmes dans l'équipe canadienne avant nous. Alors, nous avons été les premières. Et... J'ai cherché des athlètes autochtones dans le monde entier. Je n'en ai pas trouvé. Vous savez, il y avait des joueurs de hockey, mais ils ne parlaient jamais de leurs origines autochtones. Alors que nous, on le disait à tout le monde, "C'est ce qu'on est." Aussi, quand on a été intronisées au Panthéon des sports canadiens, il y avait seulement Alwyn Morris avant Shirley et moi. Alors, où sont les Autochtones? Pourquoi les sports ne sont pas accessibles pour eux? Pourquoi on ne les voit pas dans les sports traditionnels? Mais nous, on nous a vues. Encore une fois, ça prend des femmes fortes comme nous pour se lever et pour défendre nos convictions. Et puis, aussi, j'ai eu l'occasion d'aller dans beaucoup de réserves dans le nord du Manitoba et en Saskatchewan, et j'étais... C'est tellement triste de voir à quel point notre peuple est pauvre, et qu'il n'y a pas d'espoir pour lui. Alors, quelle est la différence entre ce qu'on a fait et ce qu'ils ne peuvent pas faire? Ça a été un vrai combat pour moi, mais notre société est comme ça dans notre pays. Il n'y a pas de justice. Et... On est si pauvres. Alors, comment on arrange ça? Comment aider nos jeunes d'aujourd'hui à croire qu'ils sont capables d'accomplir des choses, qu'ils n'ont pas à se laisser démolir par des préjugés?