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Un avion blanc survolant un fond rouge au Musée canadien de l'histoire à Ottawa.

Transcription : Dale King, légende de l’aérobique à Montréal

Artéfactualité, saison 2, episode 4.

0:04:00 Kim Thúy : Dans cet épisode d’Artéfactualité…

0:07:00 Kim Thúy : L’aérobique est-elle un sport? Pourquoi les jambières, les justaucorps et les bandeaux sont-ils devenus un style emblématique des années 80? Et qu’est-ce qui a fait d’une professeure d’aérobique montréalaise une célébrité locale?

0:27:00 Kim Thúy : Je m’appelle Kim Thúy.

0:29:00 Kim Thúy : Dans ce balado du Musée canadien de l’histoire, nous allons explorer ensemble ce que les objets et les histoires du passé peuvent nous apprendre sur ce que nous sommes aujourd’hui. Qu’est-ce qui trouvera encore écho demain?  Comment conservera-t-on le souvenir des évènements qui se déroulent autour de nous?

0:52:00 Kim Thúy : Je me souviens d’avoir suivi des cours d’aérobique à la télévision quand j’étais ado, dans les années 1980.

0:57:00 Kim Thúy : Ma famille venait de quitter le Vietnam et de s’installer au Québec.

1:01:00 Kim Thúy : Tous les matins de la semaine, sur CFCF 12, il y avait une émission d’aérobique mettant en vedette trois femmes portant des tenues assorties en spandex et les grandes coiffures des années 80. Je voulais tellement m’habiller comme elles, mais nous n’avions pas d’argent à dépenser pour ce genre de choses.

1:18:00 Kim Thúy : Une fois, j’ai même tressé trois morceaux de tissu ensemble, juste pour pouvoir copier le bandeau d’Olivia Newton John.

1:28:00 Jenny Ellison : “J’ai grandi dans les années 80 et je me souviens d’être allée m’assoir sur le bord du terrain, pendant que ma mère faisait de l’aérobique dans le gymnase de l’école primaire de ma petite ville. Et c’est devenu une tendance.”

1:37:00 Kim Thúy : Voici Jenny Ellison.

1:39:00 Kim Thúy : Historienne au Musée canadien de l’histoire, Jenny s’est particulièrement intéressée à l’essor de l’aérobique au Canada.

1:49:00 Jenny Ellison : Une bonne partie de mon travail porte sur les années 1980 au Canada et sur l’histoire du corps. L’idée est donc d’étudier comment les gens percevaient leur corps et vivaient dans leur corps dans les années 1980. L’instinct qui me pousse à faire ce travail vient en partie de l’observation de ma propre vie, de ma famille et de la culture dans laquelle j’ai grandi dans les années 1980 au Canada. Il s’agit également d’un désir de dépasser l’idée que l’aérobique, les magazines féminins ou d’autres formes de culture populaire destinées aux femmes sont nécessairement mauvais pour elles. Lorsque j’ai commencé à faire des recherches sur ce sujet, j’ai rencontré des femmes entrepreneures dans le domaine de la mise en forme et des personnes qui participaient à ces cours. J’ai eu l’impression que les expériences vécues en aérobique et les histoires qui se racontaient à propos de cette époque et des motivations pour aller aux cours, et même la façon dont les personnes parlaient de leurs vêtements, de leur danse, de leur équipement d’aérobique, mais aussi du plaisir qu’elles ont tiré de cet environnement, nous ont offert une façon différente de penser à ce sujet.

2:50:00 Kim Thúy : Est-ce que c’était considéré comme un sport?

2:53:00 Jenny Ellison : Je dirais que oui. Je crois qu’en examinant l’histoire, on peut remonter jusqu’aux années 1800 et aux débuts de ce que certaines personnes appelleraient les programmes de culture physique pour les femmes. Ces programmes ont toujours été développés et adaptés au corps des femmes, il y a parfois même une centaine d’années, parce qu’on pensait que les femmes ne pouvaient pas faire les mêmes activités physiques que les hommes. Puis, à mesure que l’aérobique s’est développée, elle visait vraiment à attirer les femmes, à aller à leur rencontre, à être amusante et accessible, et à répondre à leurs désirs et à leurs aspirations en matière de condition physique. Je pense donc qu’elle a toujours été conçue comme un sport, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’elle soit perçue comme un sport. Et c’est une autre raison pour laquelle je me suis intéressée à l’étude de l’aérobique, parce que je pense qu’elle a été banalisée et rejetée. C’est devenu un costume pour l’Halloween. Et les gens ne prennent pas cette activité au sérieux parce que je pense qu’elle s’adressait aux femmes et que c’était une activité féminine. Mais je crois qu’il est très important de réfléchir au fait que les femmes elles-mêmes ont été à l’origine de la création de ce mouvement. Les femmes elles-mêmes y ont participé massivement et y ont dépensé de l’argent, du temps et de l’énergie.

3:55:00 Jenny Ellison : Je pense donc que cela amène des conversations intéressantes. Est-ce qu’on se discipline en réponse à la culture? Est-ce qu’on se surveille et on se sent mutuellement mal à l’aise dans ces cours? Je pense que la réponse à ces questions est souvent oui. Et je crois que dans ces cours, il y a une autre chose davantage reliée au plaisir, au divertissement, à la socialisation et à l’esprit d’entreprise des femmes. Le fait d’entrer en contact avec d’autres personnes fait aussi partie de la vie de nombreuses femmes. C’est une conversation très importante à avoir.

4:31:00 Dale King : Tu commences comme ça.

4:33:00 Kim Thúy : Ouais, ça, je peux le faire… Mais tu vois, je n’ai aucune coordination!

4:41:00 Kim Thúy : Voici Dale King. Dans les années 80, elle s’est fait un nom dans le milieu anglophone montréalais de la danse et du conditionnement physique.

4:47:00 Dale King : Il faut que tu arrives à bouger comme moi, mais pas forcément à danser comme moi.

4:51:00 Kim Thúy : Ok.

4:51:00 Kim Thúy : Elle me montre quelques mouvements et j’essaie de suivre, mais…

4:55:00 Dale King : Un, deux. L’autre bras.

4:58:00 Kim Thúy : Tu vois? Je l’avais dit.

5:01:00 Dale King : Ne t’inquiète pas. Tu n’es pas la première. Tu n’es pas ma première débutante.

5:06:00 Kim Thúy : Dale est arrivée à Montréal de la Barbade en 1959, à l’âge de trois ans.

5:12:00 Kim Thúy : À l’école secondaire, elle s’est initiée à la danse contemporaine.

5:15:00 Kim Thúy : Lorsque Dale était jeune adulte, elle a enseigné la danse afro-caribéenne dans des centres communautaires de Montréal…

5:21:00 Kim Thúy : Puis elle a décroché un emploi dans un studio où elle a commencé à animer des cours d’aérobique.

2:28:00 Kim Thúy : Mais elle ne voulait pas offrir un entrainement à la Jane Fonda.

5:32:00 Dale King : Je voulais danser. J’aimais l’idée de faire de l’exercice, mais je n’aimais pas l’aspect athlétique extrême. C’est donc ce que j’ai changé. J’ai orienté l’exercice vers la danse. Michael Jackson chantait à l’époque, il y avait les Boys to Men, toutes les chansons et les artistes des années 80. Il y avait même certains groupes technos, comme Technotronic, et le rap qui arrivait.

5:57:00 Dale King : C’est ce que je voulais utiliser. C’est sur cette musique que je voulais danser. Je ne voulais pas de ces exercices physiques rigides.

6:05:00 Dale King : Si vous avez vu les vidéos de mes cours, vous avez pu voir la différence parce qu’avant, les mouvements étaient très rigides. Ce n’étaient pas des mouvements naturels, comme dans la danse où tout est fluide. Alors que dans les mouvements d’aérobique, c’était comme… organisé. C’était très organisé.

6:29:00 Kim Thúy : Dale a découvert une approche dynamique et amusante de l’aérobique lors d’une visite à Los Angeles.

6:36:00 Kim Thúy : Son amie lui a dit qu’elle devait essayer un cours avec une instructrice locale.

6:42:00 Dale King : J’ai été soufflée.

6:44:00 Dale King : Je suis allée à son cours, et ça a changé ma vie. Ça s’appelait cardio funk et elle avait vraiment réuni la danse et le cardio. Oh mon Dieu! Et ce n’était pas encore arrivé ici. Alors, dès que je suis rentrée, j’ai changé mon cours.

7:03:00 Kim Thúy : Te souviens-tu du premier cours? À Montréal. Le premier cours, que tu as donné?

7:07:00 Dale King : Quand je suis rentrée de Los Angeles, j’ai retravaillé ma musique. J’ai commencé à penser à quelques mouvements et le lendemain après-midi, je crois que c’était à mon cours de 17h30, j’ai dit « OK tout le monde, j’ai quelque chose d’un peu différent pour vous aujourd’hui ». À la fin du cours, tout le monde demandait ce que c’était. Et j’ai dit que ça s’appelait du cardio funk. **Ils et elles ont dit « Oh, mon Dieu! »

7:27:00 Kim Thúy : Ils et elles ont adoré. Dès le début?

7:29:00 Dale King : Dès le premier cours. Parce que j’avais la chance d’être qui je suis. Comme tu peux le voir, je suis assez énergique. Et avec cette méthode que j’avais rapportée et la musique que j’y ai ajoutée, ça a juste explosé.

7:45:00 Dale King : Je dis que c’était le précurseur de la zumba parce que c’était un cours de cardio, que je mélangeais avec des mouvements de danse plutôt qu’avec les mouvements traditionnels d’aérobique de l’époque. Et j’utilisais les dernières musiques de danse qui passaient à la radio. C’était l’autre gros avantage, ce n’était pas de la musique en conserve. C’était de la vraie musique, ce qui rendait l’exercice vraiment amusant et stimulant.

8:11:00 Kim Thúy : Jenny Ellison a été séduite par le style et l’approche distincte de Dale en matière de markéting.

8:19:00 Jenny Ellison : Je suis tombée sur le nom de Dale dans une publicité parue dans un journal montréalais. D’une part, ses annonces étaient très évocatrices. D’autre part, c’était une Canadienne noire. Et la raison pour laquelle ça m’a frappée, c’est que, bien sûr, je cherchais une sorte de contraste entre l’image et l’expérience de l’aérobique. Notre image de l’aérobique est principalement blanche. Alors je me suis dit, avec raison, que ça ferait une histoire intéressante. Je veux comprendre ce qui a conduit cette personne à devenir entrepreneure de la mise en forme. Ce qui l’a amenée à créer « Soul Impact Aerobic ».

8:59:00 Kim Thúy : Soul Impact. C’est le nom que Dale a utilisé lorsqu’elle et sa partenaire Karen Lewis ont ouvert leur propre studio.

9:07:00 Kim Thúy : Pour attirer des élèves, elles ont conçu des publicités accrocheuses dans les journaux.

9:12:00 Kim Thúy : L’une d’entre elles montre Dale de dos dans un justaucorps très échancré, avec le slogan «No Butt About It» qui signifie littéralement, « pas de fesses ».

9:24:00 Jenny Ellison : C’est très ludique. En dessous, on voit l’image d’une femme à l’allure très athlétique, vêtue d’un justaucorps en string. On la voit seulement à partir de la taille, les mains sur les hanches, une jambe fléchie. Un texte indique également qu’il est temps de commencer à perdre des kilos et qu’il est possible de s’entrainer avec la reine de la mise en forme, Dale King. C’est vraiment frappant. D’une certaine façon, je pense que ça reflète ce que nous savons ou comprenons de l’aérobique des années 1980 et du début des années 1990. Elle s’intéresse au poids et associe la participation à un cours de mise en forme et la perte de poids. Elle présente une version peut-être plus sexy de ces justaucorps emblématiques d’aérobique. Il s’agit donc d’une sorte de lien avec certaines des choses que nous connaissons de l’aérobique. Je trouve ça très puissant à de nombreux égards. Comme j’ai passé beaucoup de temps à regarder des images d’athlètes féminines dans le cadre d’autres recherches, je trouve ça vraiment puissant, dans le sens où elle est vraiment forte. Ce n’est pas une personne super maigre ou qui a l’air de vouloir tout faire pour maigrir. C’est une personne très musclée et très en forme. Et je trouve ça vraiment intéressant. Bien sûr, je trouve aussi intéressant que Dale elle-même et son associée, Karen, aient créé ces publicités. Ce sont elles qui les ont diffusées. Ce sont elles qui ont créé ces messages. Et je pense qu’il est très important de se souvenir, quand on parle de l’histoire des femmes, du genre et de la féminité, de la manière dont certaines femmes choisissent de participer à ce mouvement. Beaucoup de personnes qui s’identifient comme femmes choisissent de participer à ce mouvement.

10:59:00 Kim Thúy : Elle dégage une telle assurance sur cette photo qu’on ne voit pas le côté sexy ou le corps pris pour un objet. Il s’agit davantage de montrer sa force que d’être attirante.

11:12:00 Kim Thúy : Ce n’est pas nécessaire. On n’a pas à s’excuser d’être forte et musclée. Mais, à l’époque, nous n’avions surement pas la même façon de nous montrer ainsi.

11:23:00 Jenny Ellison : Je pense que l’expression « sans complexe » décrit parfaitement Dale King. En tant qu’historienne, je dirais que, en général, quand je regarde le passé et que j’examine une activité comme l’aérobique, je m’intéresse à la complexité et à la fluidité, et je ne crois pas qu’il faille penser qu’il existe une seule interprétation de ce que faisait une ou un entrepreneur, ou de ce que faisait qui que ce soit dans un cours de mise en forme. C’est aussi un bon exemple de la nature non complaisante de la chose, de l’allure très puissante de son corps, de la musculature et de la force de son corps, qui contraste avec un message sur la perte de poids.

11:58:00 Kim Thúy : Dale affirme que le message véhiculé dans une autre publicité a déclenché la sonnerie ininterrompue du téléphone. On y voit une photo de Dale en train de diriger une classe pleine d’élèves. Elle porte son justaucorps et des collants en spandex. Tout le monde fait le même mouvement de danse : les bras levés, en marchant vers l’avant. Dale est la seule personne de couleur sur la photo. En haut, en caractères gras, on peut lire : « La musique est dynamique et le style est noir ». Dale se souvient d’avoir réfléchi à la façon de formuler cette annonce, avec son associée Karen.

12:35:00 Dale King : Nous observions la photo, nous la regardions et nous en discutions. Et elle m’a dit, « tu sais, la musique est vraiment bonne. » Puis elle a poursuivi : « Ouais, la musique est dynamique. » Et je ne me souviens plus si c’est moi qui l’ai dit ou si c’est elle, mais on a dit « la musique est dynamique… » Ensuite, l’une de nous a dit : « et le style est noir », et nous avons ouvert toutes les deux de grands yeux en nous regardant.

13:01:00 Kim Thúy : Et voilà!

13:02:00 Dale King : Ouais. « Qu’est-ce que tu as dit? » Elle a dit : « Attends. » Et j’ai dit : « OK… » Et là on est en 1988 ou en 1989. Alors on regarde encore la photo. Parce qu’on est en train de parler de noir, de façon directe. Non pas que cela soit négatif. Mais c’est quelque chose qu’on ne voyait pas souvent.

13:25:00 Kim Thúy : De façon positive.

13:27:00 Dale King : Oui, de façon positive.

13:28:00 Dale King : On me voyait, mais on ne voyait pas beaucoup d’autres personnes noires. Ça a piqué la curiosité. Le téléphone n’a pas arrêté de sonner. Dès la semaine suivante, des gens ont commencé à s’inscrire. Et puis les médias ont vu la publicité. À l’époque, c’était CBC et CTV. Les journalistes appelaient pour demander « Qu’est-ce que vous entendez par “La musique est dynamique et le style est noir”? »

13:49:00 Dale King : Je leur disais : « on utilise la musique hip-hop. Michael Jackson, les Boyz to men, les trucs de l’époque. Et on fait notre entrainement de danse dessus. » Ils répondaient « Oh wow, c’est trop bon ! » Et puis une journaliste en a parlé à son patron en lui disant qu’il fallait qu’elle fasse un article sur nous. Et le reste appartient à l’histoire, comme on dit.

14:05:00 Kim Thúy : Et tu es devenue une célébrité.

14:07:00 Dale King : Oui. Une célébrité. Une vedette, comme on dit au Québec.

14:11:00 Kim Thúy : Pour Jenny, la façon dont Dale s’est présentée est l’un des aspects les plus remarquables de ces publicités.

14:16:00 Jenny Ellison : Avant d’effectuer ce travail sur l’aérobique, j’ai fait une étude sur la représentation des athlètes féminines dans les magazines canadiens. J’ai consulté Maclean’s et Châtelaine, en anglais et en français, pour essayer de me faire une idée de la façon dont les athlètes ont été représentées dans les publicités au cours de ces décennies et de ce que nous pensons des corps féminins athlétiques. L’une des conclusions de cette étude est que les femmes sont souvent représentées de façon assez passive et rarement, par exemple, en tenue de sport ou en mouvement. Jusque vers les années 1990. Et donc, l’une des raisons pour lesquelles la publicité de Dale m’a frappée, c’est qu’elle prenait une pose puissante. Elle portait des vêtements appropriés ou considérés comme appropriés à l’activité, et elle avait l’air vraiment, vraiment forte. On ne retrouve pas ça dans d’autres publicités des décennies précédentes.

15:04:00 Kim Thúy : Dale a attiré une clientèle diversifiée dans son studio.

15:08:00 Kim Thúy : Et elle est devenue très connue.

15:11:00 Dale King : Ce qui caractérise cette ville, c’est son côté tellement multiculturel, tellement multiethnique. Toutes les nationalités que vous pouvez imaginer se retrouvaient dans mon studio. On pourrait penser : « Oh, la propriétaire est noire. Alors, il y aura 98 % de personnes noires. » Et bien non. Je me souviens d’une entrevue où l’on disait, à l’époque, que les personnalités politiques devraient voir ce qu’est Montréal. Il y avait de tout.

15:36:00 Kim Thúy : La vraie vie, quoi.

15:37:00 Dale King : Oui, la vraie vie. Des personnes noires, blanches, françaises, juives, chinoises, grecques.

15:41:00 Kim Thúy : Italiennes.

15:42:00 Dale King : Italiennes.

15:43:00 Kim Thúy : Portugaises.

15:44:00 Dale King : Portugaises.

15:45:00 Kim Thúy : Tout le monde.

15:46:00 Dale King : Il y avait des personnes québécoises, vous savez, canadiennes-françaises. Il y avait tout le monde, tout le monde. Wow!

15:55:00 Kim Thúy : Était-ce une communauté? Ces personnes se parlaient-elles?

15:57:00 Dale King : Oh oui! J’organisais des évènements pour la fête des Mères ou la fête des Pères, par exemple. Et c’était fascinant de voir la classe moyenne à Westmount. Dans la même pièce.

16:12:00 Kim Thúy : Et tout le monde se parlait.

16:13:00 Dale King : Oui, et après le cours, on se changeait, on discutait dans le vestiaire et une femme disait : « il faut que j’aille récupérer mes enfants, et faire ceci et cela ». Elle n’était pas hautaine, elle ne faisait que prendre part à la conversation. Et elle disait : « Ouais, c’est dur. Tous ces emplois du temps à gérer en plus de tout le reste à faire. Il faut faire ceci, puis cela, en plus prévoir les nounous. » Et là, silence. (Rire)

16:39:00 Dale King : Il y a eu un silence d’un quart de seconde.

16:44:00 Kim Thúy : Parce qu’elle était d’une autre réalité.

16:47:00 Dale King : Oui. Elle ne disait pas ça pour se vanter. Elle prenait simplement part à la conversation.

16:51:00 Kim Thúy : Oui, elle partageait son expérience.

16:54:00 Dale King : Et c’était du genre « OK, il y a une nounou, mais il faut aussi organiser les nounous. » Moi, je ne faisais que passer par le vestiaire, mais quand j’ai entendu ça, je me suis retenue de pouffer de rire. Les nounous avec un « S ».

17:08:00 Kim Thúy : Ça a dû être un moment très cocasse.

17:11:00 Dale King : Je trouve ça très gratifiant que ce studio ait pu attirer toutes ces personnes. Et puis, certaines des personnes qui ont suivi mon cours ont été inspirées et se sont dit qu’elles pouvaient elles aussi faire comme moi et aller chercher une certification ou devenir professeures de danse.

17:38:00 Kim Thúy : Dale reste en contact avec certaines de ses anciennes élèves.

17:42:00 Kim Thúy : L’une d’entre elles a ouvert son propre studio à Montréal.

17:45:00 Kim Thúy : Une autre est scénariste à Hollywood. Elle a écrit un scénario qui met en scène un personnage inspiré par Dale.

17:53:00 Kim Thúy : Pour Jenny, ces relations font partie de l’histoire de l’aérobique.

17:59:00 Kim Thúy : Elle trouve qu’il est important de préserver ces récits, car ils contribuent à raconter l’histoire d’activités qui nous ont apporté de la joie.

18:08:00 Jenny Ellison : Vous savez, en tant que musée, nous voulons partager et préserver l’histoire de gens ordinaires, mais aussi rendre compte des activités qui ont vraiment signifié quelque chose pour les gens au cours de ces décennies. Et ça serait une grande lacune de notre part que de ne pas faire figurer l’aérobique dans notre collection sur le sport et le conditionnement physique de ces décennies. Les membres du public peuvent s’identifier à cette histoire. Ils se verront, ou verront leurs parents, ou se reconnaitront dans cette image de l’aérobique. Ou peut-être se souviendront-ils de Jane Fonda, et cela éveillera un souvenir et, espérons-le, une réflexion. C’est d’ailleurs ça, la raison d’être d’un musée.

18:40:00 Jenny Ellison : Une deuxième raison pour laquelle j’aime étudier le sport et le conditionnement physique, c’est qu’ils sont toujours, toujours, toujours liés à d’autres tendances sociales, à d’autres tensions dans notre société. Alors, quand on étudie le sport et les loisirs ou l’activité physique, on peut trouver des occasions de réfléchir à l’histoire de l’origine ethnique, de la classe sociale et du genre, à la dynamique de la façon dont nous vivons dans notre corps. Nous pouvons même parfois les relier à l’histoire économique du pays.

19:09:00 Kim Thúy : Oh, je pense que nous avons beaucoup évolué.

19:12:00 Kim Thúy : Mais, oui, je pense que nous avons évolué. Vous avez raison. Nous devons, ne pas souligner, mais, comment dites-vous cela? Nous devons reconnaitre que nous voyons notre corps très différemment aujourd’hui que dans les années 80.

19:18:00 Jenny Ellison : C’est certain. Et ce, tout au long de la vie. C’est une autre chose que j’ai constatée quand je parle avec les gens de leur expérience de l’aérobique durant leur vie : leur compréhension de cette discipline a changé. Mais je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il est important de reconnaitre ces petits changements que nous observons dans la culture. Parce que sinon, comme je l’ai dit, on efface tous ces changements et tout le travail accompli depuis des décennies pour rendre le sport et le conditionnement physique plus inclusifs. Il y a eu beaucoup de façons différentes de le faire. Et je pense que l’aérobique en fait partie. C’est pourquoi je pense qu’elle est toujours d’actualité.

19:45:00 Kim Thúy : Jenny espère aussi que les gens se rendent compte que si l’aérobique n’est pas prise au sérieux en tant que sport, c’est parce qu’elle a été créée par et pour les femmes.

19:57:00 Jenny Ellison : J’ai une fille et je veux qu’elle prenne au sérieux les choses qui lui tiennent à cœur, et qu’elle n’ait pas l’impression, par exemple, qu’elle doit être gênée d’aimer Taylor Swift. La culture qui attire les femmes et les filles est tout aussi importante et intéressante que les autres. Et je pense qu’il y a un peu d’activisme secret là-dedans, de même que quand nous prenons l’aérobique au sérieux ou que nous avons des conversations sérieuses à son sujet, ou au moins des conversations légères qui la prennent au sérieux. Alors, par extension, je pense que nous prenons au sérieux d’autres types de culture pop créatives pour les femmes et les jeunes filles.

20:34:00 Kim Thúy : Pour Dale, l’idée qu’elle puisse contribuer à raconter cette histoire est incroyable.

20:40:00 Kim Thúy : Alors, lorsque le Musée t’a contactée et t’a demandé d’acquérir des objets pour documenter ton histoire et sa collection nationale, qu’as-tu pensé?

20:49:00 Dale King : J’ai été stupéfaite.

20:53:00 Dale King : Quand j’y pense maintenant, je dois me calmer parce que ça va me donner envie de pleurer.

20:56:00 Kim Thúy : Oh

20:57:00 Dale King : Pour la simple raison que dans cent ans, parce qu’elle l’a dit clairement : « Dale, nous ne savons pas quand cela va se produire ». On n’en sait rien. Mais j’ai dit : « je m’en fiche. Ce qui compte, c’est que lorsque ce monde sera fini et que les extraterrestres, ou quoi que ce soit d’autre, auront trouvé le Musée et l’auront exploré, ils trouveront quelque chose sur l’aérobique. » On se souviendra de moi, vous savez… je n’avais pas prévu ça, mais…

21:28:00 Kim Thúy : Tu as seulement été toi-même.

21:29:00 Dale King : Je ne suis que Dale King et j’ai fait quelque chose que j’aime, alors ça m’a soufflée.

21:38:00 Dale King : Step step double hanche step step. Step. Double. Step step double. Step step double. Step step double. Marche, OK. Et reviens. Reviens. Je sais que tu écris de bons livres.

22:03:00 Kim Thúy : J’imagine que j’ai un autre talent. (rire)

22:06:00 Dale King : Oh oui, tu écris de bons livres, Tu pourrais être le genre de femme qui venait à mes cours le soir.

22:16:00 Kim Thúy : Dale King, me donne un cours privé dans le studio d’enregistrement.

22:21:00 Kim Thúy : Dale a maintenant 67 ans et est en semi-retraite.

22:25:00 Kim Thúy : Elle continue de donner des cours plusieurs fois par semaine parce qu’elle aime ça.

22:31:00 Kim Thúy : Merci aussi à Jenny Ellison, du Musée canadien de l’histoire.

22:38:00 Kim Thúy : Merci d’avoir écouté Artéfactualité, un balado du Musée canadien de l’histoire. Je suis Kim Thúy.

22:46:00 Kim Thúy : Artéfactualité est produit par Antica Productions.

22:50:00 Kim Thúy : Notre productrice est Ann Lang.

22:52:00 Kim Thúy : La recherchiste est Soobin Kim.

22:55:00 Kim Thúy : Laura Regher et Stuart Coxe sont producteurs exécutifs chez Antica.

23:00:00 Kim Thúy : Le mixage et la conception sonore sont assurés par Alain Derbez.

23:04:00 Kim Thúy : Les producteurs exécutifs de ce balado sont Jenny Ellison, Robyn Jeffrey et Steve McCullough, du Musée canadien de l’histoire.

23:14:00 Kim Thúy : Visitez musée de l’histoire point ca (museedelhistoire.ca) pour d’autres histoires, articles et expositions du Musée.

23:21:00 Kim Thúy : Pour plus d’informations concernant Dale King, consultez les liens dans les notes du balado.

Version française par Power of Babel

Dale King est interprété par Nadine Valcin

Dr. Jenny Ellison est interprété par Geneviève Dempsey

Directeur de plateau Olivier Couture

Traduction et adaptation par Caroll Cafardy

Ingénieure de son Olivier Couture

Mixage français par David Moreau

La chef de projet est Chantale Renée

Supervision par Eric Geringas